Intervention de Adeline Hazan

Réunion du 15 juin 2016 à 11h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté :

Je vous remercie d'avoir bien voulu procéder à mon audition. En vertu de la loi, le Contrôleur général remet son rapport d'activité annuel au Président de la République, au président de l'Assemblée nationale et au président du Sénat. Néanmoins, il me semble important que ce rapport fasse l'objet d'une présentation spécifique et donne lieu à un débat devant la commission des Lois de chaque assemblée.

Je commencerai mon exposé de la même manière que mon rapport d'activité annuel, par un préambule qui ne vous étonnera pas : certes, 2015 a été une année extrêmement lourde, difficile et grave pour l'ensemble de nos concitoyens – tel est également le cas de ce premier semestre de 2016 –, mais elle a aussi été une année extrêmement sombre pour les droits fondamentaux et les libertés individuelles. Quelle que soit la gravité de la situation à laquelle est confronté notre pays, il est des valeurs fondamentales sur lesquelles nous ne devons pas transiger. Tel sera le sens de mon intervention.

Comme chaque année, nous avons visité 150 établissements. Les contrôleurs sont en mission quinze jours par mois, tout au long de l'année, en immersion totale dans les établissements. J'ai choisi de vous résumer à gros traits les constats que nous avons faits au cours de l'année 2015 dans les principales catégories d'établissements que nous contrôlons.

En ce qui concerne les prisons, auxquelles se rapporte une grande partie de notre activité, le phénomène le plus important est la surpopulation carcérale. C'est même, selon moi, le fléau de la justice dans son ensemble.

Après avoir très légèrement baissé en 2014, la population carcérale a augmenté à nouveau d'environ 2 % en 2015. Au 1er avril 2016, 68 361 personnes étaient écrouées dans les prisons françaises, pour 58 787 places. Le nombre de détenus dépasse donc le nombre de places d'environ 10 000. Et, dans notre pays dit « des droits de l'homme », 1 900 détenus dorment par terre sur des matelas, ajoutés dans des cellules déjà suroccupées.

Le taux d'occupation des prisons françaises est, en moyenne, de 137 %. Au centre pénitentiaire de Fresnes, il atteint 198 %, avec 1 200 détenus installés comme troisième occupant dans des cellules prévues pour deux.

J'ajoute que les conditions de travail des personnels deviennent de plus en plus difficiles, voire anormales, ce qui a des conséquences sur les droits fondamentaux des détenus.

La France est pointée du doigt par le Conseil de l'Europe comme un des pays les plus problématiques en matière de surpopulation carcérale. Je le dis devant les élus de la Nation : les pouvoirs publics ont, semble-t-il, pris conscience de la gravité de la situation, mais ils ne se sont pas donné, à ce jour, les moyens suffisants pour y remédier.

La loi relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales, dite « loi Taubira », que vous avez votée le 15 août 2014, a instauré un certain nombre de mesures alternatives à l'incarcération très intéressantes, mais elle produit, malheureusement, très peu d'effets. Il s'agit désormais d'en comprendre précisément les raisons. Le Gouvernement doit remettre un rapport d'évaluation de la loi dans les deux ans suivant sa promulgation, c'est-à-dire bientôt. Je vous suggère de l'examiner en détail.

Selon moi, d'autres solutions sont nécessaires. À ce stade, en tant que Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, ainsi que je l'ai déjà dit dans cette enceinte, j'estime qu'il faut envisager une forme de régulation carcérale.

Non seulement la surpopulation carcérale rend les conditions de séjour et de prise en charge indignes dans les cellules, mais elle a aussi des conséquences en cascade dont il faut être pleinement conscient : compte tenu de cette surpopulation, les droits fondamentaux reconnus aux détenus ne sont pas respectés, qu'il s'agisse du droit à la santé – le nombre de médecins étant insuffisant par rapport au nombre de détenus –, du droit au maintien des liens familiaux – le nombre de parloirs étant trop faible – ou du droit au travail et à la formation professionnelle.

Par ailleurs, la situation des prisons reste très inquiétante en matière de sécurité, de salubrité et d'hygiène.

Enfin, la question des fouilles mérite, selon moi, une discussion spécifique. L'amendement que le Parlement a voté en la matière ne respecte pas les droits fondamentaux des personnes privées de liberté.

Pour terminer, je signale que le nombre de suicides en prison a encore augmenté en 2015 et qu'il n'a jamais été aussi important. Selon l'Institut national d'études démographiques (INED), on se suicide sept fois plus en prison qu'au dehors.

Les centres de rétention administrative (CRA), quant à eux, sont encore dans un état indigne. Surtout, j'appelle l'attention du législateur sur le fait que, en 2015, des mesures de placement en centre de rétention ont été utilisées à des fins qui ne sont pas conformes à la loi : des personnes ont été transférées dans sept centres de rétention aux fins de gérer la situation de crise, certes très problématique, prévalant à Calais, et non à des fins d'expulsion, ainsi que le prévoit la loi. La plupart de ces personnes n'étaient pas expulsables, dans la mesure où elles venaient de pays tels que le Soudan, l'Érythrée et la Somalie. J'ai rendu un avis sur cette question.

Autre point problématique : alors que l'assignation à résidence doit être, aux termes de la loi, une mesure de substitution au placement en centre de rétention, nous nous apercevons que, trop souvent, dans la pratique, elle s'y ajoute, étant utilisée pour faciliter ce placement le lendemain ou dans les jours qui suivent.

Depuis sa création en 2008, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dénonce – mon prédécesseur l'a fait et je le fais depuis deux ans – des atteintes extrêmement fortes au droit à la dignité humaine dans les locaux de garde à vue, qui sont environ 4 000. La situation ne s'améliore pas. Il s'agit non seulement de graves problèmes d'hygiène – couvertures sales, matelas défectueux, peintures non refaites –, ainsi que vous devez le constater vous-mêmes dans vos circonscriptions respectives, mais aussi d'atteintes importantes à la dignité. Comme vous le savez, il est possible de retirer les objets et accessoires – ceinture, lunettes, soutien-gorge, etc. – aux personnes gardées à vue, lorsqu'il y a des indices qui laissent supposer qu'il peut se passer quelque chose. Or, au nom d'un principe de précaution maximum, cela se fait de manière systématique, ce que nous dénonçons. Cela devrait se faire au cas par cas, en fonction des situations.

J'ai fait des hôpitaux psychiatriques une des priorités de mon mandat. Nous constatons une très grande disparité entre les hôpitaux en ce qui concerne la prise en charge des malades psychiatriques et le respect de leurs droits fondamentaux, non seulement d'un hôpital à l'autre, mais aussi d'un service à l'autre, voire d'un étage à l'autre. En matière de droits fondamentaux, nous nous intéressons notamment à la mesure d'isolement, au port obligatoire du pyjama et à l'interdiction de voir la famille pendant une certaine durée. Nous ne contestons pas que ces mesures peuvent être utiles, voire indispensables, au cas par cas, mais nous dénonçons, là encore, leur caractère systématique et, dès lors, attentatoire à la dignité humaine.

D'une manière générale, nous observons un recours trop banalisé aux mesures de contrainte et d'isolement. Rappelons que nous contrôlons les placements sous contrainte dans les établissements psychiatriques, non les placements libres. Le placement sous contrainte, qu'il ait été ordonné par le préfet ou effectué à la demande d'un tiers, est une mesure extrêmement restrictive de la liberté de circulation. Elle est évidemment nécessaire dans certains cas. Mais, dans le cadre de cette restriction, il en existe une plus grave encore : le placement dans une chambre d'isolement, avec des mesures de contention – on attache le malade par les bras et également, parfois, par les pieds.

À partir de 2009, le Contrôleur général et certains parlementaires, notamment MM. Denys Robiliard et Jean-René Lecerf, ont dénoncé ces pratiques. Nous avons été entendus, puisque vous avez voté des dispositions à ce sujet dans la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. Jusqu'à la promulgation de ce texte, ces mesures n'étaient encadrées ni par la loi ni par le règlement, et étaient appliquées sans formalité, presque de manière banale. Dans ce contexte, j'ai souhaité publier, le 25 mai dernier, un rapport thématique spécifique sur « l'isolement et la contention dans les établissements de santé mentale », dans lequel je demande que l'on assigne un certain nombre de limites à ces mesures : on ne doit les appliquer qu'en dernier recours, sur la décision d'un médecin, pour une durée extrêmement limitée.

Outre les quelque 150 rapports de visite annuels qu'il produit avec son équipe, le Contrôleur général peut émettre des recommandations en urgence et des avis de portée plus générale, qui sont publiés au Journal officiel.

En 2015, j'ai formulé à deux reprises des recommandations en urgence.

Les premières, datées du 13 avril 2015, concernaient la maison d'arrêt de Strasbourg. Lors d'une visite, nous y avions repéré des atteintes gravissimes aux droits fondamentaux, en sus de problèmes d'hygiène, de l'utilisation de la vidéosurveillance dans des lieux médicaux et d'une protection insuffisante des détenus. Concernant ce dernier point, un détenu avait prévenu le médecin et les autorités de l'établissement qu'il était menacé et avait demandé qu'on le change de cellule ; mais ce changement n'a pas été fait de manière suffisamment rapide, et il a été violé dans sa cellule la nuit suivante.

Les secondes recommandations en urgence que j'ai émises, le 13 novembre 2015, portaient sur les déplacements collectifs de personnes étrangères interpellées à Calais. Nous y avons dénoncé un traitement de masse des déplacements qui ne respectait pas la procédure de rétention, dans la mesure où il était justifié non pas par l'objectif d'éloignement, mais seulement par la volonté de désengorger la ville de Calais.

Nous avons publié trois avis en 2015.

Dans l'avis du 11 juin 2015 relatif à la prise en charge de la radicalisation islamiste en milieu carcéral, j'ai pris position contre le regroupement des détenus dans des unités dédiées où devaient être mis en oeuvre des programmes dits « de déradicalisation », désormais appelés « programmes de désengagement ». De premières unités dédiées ont été mises en place dans cinq établissements au cours du premier semestre de 2016. Nous les avons toutes visitées et avons rencontré tous les détenus concernés. Nous avons déjà remis notre rapport au ministre compétent et rendrons un avis public à ce sujet au début du mois de juillet.

Dans l'avis du 16 juin 2015 relatif à la prise en charge des personnes détenues au sein des établissements de santé, nous dénonçons le fait que, systématiquement, lors des extractions médicales vers les hôpitaux de proximité, les détenus sont examinés, voire subissent des opérations chirurgicales, en présence de surveillants, lorsqu'ils ne sont pas en outre menottés ou entravés. On ne tient pas compte du niveau de sécurité : même les détenus qui ne sont pas dangereux, auxquels on doit en principe appliquer le niveau 1, sont examinés en présence de surveillants, ce que nous considérons comme inacceptable. Dans notre pays, il arrive encore que des femmes accouchent en prison en présence d'une surveillante, parfois même en étant menottées, malgré l'interdiction formelle de telles pratiques par la loi de 2009, rappelée par une note de l'administration pénitentiaire.

Dans l'avis du 5 octobre 2015 relatif à la rétention de sûreté, j'ai demandé l'abrogation totale de cette mesure, car elle est contraire aux principes généraux du droit pénal français, dans la mesure où elle opère une séparation entre la culpabilité et la condamnation. Pour la première fois dans notre pays, il est permis, depuis la loi qui a instauré la rétention de sûreté, de retenir une personne condamnée qui a purgé sa peine.

Tels sont les points les plus saillants de mon rapport d'activité 2015.

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