Madame Untermaier, ainsi que je l'ai indiqué, je m'interroge sur les motifs du faible recours aux mesures alternatives à l'incarcération que vous avez votées dans le cadre de la loi du 15 août 2014, qu'il s'agisse de la contrainte pénale ou d'autres dispositions. Je sais que vous allez vous pencher sur la question.
Compte tenu de l'état du parc pénitentiaire, il est évidemment nécessaire de créer un certain nombre de places de prison, mais ce n'est pas, loin s'en faut, la seule solution. Mme Taubira avait annoncé le chiffre de 6 000 places ; M. Urvoas a annoncé celui de 12 000 places d'ici à 2025. Je ne crois pas que cette course à l'inflation carcérale soit une bonne solution. Il faut travailler d'abord sur les mesures alternatives à la prison.
D'une part, il faudrait que les pouvoirs publics et le législateur aient, un jour, le courage de mener une véritable réflexion – cela n'a jamais été fait – sur l'opportunité des courtes peines d'emprisonnement, c'est-à-dire celles de quelques mois. Outre qu'elles contribuent à la surpopulation carcérale, elles ont très peu de sens : la durée de ces peines est trop courte pour préparer un projet de sortie, mais elle est suffisamment longue pour avoir des conséquences désastreuses telles que la perte du travail ou du logement.
D'autre part, il faudrait avoir le courage de généraliser ce que j'appelle la « régulation carcérale », qui se fait déjà dans le ressort de certains tribunaux ou établissements pénitentiaires. Dès lors que le taux d'occupation devient inacceptable dans une prison – on n'accepte pas, par exemple, qu'il y ait des matelas installés par terre –, une concertation a lieu entre le directeur de l'établissement et les magistrats afin de reporter l'exécution de certaines peines, notamment les plus courtes – toutefois, le report ne doit pas être trop important car, sinon, la peine perd de son sens –, ou de faire sortir, avec un aménagement de peine, des détenus dont la peine approche de son terme. M. Raimbourg avait d'ailleurs fait, il y a quelque temps, des propositions en ce sens. Nous n'arriverons pas à réduire la surpopulation carcérale si nous n'avons pas ce courage.
En ce qui concerne les détenus présentant des troubles psychiatriques, les chiffres sont beaucoup plus importants que ceux que vous avez cités. Le problème est que l'on ne dispose pas de chiffres précis, dans la mesure où aucune étude épidémiologique n'a été conduite depuis une dizaine d'années. Mais, de façon empirique, l'ensemble des professionnels estiment qu'environ 70 % des détenus présentent des troubles psychiatriques au sens large – en intégrant les troubles anxio-dépressifs – et environ 25 % sont atteints de troubles graves tels que la psychose.
Un progrès a été réalisé avec la création des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), où les détenus peuvent être mieux soignés qu'ils ne l'étaient au sein de la prison. Mais il n'y a pas encore suffisamment d'UHSA.
Vous avez tout à fait raison : l'articulation entre les soins en prison et les soins au dehors n'est pas suffisante. Je souscris tout à fait à votre idée d'un protocole entre les ministères de la justice et de la santé afin d'assurer une continuité des soins. Au centre hospitalier Sainte-Anne, il existe une consultation spécifique pour les personnes sortant de prison. Il serait intéressant de dupliquer cette expérience, pour l'instant assez isolée.
Madame Capdevielle, nous sommes très souvent saisis sur la question des prisonniers basques. C'est une de nos préoccupations. Je ne me prononcerai pas sur leur revendication principale, à savoir le statut de prisonnier politique, car cela ne relève pas de ma compétence.
Actuellement, il y a en effet quatre-vingt-trois détenus basques, dont seize femmes, dans les prisons françaises. Ainsi que vous l'avez indiqué, le problème le plus important est la distance entre leur lieu de détention et leur lieu d'origine. Ceux qui sont en détention provisoire sont, pour la plupart, regroupés en région parisienne, où se trouve le pôle antiterroriste. Les autres sont répartis dans vingt-quatre établissements, les femmes étant encore plus désavantagées que les hommes, dans la mesure où il n'existe pas d'établissement pour peine accueillant des femmes dans le sud de la France. Les familles font en moyenne sept heures et demie de trajet pour rendre visite à leurs proches en prison, ce qui pose d'importants problèmes.
La doctrine du Contrôleur général en la matière est la suivante : du fait de la distance, il faut absolument assouplir les modalités des visites afin de garantir le maintien des liens familiaux, notamment en accordant des parloirs prolongés – il arrive que tel soit le cas, mais pas assez souvent – et, surtout, en donnant un accès assez large aux parloirs familiaux et aux unités de vie familiale (UVF). Il n'est pas acceptable que des familles qui font sept heures et demie de route à l'aller et autant au retour ne puissent voir leurs proches que pendant une heure.
Nous demandons également que les retards soient gérés de manière un peu plus souple. Nous avons été saisis par des familles qui avaient fait sept heures et demie de route, étaient arrivées en retard de dix minutes et n'avaient pas été acceptées au parloir. Ce n'est pas admissible.
Les autres motifs de récrimination des prisonniers basques concernent le recours à des moyens de contrainte jugés trop importants. Rappelons qu'ils font partie des détenus particulièrement signalés (DPS). À cet égard, nos recommandations sont les mêmes que pour l'ensemble des détenus très surveillés, notamment de limiter le recours aux moyens de contrainte lors des extractions médicales – ce qui n'est pas le cas actuellement, ainsi que je l'ai relevé dans mon avis du 16 juin 2015 – et de ne pas réveiller ces détenus quatre ou cinq fois par nuit. Nous avons interpellé la direction de l'administration pénitentiaire sur cette dernière pratique. Nous pensons qu'il y a d'autres moyens de surveiller les détenus.
Madame Karamanli, j'ai terminé mon rapport d'activité 2015 en indiquant qu'il était inadmissible qu'un certain nombre de recommandations n'aient pas été suivies d'effet, en particulier certaines recommandations très importantes relatives aux droits fondamentaux formulées de manière répétée depuis 2008.
Nous avons décidé de nous doter d'un véritable tableau de bord pour suivre l'application de nos recommandations. Auparavant, nous faisions seulement un bilan sur la mise en oeuvre de certaines préconisations, d'un rapport annuel à l'autre. Désormais, nous disposerons d'un recueil compilant, pour chaque type d'établissement, tous les constats de dysfonctionnement, ainsi que toutes nos recommandations et propositions, quelle que soit leur importance, qu'elles aient un caractère très concret ou, au contraire, transversal et fondamental, impliquant le cas échéant une modification de la loi. Sur cette base, nous aurons des discussions avec les ministres concernés et leurs cabinets : nous leur demanderons, pour chaque mesure que nous avons recommandée, si elle a été suivie d'effet, à quelle date et, dans la négative, pourquoi elle ne l'a pas été.
Après de nombreuses condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l'homme, l'article 57 de la loi pénitentiaire de 2009 a encadré les fouilles dans les établissements pénitentiaires en définissant un certain nombre de critères et de conditions. Dans mon rapport d'activité 2015, j'ai interpellé le Gouvernement sur le fait que ces dispositions n'étaient pas appliquées de façon suffisamment homogène : nous avons constaté qu'elles l'étaient dans certains établissements, mais que, dans beaucoup d'autres, les fouilles restaient trop systématiques. J'ai donc demandé au Gouvernement de procéder à des évaluations et de donner des instructions pour que l'article 57 de la loi de 2009 soit mieux respecté.
Je dois dire que je n'ai pas été vraiment entendue, puisque c'est le contraire qui s'est produit : en 2016, le Parlement a voté un amendement du Gouvernement à l'article 57 de la loi de 2009 disposant que, dès lors qu'il existe un risque d'introduction d'objets interdits dans l'établissement pénitentiaire, des fouilles aléatoires peuvent être pratiquées, pendant une période déterminée, indépendamment de la personnalité des détenus. À mon sens, en dépit de certaines précautions de style, ce nouvel alinéa n'est pas conforme à la Convention européenne des droits de l'homme, car le fait de poser le risque d'introduction d'objets illicites comme seul critère permet de rétablir des fouilles quasi systématiques. En effet, je défie quiconque de trouver un établissement pénitentiaire où ce risque n'existe pas.
J'avais d'ailleurs adressé une lettre aux présidents des commissions des Lois du Sénat et de l'Assemblée nationale, ainsi qu'à tous les membres de la commission mixte paritaire, pour les alerter sur le recul extrêmement grave que constituait cette disposition en termes de droits fondamentaux.
Nous avons évidemment des échanges avec d'autres autorités administratives indépendantes, notamment avec le Comité européen pour la prévention de la torture, qui condamne, lui aussi, les fouilles systématiques.