Intervention de Adeline Hazan

Réunion du 15 juin 2016 à 11h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté :

Monsieur Bompard, j'ai en effet rendu un avis relatif à la situation des femmes privées de liberté, publié au Journal officiel le 18 février dernier. Les femmes représentent 3,2 % des détenus. On pourrait penser que, dès lors, il est plus facile de les prendre en charge et de faire respecter leurs droits fondamentaux. Or, malheureusement, il n'en est rien : on constate au contraire que, du fait de leur faible nombre, elles sont un peu le « parent pauvre » de la détention. Les quartiers pour femmes sont souvent localisés au fin fond de la prison. Beaucoup moins d'activités sont proposées aux femmes. Dès qu'une femme détenue se rend à l'unité sanitaire ou dans un atelier, on bloque les mouvements de l'ensemble des détenus, ce qui est très compliqué. Il faudrait que l'administration pénitentiaire mène une réflexion sur cette pratique car, de ce fait, on limite de plus en plus les mouvements des femmes.

J'ai formulé un certain nombre de préconisations. D'abord, il faut que les femmes soient considérées comme aussi prioritaires que les hommes. Ensuite, surtout, il faut essayer d'instaurer une forme de mixité, ainsi que cela se fait dans certains établissements. Par exemple, le centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan a mis en place un atelier mixte, que nous avons visité. Au départ, cela a un peu perturbé les surveillants de l'établissement, mais cela se passe très bien. Je souhaite que les expériences de cette nature soient dupliquées, sinon généralisées, de façon à ce que les femmes ne pâtissent pas de leur faible nombre.

Par ailleurs, une question structurelle se pose : s'il y a, un peu partout en France, des quartiers pour femmes qui accueillent les femmes en détention provisoire, il n'y a aucun établissement pour peine prenant en charge des femmes dans le sud de la France, comme je l'ai indiqué à propos des détenus basques. Ainsi une femme habitant Marseille et placée en détention provisoire dans cette ville sera-t-elle envoyée, par exemple, à Rennes à partir du moment où elle sera condamnée. Dans la mesure où il est question de construire de nouveaux établissements pénitentiaires, il est urgent, à mon sens, de créer un établissement pour peine pouvant accueillir des femmes dans la partie sud de la France.

Je partage totalement les conclusions du rapport de M. Raimbourg sur l'encellulement individuel.

L'encellulement individuel est une obligation en vertu de la loi. Je regrette que sa mise en oeuvre ait été reportée de moratoire en moratoire. Le dernier moratoire voté par le Parlement l'a reportée à 2019. Ma crainte est que rien ne soit fait d'ici à l'expiration de ce moratoire et que, de même qu'en 2014, dans les six mois précédent l'échéance, on constate que l'on n'est pas en mesure de pratiquer l'encellulement individuel, et que l'on adopte un nouveau moratoire. Ce serait très problématique.

Pour aboutir à l'encellulement individuel, je ne pense pas que la solution soit de construire 15 000 ou 20 000 places de prison supplémentaires. Certes, il faut en construire un certain nombre, mais, encore une fois, je ne crois pas que la réponse doive être uniquement celle-là. À cet égard, je vous renvoie à mes propos précédents sur les mesures alternatives à l'incarcération et sur la régulation carcérale.

Je suis tout à fait d'accord avec les propositions de M. Raimbourg concernant la mixité, la prise des repas en commun et la création d'espaces de socialisation. En revanche, je ne suis pas d'accord avec votre conclusion, monsieur le député : vous demandez, en substance, si l'on n'en fait pas trop pour les détenus en mettant en place pour eux un service individualisé au détriment du maintien de l'ordre public. Je répondrais non à cette question, car plus les détenus seront traités conformément à leurs droits fondamentaux et, surtout, plus on préparera leur sortie dans des conditions satisfaisantes, moins il y a aura de risque de récidive – toutes les études le prouvent – et mieux la société sera protégée. Tout le monde a donc à y gagner.

Monsieur Tardy, je n'ai pas été consultée sur l'arrêté du 9 juin 2016 pris par le garde des Sceaux. Pour ma part, de même que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), je parle d'ailleurs non pas de « vidéoprotection », mais de « vidéosurveillance ».

Je fais, là encore, un préambule. Nous sommes dans un contexte exceptionnel : le phénomène terroriste – nous l'avons encore vécu il y a quelques jours – est un problème dramatique et extrêmement difficile à gérer pour notre pays. Cependant, même dans des situations exceptionnelles et dramatiques, nous devons préserver nos valeurs démocratiques et respecter les droits fondamentaux des personnes. Telle est la mission du Contrôleur général. Il ne s'agit pas d'une positon angéliste : même dans les situations les plus graves, il faut trouver le point d'équilibre – c'est ce que nous cherchons à faire – entre les nécessaires mesures de sécurité qui doivent être prises par les pouvoirs publics et que l'opinion publique attend – en ce moment, celle-ci ne sait d'ailleurs plus très bien quoi en penser – et le respect des droits fondamentaux et des valeurs démocratiques. Certes, c'est très difficile.

Pour en revenir à l'arrêté du 9 juin 2016, je pense qu'il vise un trop grand nombre de situations. Il a vocation à s'appliquer aux personnes en détention provisoire « dont l'évasion ou le suicide pourraient avoir un impact important sur l'ordre public eu égard aux circonstances particulières à l'origine de leur incarcération et l'impact de celles-ci sur l'opinion publique ». Cette définition est trop large. En outre, cela me choque un peu que l'on affirme prendre ces mesures parce que l'évasion ou le suicide d'une personne en détention provisoire pourrait produire un trouble dans l'opinion publique. Lorsqu'il s'agit de protéger une personne, qu'elle soit en détention provisoire ou non, l'objectif premier doit être la protection de cette personne en tant que telle, et non la prévention d'un éventuel trouble dans l'opinion. Je pense que la formule est maladroite, même si nous sommes tous conscients qu'il s'agit d'un arrêté sui generis pris pour une personne en particulier, M. Salah Abdeslam, dont tout le monde souhaite le procès.

Je note que, à la suite de l'avis de la CNIL, le champ de cette disposition a été restreint aux personnes en détention faisant l'objet d'un mandat de dépôt criminel ; le décret ne s'appliquera donc pas aux personnes condamnées. Cependant, le problème est que, dans les affaires de terrorisme, les mandats de dépôt criminel vont probablement durer très longtemps : trois, quatre, cinq ou six ans. Or, si l'on peut comprendre qu'une personne en détention provisoire soit placée sous vidéosurveillance pendant une période très brève au début de sa détention – rappelons que l'arrêté prévoit une durée de trois mois renouvelables –, la prolongation de la vidéosurveillance, de trois mois en trois mois, jusqu'à une durée de trois, quatre, cinq ou six ans constituerait, selon moi, une atteinte très grave à l'intégrité physique et à l'intimité de la personne. Le point d'équilibre entre les nécessaires mesures de sécurité et le respect des droits fondamentaux ne serait pas préservé.

L'arrêté vise les terroristes, mais, en réalité, il pourra être appliqué à tous les DPS, ainsi que dans toute une série d'affaires. Je pense en particulier aux affaires de pédophilie, qui troublent énormément – à juste titre – l'opinion publique. Si une personne en détention provisoire impliquée dans une telle affaire se suicide, cela crée, de toute évidence, un trouble dans l'opinion publique. Dès lors, va-t-on utiliser la vidéosurveillance dans les affaires de ce type ? J'ignore si cela a été envisagé, mais c'est bien la preuve que le critère retenu dans l'arrêté du 9 juin est beaucoup trop vague.

En novembre 2015, après les terribles attentats qui ont frappé notre pays, le Gouvernement a averti, ainsi qu'il en a le droit, le Conseil de l'Europe et la Cour européenne des droits de l'homme qu'« un certain nombre de mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence » étaient « susceptibles de nécessiter une dérogation à certains droits garantis par la Convention européenne des droits de l'homme ». À ce moment-là, il n'a pas évoqué de mesure de ce type. Or la vidéosurveillance déroge au droit à l'intimité, protégé par la Convention.

À titre personnel, du point de vue de l'État de droit, même s'il était légal de procéder par voie d'arrêté – la loi relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés le prévoit –, je pense qu'une mesure aussi intrusive et attentatoire à la liberté de circulation et, surtout, au droit à l'image et à l'intimité aurait dû être débattue et votée par le législateur. Il aurait été possible d'intégrer ces dispositions dans le projet de loi présenté par M. Urvoas – de nombreux amendements n'ayant rien à voir avec l'objet initial de ce projet ont été adoptés – ou dans un autre texte de loi.

Selon les chiffres de l'administration pénitentiaire, 30 000 à 35 000 téléphones portables entrent en effet chaque année en prison. Je précise néanmoins que tous les professionnels et partenaires des établissements pénitentiaires – y compris les syndicats de surveillants, qui sont contre les téléphones portables en prison – nous indiquent, lors des visites que nous effectuons, qu'environ 80 % de ces téléphones servent uniquement à communiquer avec la famille et les proches – et non à organiser des infractions, voire des crimes terroristes.

On ne pourra pas continuer à les interdire indéfiniment. Le débat et le clivage sont un peu les mêmes que ceux que nous avons connus il y a vingt ans sur les téléviseurs en prison. Contrairement à ce que certains ont affirmé, je ne prône pas l'autorisation des téléphones portables tels que vous et moi en avons. Ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de l'exposer devant vous, je propose d'autoriser des téléphones portables qui ne pourront être achetés que dans l'établissement pénitentiaire et dont l'utilisation sera bridée, de la même manière que celle des points téléphoniques l'est actuellement : le détenu ne pourra appeler que les numéros dont il a fourni la liste à son arrivée dans l'établissement. J'ai vérifié : c'est techniquement possible. Je sais que cette proposition divise, mais je maintiens que c'est la solution. Actuellement, dans certains établissements, l'administration pénitentiaire expérimente le téléphone mural dans les cellules, ce qui est déjà un plus.

Il faut savoir que les détenus ne bénéficient d'aucune intimité lorsqu'ils utilisent les points téléphoniques qui se trouvent dans les cours de promenade ou dans les coursives. Surtout, ils ne peuvent pas les utiliser au-delà de 17 ou 18 heures, ce qui limite les communications avec leurs proches. Enfin, cela leur coûte très cher, ce qui les incite à recourir aux téléphones portables. Tout bien pesé, je pense que, tant du point de vue de la gestion de la population carcérale que du point de vue du respect des droits fondamentaux, il y aurait plus d'avantages que d'inconvénients à autoriser les téléphones portables dans les conditions que je viens d'indiquer, avec, évidemment, une surveillance. Car il faut savoir aussi que la confiscation des téléphones portables représente actuellement une charge énorme pour l'administration pénitentiaire. Celle-ci transmet des paquets de portables à la police judiciaire, qui n'a absolument pas le temps de les exploiter.

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