Merci, madame la Contrôleure générale, pour votre exposé et vos premières réponses.
Ma première observation sera, je le pense, partagée par tous : le moins que l'on puisse dire est que la situation n'est pas brillante. Elle ne l'était déjà probablement pas les années précédentes, et tout, dans votre propos, indique qu'elle se serait dégradée en 2015, ce qui n'est bon ni pour les libertés publiques ni pour un État de droit tel que le nôtre.
Je ne suis pas un fanatique de l'incarcération : j'ai toujours pensé qu'elle n'était pas une fin en soi, mais je pense aussi qu'elle est, malheureusement, indispensable dans certaines situations et pour répondre à certaines problématiques, que ce soit pour maintenir l'ordre public ou pour apporter une réponse aux victimes. Quelquefois, elle est dans l'intérêt de l'auteur de l'infraction lui-même.
Il y a deux questions en matière d'incarcération. La première, c'est le choix que fait le juge de prononcer une peine d'incarcération ou bien une peine alternative à l'incarcération, en utilisant tout le dispositif législatif à sa disposition. Vous avez indiqué que les mesures prévues par la loi du 15 août 2014 étaient très peu appliquées. Cela renforce la position que certains d'entre nous et moi-même avions défendue, à savoir que la contrainte pénale n'était pas un « bon produit » pour répondre à ce que vous avez appelé la « surpopulation carcérale ».
La deuxième question, c'est le fait que la peine prononcée par le magistrat – alors même qu'il disposait d'autres outils au cas où il aurait souhaité ne pas priver totalement de sa liberté l'auteur de l'infraction – n'est pas exécutée. À cet égard, je me permets une observation à propos des expressions « inflation pénitentiaire » et « surpopulation carcérale » que vous avez employées. À mon avis, on les utilise un peu trop et, surtout, mal à propos. Car, si l'on parle de « surpopulation carcérale », cela signifie que le nombre de places de prison est suffisant, mais qu'il y a trop de détenus et qu'un certain nombre d'entre eux ne devraient pas être en prison. Or, aujourd'hui, le nombre de places de prison est insuffisant, avec des personnes condamnées qui devraient être détenues mais ne le sont pas, car les peines de prison ferme prononcées par les tribunaux ne sont pas appliquées. Pour le reste, j'ai bien entendu ce que vous avez dit à propos des peines courtes, qui devraient quelquefois bénéficier d'aménagements de la part du juge d'application des peines, à condition que ceux-ci soient compris par la société, en particulier par les victimes – c'est une vraie question.
Selon moi, plutôt que de parler d'« inflation pénitentiaire » et de « surpopulation carcérale », il faudrait que nous nous mettions d'accord une fois pour toutes, majorité et opposition, comme cela se fait dans de nombreuses démocraties analogues à la nôtre, sur le niveau qu'il convient d'atteindre en termes de places de privation de liberté dignes en milieu carcéral, afin que nous menions une politique de construction, d'entretien et d'adaptation des locaux pénitentiaires sur la longue durée – d'un Gouvernement à l'autre, d'une législature à l'autre, d'un Contrôleur général à l'autre –, plutôt que de nous livrer à ce yoyo dévastateur qui consiste à être, selon les moments, pour puis contre le « tout carcéral », ces deux positions n'ayant aucune justification intellectuelle et rationnelle. On perd du temps au détriment des libertés publiques, des victimes qui n'y comprennent rien, des personnes qui sont incarcérées, de celles qui devraient l'être mais ne le sont pas et se trouvent, dès lors, dans une situation insoluble, bref, de la société tout entière.
Ces observations appelleront peut-être des réactions de votre part. En tout cas, je vous serais reconnaissant des précisions que vous pourriez apporter concernant votre ligne en la matière en tant que Contrôleure générale.
Je ne suis pas, je l'ai dit, un fanatique de l'incarcération et du « tout carcéral ». J'ai fait partie de ceux qui ont soutenu la création des centres éducatifs fermés, au point de demander au ministre de la justice de l'époque, M. Dominique Perben, l'installation d'un de ces centres dans ma commune. Ces centres ont connu des difficultés au début, mais en connaissent beaucoup moins aujourd'hui. Le centre éducatif fermé situé dans ma commune a fêté ses dix ans il y a quelques jours, et c'est un succès : les ambitions ont été bien définies ; le dispositif est adapté au public concerné ; c'est une solution alternative à l'incarcération, qui, sinon, serait quasi obligatoire. Vous n'avez pas évoqué les centres éducatifs fermés dans votre propos, ce qui suggère peut-être que, globalement, vous n'avez pas d'interrogation fondamentale sur le fonctionnement de ces établissements, en particulier sur les modalités de la privation de liberté appliquées aux jeunes confiés à ces centres. Pouvez-vous nous donner des éléments d'appréciation à ce sujet ?
Comme beaucoup de mes collègues, je m'efforce de visiter régulièrement des centres pénitentiaires. J'ai souhaité me rendre à celui de Clairvaux, qui me semblait être un lieu à connaître, tant elle suscite de commentaires et occupe une place particulière dans l'imaginaire collectif. À l'issue de la visite très complète que j'y ai faite avec M. Nicolas Dhuicq, député de la circonscription, et de l'entretien très long que j'ai eu avec le directeur et les surveillants, j'ai eu le sentiment que, en dépit du caractère très particulier et historiquement très connoté des locaux, cet établissement pour longue peine accueillait les détenus dans des conditions qui ne semblaient pas indignes. Aucun des détenus que j'ai rencontrés ne m'a fait part du sentiment de vivre dans l'indignité complète. Or nous venons d'apprendre que la prison de Clairvaux serait fermée. Avez-vous une opinion à ce sujet ? Pour toutes les raisons évoquées par mon collègue Nicolas Dhuicq et par l'ensemble des personnels, qui connaissent bien la situation, il me semblerait très dommage que l'on en vînt à fermer cet établissement si cette fermeture ne s'impose pas. Dans le contexte de manque de places que vous avez évoqué, il ne serait pas inutile de conserver, pendant tout le temps où cela sera nécessaire, les places de Clairvaux, qui semblent dans un état globalement convenable au regard de la situation générale.