Toutes ces questions sont très pertinentes et font écho à nombre de nos préoccupations.
Avant de répondre aux questions, je voudrais faire état de certains éléments rassurants. Le garde des sceaux est très impliqué, vous l'avez vu vous-mêmes à l'Assemblée nationale, sur le projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle et sur le projet de loi organique. Ces deux textes sont fondateurs pour notre administration, car ils emportent d'importantes rénovations du système judiciaire, que ce soit les services d'accueil unique du justiciable, les dispositions pour faciliter l'accès au corps des magistrats ou celles relatives à la déjudiciarisation. L'ensemble du ministère partage les objectifs portés par ces projets de loi.
Vous m'avez interrogée au sujet des systèmes d'information. Aujourd'hui, les échanges implicatifs sont possibles et de manière généralisée. Ils existent localement : de très nombreux tribunaux ont passé des accords avec des commissariats ou des services de gendarmerie. Une convention nationale qui permettra une déclinaison homogène et rationnelle sur l'ensemble du territoire doit encore être finalisée. Nous travaillons sur ce dossier, mais il faut noter que l'application Cassiopée rend d'ores et déjà possible ce type d'échanges.
Les difficultés liées à la maintenance des systèmes d'information restent cependant réelles. Il y a environ cinq ans, la mise en place du secrétariat général du ministère de la justice a été propice à la mutualisation d'un certain nombre de services, dont les services informatiques, par la création de plateformes interrégionales qui réunissent en un même lieu des services à la disposition de l'administration pénitentiaire, de la protection judiciaire de la jeunesse et des services judiciaires. Nous constatons une demande récurrente de la part des juridictions, et en particulier des cours d'appel, de voir se rapprocher les personnels des plateformes des juridictions. Je souhaite développer, durant le second semestre 2016, un projet de professionnalisation et de rationalisation du réseau des correspondants informatiques. Il existe en effet au sein des services judiciaires, comme d'ailleurs dans de nombreuses autres administrations, des personnels – des personnels de greffe la plupart du temps – qui ont eu une formation pour être des dépanneurs de premier niveau. Nous devons travailler à leur professionnalisation en les formant et en créant un réseau, pour qu'ils puissent accomplir de la meilleure façon ces missions qui ne relèvent pas forcément d'un technicien qualifié, localisé parfois à quarante ou cinquante kilomètres du lieu d'intervention.
S'agissant du rôle de responsable de programme, la question est importante et complexe et vous me pardonnerez la rapidité de ma réponse. Je pense d'abord être une directrice de réseau, le réseau des services judiciaires. Mon objectif est d'améliorer le service public de la justice, pour que le service rendu au justiciable soit de meilleure qualité et que, par là même, les personnels judiciaires travaillent dans les meilleures conditions. Dans ce cadre-là, je trouve des marges de manoeuvre. Il s'agit d'améliorer les process et l'adéquation des dépenses aux besoins et de professionnaliser les filières. Nous disposons d'indicateurs et de moyens dans un contexte budgétaire, certes, contraint, mais dans lequel il existe des marges de manoeuvre. Nous souhaitons que la situation budgétaire de notre administration continue à s'améliorer et, à cet égard, les déclarations du Premier ministre hier – que le sous-directeur du budget a entendu, à n'en pas douter – sont de nature à rassurer.
Vous avez évoqué les perspectives pour l'année à venir. En 2016, nous avons bénéficié de moyens supplémentaires pour les frais de justice, à hauteur de 54 millions d'euros, au titre du plan de lutte contre le terrorisme. Nous avons fléché ces moyens principalement vers l'apurement des charges à payer – ce qui me permet de répondre à une autre question – et donc faire en sorte de retrouver des marges de manoeuvre. Grâce à ces moyens supplémentaires, nous pouvons mieux prioriser les dépenses courantes et faire en sorte d'avoir une exécution plus fluide.
J'en viens maintenant à la question des réserves émises par le CBCM dans son avis. Ses principales réserves concernaient l'exécution et la soutenabilité budgétaire. Nous avons eu une première réponse, puisque nous avons obtenu un dégel très anticipé des moyens il y a trois semaines. Nous avons obtenu 107 millions d'euros en faveur de la justice judiciaire, consacrés pour partie à l'informatique – une vingtaine de millions d'euros – et, pour le reste, aux frais de justice et au fonctionnement courant. Là encore, nous avons donné des directives aux juridictions pour que ces crédits soient principalement consacrés à l'apurement des factures accumulées, afin que le budget de l'année 2017 ne soit pas contraint par des reports de charges de l'année 2016. En effet, nous avons non seulement des moyens trop contraints, mais de surcroît, ils sont en permanence consacrés aux charges qui restent à payer au titre des exercices précédents.
Concernant la trop grande concentration des moyens à Paris et le manque de personnel dans les plus petites juridictions, nous avons à coeur de répartir les moyens de manière équitable. Le tribunal de grande instance de Paris concentrant les moyens de lutte contre le terrorisme, des ETP y ont été créés mais une politique de renforcement des moyens alloués aux juridictions a également été menée car la lutte contre le terrorisme ne se limite pas à l'examen de ces dossiers liés au terrorisme mais relève de l'ensemble de la chaîne pénale, à l'image d'un juge des enfants, qui peut avoir à traiter d'un dossier en lien avec la lutte contre la radicalisation. Ainsi, nous avons obtenu 1 075 ETP supplémentaires, mais aussi et surtout un budget pour chacun d'entre eux. Nous avons appelé cela le « sac à dos de chaque ETP », qui correspond au coût de fonctionnement d'un nouvel arrivant. Il s'agit d'un véritable avantage financier pour les juridictions, qui s'est traduit par une hausse de leurs budgets et une revalorisation des conditions de travail.
Je ne dispose pas d'un bilan de la réforme de la carte judiciaire. Néanmoins, la Cour des comptes, après publication d'un rapport sur le sujet, a conclu que le solde financier de la réforme était positif. Si l'investissement initial de 500 millions d'euros, pour faire face à cette réforme, était élevé, les économies réalisées par le regroupement des services ont permis de l'absorber. Cependant la dispersion des tribunaux de taille modeste constitue un problème important auquel nous nous heurtons toujours.
La politique de recrutement mise en oeuvre vise à développer le recrutement parallèle de magistrats : cette solution permet de ne pas saturer l'École nationale de la magistrature plus qu'elle ne l'est déjà – l'actuelle promotion contient 366 auditeurs. La première mesure a consisté à raccourcir de dix-huit à six mois la procédure de détachement judiciaire qui permet aux conseillers de chambre régionale des comptes et aux conseillers de tribunaux et de cours administratives d'appel, dans le cadre de leur mobilité obligatoire, de rejoindre les rangs des magistrats judiciaires. Ensuite, nous avons pour objectif d'augmenter le plafond des vacations pour les magistrats temporaires et réservistes afin d'augmenter leur volume de travail. Enfin, le recrutement en tant que magistrats de juristes-assistants, au bout de trois ans de contrat, va être désormais possible.
À propos de la visioconférence, tous les tribunaux en sont aujourd'hui équipés. Nous ne disposons donc plus d'indicateurs au sein de nos documents budgétaires pour évaluer l'efficacité et l'efficience de l'utilisation de cet outil. Il est vrai que son utilisation dépend de la volonté des magistrats, des justiciables mais aussi et surtout des avocats. Néanmoins pour des contentieux délicats comme ceux liés aux libertés, la pratique juridictionnelle s'oriente naturellement vers le face à face physique.
Nous disposons d'un tableau de suivi des crédits dédiés au terrorisme et nos services sont capables de restituer intégralement l'utilisation de ces crédits. Ils ont permis de concrétiser le renforcement des personnels de greffe et des magistrats, mais aussi d'améliorer l'équipement des juridictions.
Enfin, une piste d'amélioration réside dans le recrutement d'interprètes contractuels en fonction des langues dominantes dans certaines juridictions. Cette solution permettrait d'éviter la multiplication des interventions de certains interprètes et de fluidifier leurs interventions en restreignant leurs activités à une juridiction délimitée. L'expérience s'est traduite par le recrutement de 45 interprètes et sera généralisée si son efficacité est avérée.
Nous travaillons aussi sur les scellés biologiques et sur les biens saisis en lien avec l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC). En outre, nous constatons une diminution des frais de justice consacrés aux écoutes selon le rapport de la plateforme nationale des interceptions judiciaires.
Pour conclure, je dirai que nous savons contenir les dépenses, mais que l'objectif essentiel reste d'adapter les dépenses aux besoins pour qu'un magistrat, quelles que soient les missions qu'il exerce, puisse bénéficier de tous les moyens nécessaires à l'accomplissement de ces missions.