Merci, monsieur le député, pour vos questions. La première est très vaste.
Je vous rejoins tout à fait lorsque vous indiquez que la position totalement « antiprison » et la position totalement « pour la prison » ne sont ni l'une ni l'autre satisfaisantes. Pour ma part, en tant que Contrôleure générale, je pense que la prison doit être le dernier recours, à plus forte raison lorsqu'il s'agit de courtes peines. Je regrette que cette conviction ou cette culture ne soit pas toujours suffisamment ancrée, notamment chez les magistrats : ils prononcent parfois des peines de prison alors qu'ils pourraient prononcer des peines alternatives à la détention. D'autant qu'ils peuvent désormais aménager la peine au moment du prononcé, ce qui n'était pas le cas il y a encore quelques années. Souvent, ils ne le font pas, et la question est renvoyée au juge d'application des peines. On perd alors du temps sur l'aménagement de la peine.
Quant aux peines non exécutées dont vous parlez, il s'agit en général de peines très courtes. Peu de peines d'une durée moyenne ne sont pas exécutées.
Selon vous, monsieur le député, il n'y aurait pas véritablement de « surpopulation carcérale », et la création de places de prison supplémentaires, actuellement en nombre insuffisant, permettrait de régler le problème. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous : ainsi que je l'ai indiqué dans mon propos liminaire, je pense qu'il faut créer des places, mais il ne faut pas penser que c'est la seule solution. Nous ne devons pas courir derrière un nombre de places toujours plus important. D'une part, cela peut inciter les magistrats à ne pas observer le minimum de précautions nécessaires au regard de la surpopulation dans la maison d'arrêt de leur ressort. D'autre part, ainsi que l'histoire l'a prouvé – je revêts ma casquette de magistrate –, chaque fois que l'on a créé un nombre important de places de prison supplémentaires, elles ont très vite été remplies.
Il m'est difficile de vous répondre sur le nombre de places qu'il faudrait créer. Mme Taubira avait parlé de 6000 places en 2014 et cela me semblait assez raisonnable. Je ne suis pas sûre que le fait de construire 12 000 places d'ici à 2025 soit la bonne solution. Compte tenu du budget actuel de la justice, j'ignore où le garde des Sceaux trouvera les crédits nécessaires.
Vous avez bien fait de m'interroger sur les centres éducatifs fermés. Je ne les ai pas évoqués dans mon propos liminaire faute de temps. Vous avez raison : on ne constate pas, dans ces centres, des problèmes aussi graves que dans les établissements psychiatriques ou pénitentiaires. Vous avez la chance, semble-t-il, d'avoir un centre qui fonctionne bien dans votre circonscription. Il y a, heureusement, de tels centres. Toutefois, on relève un certain nombre de problèmes généraux dans les centres éducatifs fermés. Les observations faites au cours des dernières années concordent toutes sur ce point – la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) a fait un certain nombre d'inspections ; l'inspection générale des services judiciaires et l'inspection générale des affaires sociales ont effectué une mission conjointe il y a un peu moins d'un an ; nous travaillons nous-mêmes actuellement à un rapport sur les mineurs privés de liberté.
Premier problème : on ne trouve pas de personnes pour diriger les centres éducatifs fermés, les fonctionnaires de la DPJJ étant par principe contre les établissements de cette nature. Dès lors, ces centres, qui gèrent des mineurs par hypothèse difficiles, sont souvent dirigés par des personnes très jeunes, notamment des femmes, dont c'est le premier poste, ce qui est source d'un certain nombre de difficultés. Dans de nombreux centres, les équipes sont en crise. D'autant que les membres du personnel sont souvent titulaires d'un contrat à durée déterminée et ignorent s'ils seront encore là dans six mois. Tel est notamment le cas des numéros deux de ces centres.
Autre écueil : dans ces centres, à la différence de ce qui se passe dans les établissements pénitentiaires pour mineurs, on propose très peu d'activités aux jeunes, qui sont, dès lors, fréquemment livrés à eux-mêmes.
Dernier problème : les jeunes sont souvent placés dans des centres très éloignés du lieu où vit leur famille, ce qui rend difficile le maintien des liens avec les parents.
Donc, globalement, le bilan n'est pas suffisamment satisfaisant. J'entrevois néanmoins une lueur d'espoir : tout le monde est conscient de cette situation, et la DPJJ a fait connaître un certain nombre d'orientations qui vont tout à fait dans le sens tant des recommandations issues des diverses inspections que des préconisations du Contrôleur général.
Je ne me suis pas rendue à Clairvaux depuis un certain temps. Le rapport que nous avions établi à l'issue de notre dernière visite, en 2009, n'était pas absolument catastrophique, mais nous avions tout de même considéré que les conditions de prise en charge des détenus n'étaient pas bonnes, notamment du fait d'un aménagement intérieur assez spécial lié à l'histoire de l'établissement. Depuis 2009, il semble – et c'est logique – que ces conditions se soient beaucoup dégradées. Quoi qu'il en soit, il ne m'appartient pas de porter un jugement sur l'opportunité de fermer Clairvaux ou non.
La décision prise de construire un très gros établissement pénitentiaire aux environs de Troyes peut susciter certaines inquiétudes. Car les très gros établissements, tout le monde en convient, ne paraissent pas une solution satisfaisante : certes, les locaux seront mieux adaptés, mais les relations humaines entre les surveillants et les détenus risquent d'être moins bonnes. Si ce projet de construction est engagé, il faudra veiller à ce que l'établissement ne soit pas d'une trop grande ampleur et à ce qu'il soit desservi par des moyens de transport.