Intervention de François Hochereau

Réunion du 9 juin 2016 à 10h15
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

François Hochereau, sociologue à l'Institut national de la recherche agronomique, INRA :

Il faut insister ici sur la question de la formation, sachant que nous avons mené notre enquête peu de temps après la mise en oeuvre du règlement et que, tandis que les gros abattoirs venaient tout juste de former leur personnel, les petits abattoirs, eux, en étaient encore dans la phase de réflexion.

Si l'on se réfère aux trois abattoirs qui ont été dénoncés par L214 et à ce que montrent les vidéos d'épisodes de maltraitance ou de malfaisance, il apparaît que, dans le premier cas, elles sont totalement incompréhensibles : malgré une situation de surcharge ponctuelle, le personnel ne semble pas en situation de stress et tout semble fonctionner normalement ; et pourtant on assiste à des actes de maltraitance et même de malfaisance. Dans le deuxième cas, il s'agit d'un tout petit abattoir où, malgré d'excellents équipements, le travail est organisé en dépit du bon sens : c'est du n'importe quoi. Qui plus est, l'aménagement n'a pas été prévu pour gérer un petit nombre d'animaux appartenant à des espèces différentes. D'où le pétage de plombs. Dans le dernier cas enfin, il apparaît clairement qu'il s'agit d'un problème de formation, notamment du sacrificateur.

Nous touchons ici à un vrai point d'achoppement dans la question du bien-être animal à l'abattoir. La technique de l'abattage rituel exige un geste très sûr ; or, s'il y a des sacrificateurs extrêmement compétents d'autres, au contraire, se distinguent par une totale incompétence, ce qui s'explique par le fait que l'agrément accordé au sacrificateur l'est sur des critères religieux et non sur des critères techniques.

Deux arrêtés de décembre 2011 et juillet 2012 imposent pourtant que les sacrificateurs aient reçu une formation mais, dans la réalité, la question de leurs compétences reste très largement dépendante des autorités religieuses. Or il n'y a chez les musulmans ni clergé ni hiérarchie capable d'organiser et de garantir la maîtrise des aptitudes nécessaires aux sacrificateurs, si bien que les plus compétents d'entre eux appartiennent à une société privée, qui les salarie et a précisément fondé son image de marque sur le savoir-faire de ses employés.

Du côté du Consistoire juif en revanche, les choses sont structurées et organisées depuis fort longtemps, et les sacrificateurs ont reçu une formation technique. La plupart des sacrificateurs ont leur propre valise de matériel, car il est essentiel, comme le rappelait Stéphane Geffroy, de posséder son propre couteau, qui doit être bien aiguisé. Un sacrificateur qui se présente sans son couteau, c'est anormal, d'autant que les animaux tués selon le rite halal bougent beaucoup plus que lorsqu'ils sont étourdis, même s'il n'est pas toujours évident de discerner s'il s'agit d'un mouvement conscient ou d'un spasme nerveux.

Il ne s'agit pas ici de stigmatiser cette pratique et, au cours de nos entretiens, nous avons eu de nombreux témoignages confirmant que certains sacrificateurs opéraient parfaitement, qu'un seul coup de couteau leur suffisait. D'autres au contraire doivent s'y reprendre cinq à six fois, et laissent l'animal agoniser dans des conditions qui choqueraient même les plus pratiquants. Nous avons vu des stagiaires horrifiés du spectacle qu'ils découvraient dans l'abattoir, alors qu'ils consomment du rituel…

J'en reviens donc à la formation qui doit être l'occasion, pour pallier la perte de solidarité, de recréer des moments d'échange entre le bouvier, l'abatteur, l'étourdisseur, voire l'accrocheur. Ils manipulent tous des animaux vivants, en tout cas qui réagissent ; or ils ne se parlent pas. Le dialogue est en général plus fréquent dans les petits abattoirs, a fortiori si le responsable a une expérience de la chaîne, et rien n'interdit de l'appuyer sur des analyses de vidéos – y compris des extraits qui ne montrent aucun problème –, les quelques expériences menées ayant montré que cela était toujours très bénéfique, entre deux cycles de formation, qui n'ont lieu, pour les personnels, que tous les cinq ans. Il me semble enfin indispensable de toujours relier la question du bien-être animal à celle de la protection du travailleur et à celle de l'inscription de la bête et de l'homme dans l'espace et dans le cycle de l'abattoir.

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