Sociologue à l'INRA, j'en suis venu à m'intéresser à la problématique du bien-être animal à travers les questions de construction de la mesure, notamment en matière de relation homme-animal, de docilité et de domestication des animaux. J'ai ainsi intégré AgriBEA, le réseau de l'INRA qui travail sur la question du bien-être animal, et candidaté à l'ANSES pour intégrer le premier groupe de travail consacré au même sujet.
C'est à la suite de la publication des règlements européens, qui s'appliquent partout et dans leur totalité, que l'ANSES s'est penchée sur la question, la Direction générale de l'alimentation (DGAL) l'ayant saisie à plusieurs reprises. Si les premières saisines de la DGAL portaient sur l'abattage rituel, elles se sont étendues à l'abattage en général, qui a fait l'objet d'un guide des bonnes pratiques, que la France est le seul pays à avoir mis en place sous cette forme, sachant que cette formalisation du règlement n° 10992009 – qui contient surtout des dispositions cadres, si ce n'est en matière d'évaluation de la perte de conscience animale – n'était pas une obligation mais une recommandation de l'Union européenne.
Je me suis pour ma part intéressé, au sein des abattoirs, aux rapports entre les hommes et les animaux ainsi qu'aux liens existant entre le bien-être animal et l'activité humaine. Je ne vous cache pas que les difficultés ont été nombreuses car, si les polémiques peuvent faire office d'alertes, dans la pratique, elles ferment les portes des abattoirs, et il devient extrêmement compliqué de construire une relation de confiance avec leurs personnels, dans un esprit de progrès et non de contrôle ou de jugement extérieur. Partant, il n'est pas évident pour l'enquêteur d'observer concrètement la réalité derrière ce que l'on veut bien lui montrer.
Pour inscrire mes propos dans un contexte général, je rappellerai qu'il existe une très grande diversité d'abattoirs, que l'on peut regrouper en deux grandes catégories : les abattoirs publics territoriaux et les abattoirs industriels.
Les abattoirs publics sont des abattoirs comme ceux dont les pratiques ont été dénoncées par L214. Il s'agit d'établissements insérés dans un réseau socio-politico-économique assez complexe, dans lequel interviennent des éleveurs comme des élus locaux, à la convergence de problématiques comme la valorisation du territoire ou l'agropastoralisme. Dans ces conditions, l'abattoir, qui assume les fonctions d'un service public, est pris en tenailles entre, d'un côté, l'injonction des actionnaires que sont les professionnels du territoire de ne pas pratiquer des prix trop élevés et, de l'autre, la concurrence, plus ou moins proche, des autres établissements commercialisant de la viande.
Les abattoirs industriels, quant à eux, sont dans une logique d'internalisation des coûts, car il faut savoir qu'un abattoir est avant tout un centre de coûts et que la rentabilité passe par le développement, en aval, d'activités lucratives, qui peuvent aller jusqu'à la vente de produits finis en barquette.
On comprend dès lors que la problématique du bien-être animal ne peut que complexifier l'organisation et la gestion des abattoirs, dans la mesure où tant la protection animale que les mesures de contrôle entraînent des coûts supplémentaires dans un univers où l'on compte déjà au plus juste. Cela étant, des dispositions peuvent être ou ont déjà été mises en place.
Du fait de cette grande diversité, les situations que l'on peut relever à droite ou à gauche ne sont pas toujours généralisables. En tout cas, nous n'avons jamais rien vu de comparable aux images que vous savez, même en allant chercher ce qui se dissimulait derrière les paravents que l'on déployait à notre intention.