Intervention de Joaquim Pueyo

Réunion du 15 juin 2016 à 11h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoaquim Pueyo :

Dans votre rapport d'enquête du 11 juin 2015 sur la prise en charge de la radicalisation islamiste en milieu carcéral, vous vous êtes prononcée contre les unités dédiées, en soulignant que « certains risques ne paraissaient pas avoir été pris en compte, notamment la cohabitation de personnes détenues présentant des niveaux d'ancrage très disparates dans le processus de radicalisation. Les difficultés d'identification des personnes visées ne sont pas résolues, malgré une réévaluation des outils engagée récemment par l'administration pénitentiaire. » Vous indiquiez même que ces unités posaient un problème quant à leur absence de fondement légal.

Je tiens à souligner que ce n'est pas la première fois que l'on crée des unités dédiées dans les prisons françaises : cela a été fait, par exemple, pour les détenus les plus fragiles psychologiquement ou encore pour ceux qui ont été condamnés pour des faits de moeurs, afin de les protéger des autres détenus. Je rappelle également que l'administration pénitentiaire peut, dans certains cas, recourir à l'isolement, qui est bien encadré juridiquement.

J'ai moi-même visité les unités dédiées au centre pénitentiaire de Fresnes et rencontré les détenus individuellement dans leur cellule. Aucun d'entre eux n'a formulé de reproche sur les conditions de détention, qui sont presque les mêmes que celles des autres détenus, à ceci près qu'ils ont l'avantage d'être seuls dans leur cellule, contre deux ou trois pour les autres.

Il est vrai que la surpopulation carcérale favorise l'émergence du prosélytisme et permet à certains détenus d'exercer une influence sur d'autres. Tant que la question de l'encellulement individuel ne sera pas réglée, nous aurons beaucoup de difficultés. La surpopulation est le mal endémique des prisons françaises, avec des conséquences que l'on n'imagine pas nécessairement, sur les conditions de détention des détenus les plus fragiles, mais aussi sur les conditions de travail des personnels. Vous avez probablement pu observer que le nombre de violences, d'insultes et de menaces à l'égard des personnels est en recrudescence. Il s'agit d'un problème majeur.

Dans votre rapport d'activité 2015, vous indiquez que l'« on ne peut réduire la surpopulation carcérale que par la révision de certaines pratiques pénales, notamment en recherchant le développement des alternatives à l'incarcération telles que la surveillance électronique, le placement extérieur ou la semi-liberté ». Je suis d'accord avec vous, mais vous savez très bien que ces décisions sont prises par l'autorité judiciaire, et non par l'administration pénitentiaire, qui a très peu de marge de manoeuvre. Dès lors que l'on respecte l'autorité judiciaire, l'administration doit mettre en oeuvre tous les moyens pour que les décisions de justice soient appliquées.

Or il y a une autre méthode pour réduire la surpopulation pénale : la construction de nouvelles places. Depuis vingt ans, on estime qu'il ne faut pas trop en construire, et l'on construit par phases. Et, pendant ce temps, on entasse les détenus à deux ou trois par cellule, le cas échéant sur des matelas. Selon moi, madame la Contrôleure générale, il faut effectivement construire de nouvelles prisons. J'avais proposé 10 000 places ; le garde des Sceaux en a annoncé 12 000. C'est indispensable si l'on veut que la peine ait un sens.

Certes, il faut faire comprendre aux Français qu'il n'y a pas que la prison, et vous avez évoqué à juste titre les mesures alternatives à l'incarcération. Rappelons néanmoins que beaucoup plus de condamnés sont suivis en milieu ouvert qu'en milieu fermé – on compte notamment plus de 130 000 personnes condamnées à des peines assorties d'un sursis avec mise à l'oeuvre. Il faudra évaluer ce point.

En tout cas, le débat a trop perduré : il faut construire de nouvelles places si l'on veut garantir la dignité humaine aux détenus, mais aussi des conditions de travail dignes aux personnels. Lorsqu'un surveillant ouvre la porte d'une cellule et qu'il se trouve face à quatre détenus au lieu de deux, il a très peu d'autorité, et il lui est difficile de remplir sa mission d'observation, qui est fondamentale, y compris pour lutter contre le prosélytisme islamique radical.

Dans votre rapport d'activité, vous avez également indiqué que les rondes constituaient « un traitement inhumain et dégradant », ce qui m'a un peu surpris. Vous ne semblez envisager les rondes que du point de vue de la sécurité. Or les rondes supplémentaires, qui peuvent en effet poser des problèmes aux détenus, visent aussi à assurer leur protection, notamment à prévenir les suicides. Je l'ai constaté moi-même : lorsque les rondes ne sont pas faites scrupuleusement, cela peut avoir des conséquences graves, des détenus pouvant en agresser d'autres dans les cellules. Le passage régulier des surveillants est une garantie pour certains détenus fragiles, en particulier lorsque les cellules sont surchargées.

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