Merci, monsieur Pueyo, pour votre importante question sur la radicalisation. Je vous rejoins tout à fait lorsque vous indiquez que la surpopulation carcérale est un des facteurs – pas le seul, bien sûr – qui favorise la radicalisation, notamment à travers des phénomènes de caïdat ou des pressions diverses. Néanmoins, il faut relativiser : ainsi que je l'ai rappelé dans mon avis du 11 juin 2015, seulement 16 % des personnes condamnées pour des faits de terrorisme ont déjà fait un passage par la prison, ce qui signifie que les 84 % restants ne se sont pas radicalisés en prison.
J'ai en effet commis, en juin 2015, un rapport d'enquête sur la prise en charge de la radicalisation islamiste en milieu carcéral. Après les terribles attentats de janvier 2015 et le plan annoncé par le Premier ministre le 21 janvier, lequel prévoyait notamment de dupliquer la formule employée de façon empirique par le directeur du centre pénitentiaire de Fresnes, j'ai souhaité me rendre dans cet établissement pour voir comment cela se passait. J'ai moi aussi rencontré les autorités de la prison, tous les professionnels et chacun des détenus concernés. Ainsi que je l'ai écrit dans mon rapport, il m'a semblé qu'on ne réglerait pas le problème en regroupant dans des unités dédiées des personnes présentant des niveaux d'ancrage extrêmement différents dans la radicalisation. Même si les détenus concernés sont désormais seuls dans leur cellule – tel n'était pas le cas à l'époque –, ils vont en promenade et font certaines activités ensemble. Cela met les « moins ancrés » au contact des « plus ancrés » dans le terrorisme, ce qui me paraît dangereux.
Quant aux programmes de désengagement – appelés, à l'époque, « de déradicalisation » –, on n'en était alors qu'au stade de la réflexion, et j'avais indiqué qu'il faudrait les examiner le moment venu.
Ainsi que je l'ai évoqué tout à l'heure, nous avons visité toutes les unités dédiées existantes entre mars et mai 2016. Nous nous sommes entretenus avec tous les personnels, tous les partenaires et tous les détenus concernés. Mon rapport sera rendu public dans quelques semaines. J'y précise ce que je pense de la pratique des unités dédiées, un an après leur mise en place.
Je tiens à dire – cela figure dans mon rapport – que personne, ni en France ni dans les pays voisins, n'a la solution au problème de la radicalisation. Tout le monde réfléchit au fil de l'eau, tâtonne, avance en marchant. C'est une tâche extrêmement difficile. L'administration pénitentiaire, sous l'autorité du garde des Sceaux, se trouve confrontée à une situation absolument inédite, et il est bien normal qu'elle ait du mal à y faire face. Bien loin de moi l'idée de dire ce qu'il faudrait faire. J'exerce ma mission, qui consiste à établir si ces mesures sont conformes aux droits fondamentaux des personnes.
Je n'ai pas dit qu'il ne fallait pas faire de rondes : il est tout à fait normal qu'il y en ait. Mais je ne suis pas sûre que le fait d'accomplir des rondes en allumant cinq ou six fois par nuit la lumière dans les cellules, en réveillant systématiquement les détenus et en leur demandant, parfois, de lever le bras ou la jambe pour montrer qu'ils sont bien vivants, soit la meilleure solution à l'égard des détenus les plus fragiles, notamment de ceux qui sont dans un état anxieux ou dépressif, voire présentent des signes suicidaires. Cela constitue une atteinte à leur intégrité morale et physique. Il y a d'autres façons – par exemple avec des veilleuses – de vérifier, le cas échéant plusieurs fois par nuit, que quelqu'un est dans sa cellule.