Intervention de Isabelle Gorce

Réunion du 14 juin 2016 à 18h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Isabelle Gorce, directrice de l'administration pénitentiaire :

Sur les questions d'informatique, l'interfaçage de Cassiopée et d'Api, est efficace ; en revanche, il n'y a pas d'interface entre Cassiopée et Genesis, mais celle-ci est en cours pour une livraison prévue à la fin de l'année 2017.

Concernant les partenariats public-privé, on peut comparer les coûts d'une journée de détention. En 2014, en gestion publique, le coût a été estimé à 101,55 euros ; en gestion déléguée à 92,20 euros ; en autorisation d'occupation temporaire-location avec option d'achat (AOT-LOA) à 127,59 euros et en partenariat public-privé à 158,28 euros. Bien évidemment, le coût d'une journée de détention financé par le partenariat public-privé intègre les coûts d'investissement, ce qui n'est pas le cas par l'intermédiaire d'une gestion publique ou déléguée. L'intérêt d'un tel partenariat réside dans la rapidité de construction de l'ouvrage et donc dans la célérité des délais de livraison. Cependant, la gestion de ce type de contrat est complexe car l'administration se trouve liée pendant une longue période à un partenaire privé envers lequel elle ne dispose que de peu de marges de manoeuvre pour faire évoluer le contrat.

À propos des pôles de rattachement des extractions judiciaires (PREJ), je souhaiterais revenir sur les difficultés que nous rencontrons avec les juridictions et les gendarmes. Deux arbitrages successifs sont intervenus, un premier à la fin des années 2000 ayant permis le transfert de 800 emplois, puis un autre, en 2013, validant le principe du transfert total de charges entre le ministère de l'intérieur et le ministère de la justice, représentant 1 200 emplois. L'administration pénitentiaire a toujours maintenu que ce transfert de 1 200 emplois pour effectuer la totalité des extractions judiciaires était insuffisant. La situation est devenue insoutenable dès la fin de l'année 2014 et le début de l'année 2015, avec en certains endroits des impossibilités de faire à hauteur de 25 %, 30 % voire 50 %.

C'est la raison pour laquelle, au moment de la discussion sur le deuxième plan de lutte contre le terrorisme, nous avons demandé la création de 450 d'emplois pour augmenter les effectifs des PREJ. Aujourd'hui, 1650 emplois sont dédiés à cette nouvelle charge mais ces effectifs servent avant tout à renforcer les services qui sont opérationnels et ensuite à préparer les prochains transferts de charges. C'est pour l'ensemble de ces raisons que la situation est extrêmement critique dans certains départements.

Nous n'avons pas de solution pour arriver à un niveau satisfaisant d'extraction judiciaire. Avec 1 650 emplois, nous aurons encore des impossibilités de faire de l'ordre de 5 à 10 %, ce qui est un taux assez élevé. Le principe de subsidiarité doit demeurer, notamment avec la gendarmerie. Si nous ne contestons pas ce transfert de charges, il pose des problèmes d'organisation.

Nous avons fait le choix d'un regroupement des équipes pour constituer des forces importantes plutôt que d'une dissémination auprès des juridictions, mais ce choix a pour conséquence des temps de transport et des temps de mise à disposition des personnels que ne connaissent pas les gendarmes. Un gendarme, quand il ne fait pas d'extraction judiciaire, a une autre activité alors que notre personnel, lui, est uniquement dédié à cette tâche. Notre système est donc beaucoup plus rigide que celui qui existait précédemment. L'organisation des audiences au niveau des juridictions en est profondément modifiée. Beaucoup d'extractions judiciaires font l'objet d'annulations et il n'est alors pas facile de remobiliser un équipage sur une nouvelle extraction. Au manque de souplesse des équipages s'ajoute le manque d'anticipation de la part des juridictions. Je reconnais que la situation est extrêmement tendue dans certaines cours d'appel.

Vous avez évoqué, monsieur le président Raimbourg, la question des places inoccupées dans beaucoup d'établissements pénitentiaires. Vous avez dit que ces places, majoritairement destinées à des femmes ou à des mineurs, ne pouvaient être utilisées pour des hommes majeurs qui sont les plus nombreux dans les établissements pénitentiaires. J'ajoute qu'un certain nombre de ces places inoccupées sont celles mobilisées pour les quartiers arrivants qui ne seront jamais occupées à temps complet par des personnes détenues. Il est vrai cependant que l'on est surdoté en places en maison centrale par rapport à nos besoins. Les maisons centrales classiques, qui autrefois accueillaient entre 200 et 300 détenus, en ont aujourd'hui moins de 200, voire moins de 150. La sous-occupation, structurelle, est due au fait que les détenus sont difficiles et les besoins d'encadrement importants. Des établissements comme Saint-Maur ou Clairvaux ont un nombre de détenus très inférieur au nombre de places opérationnel.

Un certain nombre de places en centre de détention sont aussi inoccupées. Nous voudrions obtenir une vitesse de rotation plus importante, mais nous heurtons à la longueur de la procédure d'orientation des condamnés. Cette procédure est trop longue pour deux raisons : tout d'abord parce qu'il est difficile d'obtenir l'ensemble des pièces judiciaires pour constituer les dossiers d'orientation et je suis très favorable à la simplification de cette procédure, notamment pour les condamnés à des peines inférieures à deux ans pour lesquels l'affectation ne constitue pas un enjeu considérable, contrairement aux affectations dans des établissements sensibles de profils difficiles qui nécessitent plus de temps ; d'autre part parce que les maisons d'arrêt sont surencombrées et que les greffes connaissent un état de saturation très élevé. Le turnover est insuffisant dans les centres de détention.

Vous avez évoqué la question de l'attractivité et de la volonté exprimée par les surveillants de ne pas rester dans les établissements de la région parisienne. Le nombre de départs est effectivement très important après quelques mois d'exercice à Fleury-Mérogis ou dans un autre établissement en région parisienne. Les surveillants, comme beaucoup de jeunes de fonctionnaires, souffrent du coût du logement en région parisienne. Le ministère de la justice est un ministère pauvre par rapport à d'autres en matière de logement social. Il est clair que la justice n'a pas les moyens d'avoir un parc de logements sociaux comme celui de la police ou de l'armée. Nous pourrions peut-être trouver des accords avec le ministère de l'intérieur ou de la défense et bénéficier des réservations que font ces deux ministères auprès des bailleurs sociaux pour leur personnel. Le retard du ministère de la justice sur cette question est important aussi bien pour les surveillants que pour les greffiers.

J'ai peut-être semblé peu enthousiaste sur la question de la prime de fidélisation ; pourtant je suis favorable à une expérimentation. Je pense que l'on peut, via un système de primes, essayer de fidéliser les surveillants sur trois ou cinq ans lors de leur première prise de fonction. Cela ne sera toutefois pas l'alpha et l'oméga car le métier manque d'attractivité et il n'est pas suffisamment reconnu. C'est pourquoi j'ai créé une sous-direction des métiers pénitentiaires. En effet, je pense que c'est un métier qui ne se résume pas à la question de la sécurité, mais touche à la relation et à la prise en charge des personnes placées sous main de justice. Il faut valoriser ce métier et le rendre attractif en étant au plus près des bassins d'emploi, en travaillant sur la question du logement, des salaires et des primes, en particulier celle de fidélisation.

Dans un ministère aussi contraint, les responsables de programme ont surtout une mission d'arbitrage sur des choix de renoncements plus que sur de véritables orientations dans l'affectation des crédits. Il faut préciser que la justice est une administration fortement déconcentrée : les marges de manoeuvre sont beaucoup plus importantes dans les directions interrégionales qu'en administration centrale.

Les crédits de fonctionnement de l'administration pénitentiaire se répartissent entre des dépenses obligatoires (alimentation, eau, fluides, énergie, cantines…) à hauteur de 51 %, des dépenses contraintes (sécurité passive, transport des personnes détenues, entretien et nettoyage des établissements) à hauteur de 29 % et des dépenses de réinsertion à hauteur de 20 %. La marge de manoeuvre est donc extrêmement étroite et, de fait, c'est l'immobilier déconcentré qui supporte la charge des différentes annulations budgétaires pour garder des possibilités d'actions sur les crédits de fonctionnement.

Les besoins de l'administration pénitentiaire pour maintenir à un niveau correct les établissements pénitentiaires du parc classique se situent entre 120 et 130 millions. Cette année, nous avons disposé pour le parc immobilier de 65 millions d'euros, c'est-à-dire que nous sommes au plancher de notre capacité à assurer la maintenance de nos établissements pénitentiaires. En conséquence ils vieillissent et ce d'autant plus vite qu'ils sont suroccupés. Ce manque de moyens a pour conséquence une gestion complexe, des contrôles pas toujours agréables et parfois des contentieux, notamment en outre-mer. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté ne nous épargne pas. Même si la construction d'établissements neufs était indispensable, il est regrettable qu'on sacrifie le parc classique de manière aussi constante.

Les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) se plaignent de ne pas avoir été pris en considération lors de la signature du relevé de conclusions du 14 décembre 2015. Ce relevé de conclusions a été signé par la ministre, Mme Christiane Taubira, avec les représentants des syndicats des personnels de surveillance à la suite d'un mouvement social auquel ils ne s'étaient pas associés. Ils n'ont donc pas bénéficié des avantages, notamment indemnitaires, accordés aux personnels de surveillance. Depuis janvier, nous sommes dans une période de négociation. Les personnels d'insertion et de probation ont en charge des missions très importantes au sein de l'administration pénitentiaire et méritent toute notre considération et notre reconnaissance. Nous allons sortir de ce conflit dans les semaines qui viennent.

Enfin, quelques mots sur la formation des personnels sur la question de la radicalisation. Nous avons demandé à l'ENAP de construire des programmes de formation initiale et continue. L'aspect le plus spectaculaire a été la création par l'ENAP d'un film pédagogique visant à sensibiliser les personnels de surveillance mais aussi les CPIP sur les signaux faibles de radicalisation. Des grilles de détection des processus de radicalisation sont également en cours de test dans les établissements pénitentiaires.

Dernière question sur les enjeux de recrutement : faut-il construire une seconde école ? On peut construire une seconde école, mais on peut aussi construire sur le site d'Agen un bâtiment d'hébergement et des bâtiments de formation. C'est une option plus économe et plus rapide que la construction d'une seconde école, qui suppose des moyens et des capacités que l'administration n'est pas certaine d'avoir et des délais plus importants. L'administration pénitentiaire, dont le nombre d'agents augmente d'année en année, doit se doter de structures de formation continue beaucoup plus performantes. On pourrait coupler le renforcement de l'ENAP à Agen avec la construction de bâtiments de formation continue au sein des directions interrégionales. Cela permettrait de densifier la formation continue et de revoir l'organisation de la formation initiale.

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