C'est toujours un plaisir pour moi de venir parler devant vous d'Orange, l'une des grandes et belles entreprises françaises, pour partie propriété des Français. Le groupe va bien : ces derniers mois, ses résultats ont été satisfaisants et encourageants. Chacun se réjouira que, dans un contexte extrêmement concurrentiel, il se défende bien.
Quelques éléments permettent de préciser le contexte dans lequel nous évoluons, celui d'une révolution numérique qui, en s'accélérant, va bouleverser spectaculairement la vie sociale et économique. De 2,5 milliards d'utilisateurs de smartphones dans le monde en 2016, on passera à 5 milliards en 2020. Chacun d'entre eux aura donc en poche un terminal dont la puissance de calcul et de stockage est supérieure à celle du plus gros ordinateur des années 1970. Cette année déjà, chaque seconde, 7 221 tweets sont envoyés, le volume de données échangées sur internet équivaut à deux fois les 14 millions de livres détenus à la Bibliothèque nationale de France et 125 000 vidéos sont regardées. En 2016 toujours, 3 000 milliards de photos auront été prises avec des appareils numériques.
Par ailleurs, trois ruptures technologiques se profilent, qui auront aussi un grand impact sur les activités humaines : l'internet des objets, la réalité virtuelle et l'intelligence artificielle. Il existe déjà plusieurs milliards d'objets connectés au réseau internet ; on estime qu'il y en aura 50, voire 75 milliards dans les dix ans, et cela touchera tous les domaines. Les équipements permettant d'utiliser la réalité virtuelle, qui vont transformer l'économie du divertissement, de la télévision et de la vidéo, trouveront aussi à s'appliquer dans tous les secteurs professionnels. Enfin, l'intelligence artificielle est fondée sur le stockage puis la valorisation, par l'analyse prédictive des comportements et la robotique, de l'immensité des données numériques collectées, afin de fournir tous services utiles.
Dans ce monde en mutation technologique permanente, le rôle d'Orange est triple.
Notre mission principale est de démocratiser l'économie numérique en apportant tous ces nouveaux services au plus grand nombre, par des réseaux toujours plus performants bien sûr, mais aussi en les rendant accessibles tant par la distribution physique – nous avons plus de 3 000 boutiques dans le monde – que par la formation à leur utilisation.
Nous devons également protéger les données personnelles de nos clients, ce pourquoi nous avons fait de la cyber-sécurité une de nos priorités stratégiques en créant un centre de compétences et d'expertise unique en Europe – ce pourquoi, aussi, l'entreprise a pris des engagements en matière de respect de la confidentialité des données privées.
Enfin, pour garantir que l'inéluctable révolution numérique soit un progrès et non une menace pour les hommes, nous tenons à garder l'humain au centre de tous nos développements.
En avril 2015, je vous ai présenté le plan stratégique d'Orange à l'horizon 2020. Je ne m'y attarderai donc pas, sinon pour rappeler que nous nous sommes fixé comme mission première d'apporter à nos utilisateurs la meilleure connectivité possible, que nous définissons comme « la connectivité enrichie ». Sur un marché âprement concurrentiel, c'est par la qualité que nous nous démarquerons ; elle suppose des investissements considérables. Orange est dans une phase d'investissements historiquement élevés : en 2016, ils s'établiront à près de 7 milliards d'euros, soit quelque 17 % de notre chiffre d'affaires, et nous avons prévu d'investir 15 milliards d'euros dans nos réseaux « fixe » et « mobile » d'ici 2018.
Dans les 9 milliards d'euros qui seront investis en France, 3 milliards seront consacrés au développement de la fibre optique. En 2015, nos investissements en ce domaine ont augmenté de 55 % en un an. Nous sommes, et de loin, l'opérateur qui a le plus développé le nombre de prises raccordables en France : sur près de 6 millions de foyers raccordés à la fibre, plus des deux tiers l'ont été par Orange. Depuis notre dernière rencontre, la croissance du nombre de foyers raccordables à la fibre optique a été de près de 50 %. Cela s'est fait dans tout le pays, surtout dans les zones denses et dans les zones d'appel à manifestations d'intentions d'investissement (AMII) ; pour les réseaux d'initiative publique (RIP), nous sommes dans une phase de montée en puissance.
Le 8 juin dernier, le Président de la République nous a fait l'honneur et le plaisir de sa visite lors de l'inauguration de notre nouveau site, à Châtillon, aux portes de Paris. J'invite les commissaires à venir visiter ce très bel ensemble de 172 000 mètres carrés qui n'a rien à envier aux campus de la Silicon Valley. Nous y avons regroupé 3 000 ingénieurs, une grande partie des moyens du groupe en matière d'innovation. À cette occasion, j'ai annoncé le lancement du programme Orange territoires connectés ; il vise à augmenter au-delà de ce que nous avions déjà annoncé le nombre de foyers qui pourront recevoir le très haut débit dans les zones rurales peu denses. Le volet « fixe » du programme concernera un million de logements d'ici un an et 2,5 millions d'ici fin 2019. Pour atteindre cet objectif, nous prévoyons plusieurs moyens d'action. Nous proposerons à 600 000 foyers l'accès à un débit de plus de 10 mégabits par seconde via le réseau mobile de la 4G. Cette technique fonctionne très bien, et si la solution n'est pas pérenne, elle permet l'accès à un débit très amélioré sans devoir attendre. D'autre part, pour permettre à un million de foyers environ de bénéficier très rapidement d'une connexion à débit élevé – en certain lieux, avant la mi-2017 –, nous prolongerons une partie du réseau de fibre optique pour l'amener au plus près de nos répartiteurs actuels afin de déployer la technologie dite VDSL.
Nous ne considérons pas les RIP comme une menace mais comme une opportunité. Le paysage concurrentiel et réglementaire du secteur étant ce qu'il est depuis vingt ans en France, aucun opérateur, même Orange, ne peut prétendre assurer à lui seul la construction de ce réseau, qui suppose nécessairement des coopérations entre opérateurs –c'est le volet du co-investissement dans les zones intermédiaires – et des partenariats public-privé. Aussi poserons-nous notre candidature à la qualité d'opérateur de RIP, au cas par cas, mais de manière beaucoup plus massive que par le passé ; nous avons prévu de doubler notre enveloppe d'investissement à cette fin et nous avons déjà remporté le marché lancé par la région Bretagne et ceux de quelques départements. Nous serons très offensifs, mais j'observe qu'il ne s'agit pas d'une compétition entre opérateurs mais entre Orange et d'autres structures, une situation assez particulière dans le paysage concurrentiel que l'on connaît. Enfin, dans les RIP dont nous ne serons pas l'exploitant, nous aurons une attitude très ouverte : pourquoi priverions-nous nos clients dans ces zones de l'accès à la fibre optique ? Pour peu que les conditions techniques et financières soient réunies, nous jouerons le jeu.
Le programme Orange territoires connectés comporte également un volet « mobile ». Notre licence nous impose d'avoir couvert à 90 % en 4GLTE la zone de déploiement prioritaire le 1er janvier 2022. Nous avons pris l'engagement d'anticiper cette réalisation de trois ans. Notre taux de couverture est déjà proche de 85 % mais… le plus difficile reste à faire ! Nous maintenons donc notre effort de déploiement en nous concentrant sur les zones moins denses. Au rythme de déploiement actuel, dans un an, 5 millions d'habitants supplémentaires, en zones rurales, bénéficieront de l'accès à la 4G. Nous allons aussi augmenter le nombre de nos guichets « zones blanches », qui passera de 800 à 1 300. Enfin, nous accélérerons la couverture mobile à l'intérieur des bâtiments en installant en septembre une nouvelle fonctionnalité, « la voix sur WiFi » (VoWiFi). Elle permettra à un utilisateur doté d'un accès fixe avec un réseau local de passer et de recevoir des appels sur son téléphone mobile comme s'il utilisait un réseau cellulaire extérieur.
J'en viens aux relations entre Orange et Bouygues Telecom. Nous avons pensé qu'il était bon pour Orange et surtout pour la France de recomposer le paysage des opérateurs de téléphonie de manière à rationaliser le déploiement de la connectivité à très haut débit que tout le pays attend. Les coûts étant fixes et les investissements nécessaires considérables, tous les opérateurs ont le même objectif : les amortir sur un grand nombre de clients. Un équilibre doit donc être trouvé entre le nombre d'opérateurs et la capacité à investir, tout en préservant une concurrence forte, car il n'a jamais été question de la réduire, notamment sous l'angle des prix. Nous projetions de reprendre Bouygues Telecom, mais étant donné notre position sur le marché, nous devions au préalable avoir conclu des accords bilatéraux de répartition des actifs et des bases clients de Bouygues Telecom avec les deux autres opérateurs. Nous sommes parvenus à ce qui nous a semblé être une situation qui, si elle n'était pas parfaite, était optimale, qu'il s'agisse de la répartition ou de la maîtrise du risque. Dans la dernière ligne droite, Bouygues Telecom a jugé que l'équilibre entre intérêt stratégique et risque n'était pas satisfaisant ; estimant le risque trop élevé, il a mis un terme à la négociation. C'est une occasion manquée. Je le regrette pour Orange et pour la France, mais cet échec sera sans conséquence négative pour notre groupe.
Nous étions présents depuis plusieurs années au Kenya, un marché très difficile où nous n'avons jamais trouvé notre place. Ayant repris l'opérateur historique, nous avons dû mener à bien la très lourde restructuration d'une entreprise dont l'effectif était pléthorique et les conditions d'activité catastrophiques. Ensuite, aucun des engagements pris par les autorités kenyanes n'a été respecté, qu'il s'agisse de la répartition des licences, du spectre en téléphonie mobile ou de la fiscalité, si bien que la poursuite de l'activité a été une souffrance continue pendant des années. Orange est opérateur dans trente pays ; de tous, le Kenya est le seul où nous étions structurellement déficitaires. Nous avons jugé le temps venu de mettre fin à l'hémorragie et, l'échec étant constaté, de nous retirer. Cela ne signifie nullement un retrait d'Afrique et du Moyen-Orient, au contraire : nous venons de nous implanter au Burkina Faso, au Sierra Leone et au Liberia, nous avons renforcé notre présence en République démocratique du Congo et nous avons d'autres projets.
J'ai déjà eu l'occasion de dire devant vous pourquoi l'itinérance était nécessaire ; dans les conditions où elle a été faite, Orange en a globalement obtenu les effets positifs tout en en limitant sérieusement l'impact négatif éventuel. Mais nous l'avons toujours conçue comme un dispositif transitoire. Le contrat qui nous lie a d'ailleurs une échéance, et nous avons toujours dit que l'itinérance aurait une fin. Nul besoin, donc, que l'ARCEP nous le signifie, puisque nous n'avons jamais eu l'intention de la perpétuer, et c'est très détendus que nous présenterons demain nos propositions à l'ARCEP. Vous comprendrez que j'en réserve la primeur à l'Autorité ; je dirai simplement que nous allons passer d'un contrat d'itinérance à un contrat d'extinction de l'itinérance. La perspective est tracée, mais l'itinérance se traduit par l'interconnexion profonde des réseaux Orange et Free et chacun conçoit que l'on ne puisse y mettre fin du jour au lendemain. C'est impossible techniquement et, surtout, cela causerait un stress majeur à des dizaines de millions d'abonnés que l'on ne peut priver soudainement de moyens de télécommunications. Personne ne veut cela ; des aménagements techniques, financiers et de calendrier sont indispensables. Ils feront l'objet de l'avenant au contrat que nous présenterons demain à l'ARCEP.