Je préfère taire son nom, dans la mesure où il y a du bon et du moins bon dans cette initiative qui répond à un but plus commercial qu'éthique, même si elle s'appuie sur les travaux de Mary Temple Grandin, qu'elle a d'ailleurs en partie financés. Toujours est-il que cela a contribué à sensibiliser les très gros abattoirs à la problématique du bien-être animal, avant même la publication des guides de bonnes pratiques. Là encore, il y a un écart entre les très grosses structures et les petites unités, qui découvrent seulement cette logique d'assurance qualité dans la protection animale.
Dans cet univers très rationalisé qu'est l'abattoir, le bien-être animal ajoute ainsi une couche supplémentaire aux normes très précises qui existent déjà. C'est là que se porte l'attention du public : les enquêtes régulières menées par l'Union européenne montrent que les gens associent bien-être animal à santé de l'animal et santé du consommateur. Si le citoyen est sensible à cette question du bien-être animal, le consommateur, lui, se préoccupe avant tout de la qualité sanitaire des aliments, de leur provenance et donc de leur traçabilité. Le bien-être animal vient bien après – mais tout dépend de la façon dont est posée la question dans ces sondages.
Si j'ai donc parlé de « noeud réglementaire », c'est parce qu'une triple pression en matière de normes s'exerce dans l'abattoir : celle de la réglementation du travail, celle de l'hygiène et celle qui concerne le bien-être animal.
Pour ce qui concerne les conséquences concrètes qu'a eues le règlement 10992009 pour les abattoirs, son intérêt majeur a été d'y introduire une obligation de formation pour les salariés. Si l'on avait réfléchi, jusqu'à son entrée en vigueur, aux moyens d'améliorer l'organisation du travail, rien n'était explicitement prévu en matière de formation individuelle des employés. Malgré quelques réticences au départ, du fait du niveau de qualification très variable des personnels, la validation d'un certificat de compétences a été globalement positive, même si l'on peut regretter que, dans la plupart des cas, ces formations soient restées trop théoriques. Certains organismes de formation ont néanmoins su contourner cet écueil en organisant au sein des abattoirs des formations collectives axées sur des démarches didactiques appuyées sur l'analyse et le commentaire de vidéos.
Ces modes d'échange ont été d'autant plus bénéfiques qu'ils ont permis de resserrer les liens entre les salariés dans un contexte marqué par le déclin de l'ancienne solidarité que des conditions de travail physiquement difficiles tissaient entre les employés en favorisant l'entraide.
La sociologie des personnels a évolué : comme le montre le sociologue Séverin Muller dans son ouvrage, À l'abattoir. Travail et relations professionnelles face au risque sanitaire, des lignes de fracture séparent désormais, au sein de l'abattoir, les anciens des plus jeunes, les personnels techniques qui travaillent à la production des agents chargés du contrôle qualité. Avec cette dichotomie, la répartition des rôles a changé. À une logique du tutorat assumé par les services vétérinaires a succédé la logique de l'assurance qualité, en vertu de laquelle la charge de la preuve incombe à l'abattoir : les relations de confiance parmi le personnel peuvent s'en trouver perturbées. Le guide des bonnes pratiques peut à cet égard présenter un inconvénient s'il devient une sorte de paravent derrière lequel on se réfugie au lieu d'aborder les problèmes de fond : dès lors qu'il est respecté, on n'a rien à dire…
Ce phénomène est d'autant plus prononcé que le contrôle vétérinaire, autrefois exercé par des agents de l'État qu'on appelait vétérinaires inspecteurs est une activité qui s'est considérablement dépréciée, a perdu des effectifs et emploie aujourd'hui, en CDI ou en CDD, une catégorie de salariés qu'on pourrait qualifier de sous-prolétariat vétérinaire. Certes, la DGAL en a pris conscience et réaffecte des administrateurs en abattoirs, mais les vétérinaires que nous avons interrogés nous ont souvent dit qu'ils n'avaient pas toute latitude pour intervenir dans une organisation où prime désormais l'assurance qualité. Il s'agit d'une démarche interne à l'entreprise, prise en charge, au moment de la mise à mort, par le responsable protection animale (RPA), qui va s'appuyer sur le respect de la réglementation en vigueur et le guide de bonnes pratiques, le rôle du vétérinaire se bornant non plus à juger de la qualité des contrôles mais à seulement vérifier qu'ils ont été effectués. Cela m'amène à considérer qu'en définitive, l'évolution de la réglementation a eu des effets ambivalents.