Intervention de Marielle Thuau

Réunion du 14 juin 2016 à 18h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Marielle Thuau, directrice des services judiciaires :

Monsieur le président je vous remercie beaucoup de donner l'occasion au service judiciaire de pouvoir présenter le bilan de l'année 2015. Cet échange me semble très important au regard tant des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) mais aussi au regard d'un nécessaire dialogue constructif pour qu'ensuite les projets de loi puissent se traduire dans la réalité.

À titre introductif, je voudrais tout d'abord dire que la justice se modernise – phrase qui peut sembler banale mais qui ne l'est pas – que ce soit par le vote du projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle ou grâce aux multiples mesures mises en oeuvre ces dernières années qui se traduisent dans la gestion et les résultats budgétaires. Cependant, la justice est confrontée à une réalité, celle de moyens limités et de difficultés sur lesquelles le garde des sceaux s'est déjà exprimé.

La modernisation de la justice s'observe d'abord pour les frais de justice. Ceux-ci constituant une réelle difficulté, nous avons mis en place un système informatique, Chorus portail pro, pour permettre leur gestion totalement dématérialisée. Le prestataire de frais de justice va pouvoir saisir sa prestation sur le portail. Sa demande sera traitée de manière totalement dématérialisée par le tribunal qui va apprécier la réalité du service fait et valider la demande de paiement. Ensuite, elle est transmise toujours de manière dématérialisée au service administratif régional (SAR) qui va effectuer des contrôles avant de l'adresser à la direction générale des finances publiques (DGFiP), qui va effectuer le paiement. La mise en oeuvre de ce portail a été précédée d'une expérimentation en 2014 qui s'est terminée en 2015. Les derniers rapports ont souligné le progrès représenté pour les prestataires et l'amélioration des délais de traitement. Il s'agit d'une avancée importante, effectivement en termes d'amélioration du service rendu aux prestataires et indirectement aux justiciables mais aussi en termes de pilotage de la dépense car ce portail nous permet au niveau central et régional d'avoir une visibilité sur la dépense par prestataire et par type de dépense. Dans le même temps, au cours de l'année 2015, il a été constaté une baisse des charges à payer, qui sont passées de 156,8 millions en 2014 à 133,6 millions en 2015, hors frais de justice pour le terrorisme, soit 7 millions d'euros affectés fin 2015.

Nous disposons aussi désormais d'un service de l'administration centrale qui est consacré à l'aide à la décision. Pour la désignation d'un expert dans l'accident de la Germanwings par exemple, le service central s'est déplacé pour aider les magistrats concernés à déterminer quel était le bon niveau de l'expertise et sa bonne définition, pour trouver l'expert le mieux adapté et au meilleur coût. Cela manifeste notre volonté d'encadrer les frais de justice non pas pour limiter les investigations mais pour que ces actes aient un coût qui reste contenu.

Nous avons, en parallèle, la volonté d'améliorer les conditions de travail des personnels. En 2015, a eu lieu la réforme du statut des greffiers et des directeurs des services de greffe. Cette réforme a eu deux objectifs : d'une part recentrer les directeurs de service de greffe sur des fonctions d'encadrement et leur donner des missions à la hauteur de leur recrutement et de leur niveau de formation et, d'autre part, recentrer les greffiers sur les missions d'assistance aux magistrats et de garants de la procédure. Cette réforme a été opérée dans le cadre d'un dialogue social constructif avec les organisations syndicales et a abouti en octobre 2015.

Les événements de janvier 2015 ont conduit à l'adoption d'un plan de lutte anti-terroriste (PLAT) qui a été décidé par le Premier ministre. Les moyens alloués dans ce cadre ont été consacrés d'une part à la juridiction parisienne qui traite des affaires de terrorisme pour augmenter ses moyens et, d'autre part, à la sécurisation des juridictions pour les justiciables et le personnel par la mise en place de systèmes de vidéosurveillance, de gardiennage ainsi que de contrôles d'accès. Tout ceci entraîne des charges nouvelles pour les juridictions.

Nous observons sur les trois dernières années une pression importante sur le fonctionnement des juridictions. Les crédits consacrés au fonctionnement courant n'ont pas connu d'augmentation en 2015 alors que les personnels doivent faire face à des charges supplémentaires en termes de contentieux et que des personnels supplémentaires ont dû être affectés au titre du PLAT à Paris. Ceci s'est traduit mécaniquement par une augmentation des frais de fonctionnement courant de 17 % à la fin de l'année 2015. Les budgets de fonctionnement baissent en exécution depuis 2012 notamment en raison des charges de l'occupant qui sont importantes. Nous avons un parc immobilier vieillissant qui ne répond pas aux normes et pour lequel il est difficile de concilier la nécessaire ouverture au public et les obligations de sécurité. Ceci se traduit par des contrats multi-techniques de maintenance et d'entretien faisant appel à des sociétés spécialisées qui pèsent sur les budgets de fonctionnement des juridictions. Ceci explique aussi la sensation de dégradation des conditions de travail exprimée par les magistrats et reprise par le garde des sceaux.

Nous assistons pourtant à une augmentation du nombre de magistrats dans les juridictions. Depuis 2015, nous avons 29 magistrats en plus. Ceci peut paraître surprenant quand on lit qu'il manque 1 000 magistrats, mais cela vient du fait qu'on ne compare pas ce qui est comparable. Il y a aujourd'hui 500 auditeurs de justice en formation à l'École nationale de la magistrature et leur comptabilisation ou non dans le nombre de magistrats effectif crée une différence importante. De même, les magistrats à titre temporaire et les juges de proximité sont comptés dans les équivalents temps plein (ETP) ou dans les équivalents temps plein travaillé (ETPT) mais pour autant ne sont pas des magistrats professionnels. Ils sont plus de 300 et si on les additionne aux 500 auditeurs de justice et à la vacance dite « frictionnelle » qui est d'environ 3 %, nous arrivons à ce chiffre de 1 000 magistrats. La réalité est qu'il y a plus de magistrats qui sont en activité aujourd'hui. Pour la première fois depuis 2015 le solde est positif : il y a plus de magistrats qui sont entrés que de magistrats qui sont partis à la retraite, chiffre qui avoisine les 300 et est à peu près constant. Enfin, je rappelle qu'il faut trente-et-un mois pour former un juge et que le concours de 2013 est le premier concours qui a permis de recruter en masse des auditeurs. De 2009 à 2011, entre 135 et 150 postes étaient offerts lors des concours, ce qui était notoirement insuffisant pour faire face ne serait-ce qu'aux renouvellements des départs à la retraite. Le nombre de places du concours de juin 2012 était en augmentation par rapport à ce qui avait été prévu précédemment mais les instituts d'études judiciaires (IEJ) et les étudiants n'étant pas au courant de cette augmentation des postes, il n'y a pas eu autant d'inscriptions que nous l'aurions souhaité. Pour ne pas descendre en dessous d'un certain niveau, il n'y a donc pas eu de recrutement à hauteur des postes proposés. C'est seulement à partir du concours de 2013 que des recrutements plus importants ont été effectifs. En septembre 2015, pour la première fois, la promotion nous a permis de passer le cap du solde positif et fin 2017 cela sera également le cas.

Je précise que pour les magistrats, le nombre de postes vacants est relatif puisqu'il est mesuré par rapport à ce qui est nécessaire dans une juridiction pour faire face à un contentieux particulier dont nous ne sommes pas maîtres des évolutions. La loi de modernisation de la justice va nous permettre, je l'espère, de déjudiciariser des procédures mais pour l'instant nous allons plutôt vers une demande de justice plus importante, avec des audiences qui sont plus longues, plus d'experts et de témoins, ce qui alourdit mécaniquement la charge de travail. Cela se traduit dans nos indicateurs de performance, qui ont tendance à se détériorer en termes de délai de traitement et de stock. C'est la raison pour laquelle il nous faut poursuivre ces recrutements.

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