Je vous remercie de m'inviter quelque temps après l'épisode du décret d'avance. La page de celui-ci étant tournée, nous vous présenterons précisément les missions et le budget du CEA, tout en revenant sur les difficultés récentes. Je suis accompagné de M. Christophe Gégout, administrateur général-adjoint du CEA, et de Mme Marie-Astrid Ravon-Berenguer, directrice financière du CEA, afin de pouvoir faire face à la qualité et à la profondeur de vos questions, notamment celles de MM. Claeys et Hetzel, qui avaient interpellé le secrétaire d'État au budget avec beaucoup de pertinence.
Le CEA compte environ 16 000 salariés en contrat à durée indéterminée (CDI), plus d'un millier de personnes en thèse et des collaborateurs temporaires en postdoctoral, soit 20 000 personnes au total.
Le Premier ministre m'a enjoint, dans ma lettre de mission d'avril 2015, de recentrer le CEA sur les tâches qu'a énumérées un décret de mars 2016 portant sur les statuts du Commissariat. Tout d'abord, le CEA a la responsabilité, devant le président de la République et en commun avec le ministère de la défense, des éléments centraux de la dissuasion française, à savoir les armes et les chaufferies nucléaires. Le CEA doit également apporter tous les éléments d'innovation technique, technologique et scientifique pour rendre le nucléaire civil plus sûr, plus compétitif et prêt à faire face à l'avenir – telle est l'optique du programme de quatrième génération des réacteurs. En outre, le CEA s'appelle depuis 2010 le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives et conduit des travaux de recherche et de développement (R&D) technologique, appliqués spécifiquement à la production, au stockage et à l'utilisation des énergies renouvelables. Enfin, le CEA a une mission de recherche fondamentale, que le décret d'avance touchait, dans les domaines utiles à la réalisation de nos trois premières missions, soit l'énergie, les technologies de l'information et les mathématiques. En plus de ces quatre missions, nous devons assurer le transfert technologique de nos acquis vers l'industrie, afin que celle-ci puisse innover et créer des emplois.
La mission défense du CEA est assurée dans le cadre d'une directive du Premier ministre, classée confidentiel-défense et renouvelée tous les cinq ans, que l'on appelle dans notre jargon, « l'oeuvre commune ». Elle définit les responsabilités du ministère de la défense et du CEA dans la réalisation des armements nucléaires des composantes aéroportée et océanique. Le CEA est chargé des armes et des chaufferies nucléaires, la partie « non nucléaire » de l'armement nucléaire s'avérant du ressort de la direction générale de l'armement (DGA), avec laquelle nous travaillons en permanence.
Le CEA a développé le programme de simulation d'essais nucléaires, dont j'ai été le premier directeur en 1996, et s'est vu confier la lutte contre le terrorisme nucléaire et la prolifération, programme peu doté financièrement, mais extrêmement important. Le CEA a rempli le rôle d'expert technique de la délégation française lors des négociations ayant abouti à l'accord avec l'Iran sur le nucléaire.
Le budget total du CEA est de l'ordre de 4,5 milliards d'euros, dont 1,6 milliard d'euros est consacré aux projets relevant de la défense, sous forme d'une subvention. Ce montant fluctue d'une centaine de millions d'une année sur l'autre, selon le nombre de programmes commandés – ainsi, l'année où nous commandons une chaufferie pour l'un des six nouveaux sous-marins d'attaque, les barracudas, les autorisations d'engagement augmentent de 250 millions d'euros.
Nous avons également la responsabilité, devant les générations futures, d'assainir les locaux ayant abrité de la matière nucléaire, de les déconstruire en toute sûreté et en toute sécurité. Ce démantèlement constitue le plus grand programme, puisque son coût prévisionnel est évalué à 16 milliards d'euros – soit cinq porte-avions, quand le coût du laser mégajoule dépasse juste les 3 milliards d'euros ; on évalue la durée de ce programme à 30 ou 40 ans. Le budget annuel affecté au démantèlement s'élève à 740 millions d'euros ; jusqu'à la fin de l'année 2015, cette somme était financée à hauteur de 370 millions par le programme 190, l'autre moitié provenant de la vente de titres Areva que le CEA détenait. Grâce à la loi de finances pour 2016, les dépenses affectées au démantèlement proviennent intégralement d'une subvention ; avant cette année, notre trésorerie affichait un déficit de quelques centaines de millions d'euros à cause du financement du démantèlement. Nous vous remercions d'avoir adopté cette disposition de la loi de finances pour 2016 – d'autant plus que la valeur actuelle du titre Areva n'aurait pas permis de maintenir ce schéma de financement.
La direction des applications militaires (DAM) du CEA emploie 4 500 salariés, tout comme son équivalent britannique, l'Atomic weapon establishment (AWE). Le complexe nucléaire américain mobilise 36 000 personnes, soit huit fois plus ; on ne connaît pas le nombre d'employés dans l'organisation russe, mais on a identifié au moins trois centres remplissant les missions de la DAM qui abritent chacun 20 000 agents. Cette activité coûte cher, mais elle reste tout de même limitée.
Notre contribution à la R&D de l'énergie nucléaire s'élève à 2 100 personnes et à 38 % de nos programmes. La recherche technologique, centrée notamment sur les énergies renouvelables, mobilise 3 600 personnes et près de la moitié des dépenses de nos programmes. Vous voyez donc que l'appellation de Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives n'est pas usurpée !
La recherche fondamentale représente 13,8 % des dépenses de nos programmes et 1 000 équivalents temps plein (ETP) en CDI.
Notre mission d'énergie nucléaire nous enjoint tout d'abord de soutenir le parc nucléaire actuel, en apportant des réponses aux questions qui se posent quotidiennement dans les réacteurs nucléaires en fonctionnement et dans les usines comme celle de La Hague, dans laquelle le CEA conduit annuellement des travaux pour 20 millions d'euros afin d'améliorer ou de corriger son fonctionnement. Le soutien du CEA à l'industrie est permanent, celle-ci finançant une large part de nos travaux dans ce domaine.
Cette mission vise également à maintenir la capacité de R&D pour préparer l'avenir ; dans cette perspective, nous élaborons la quatrième génération de réacteurs, qui permettra de ne consommer aucune nouvelle matière première puisque l'on pourra la recycler. Les déchets produits seront également beaucoup moins nombreux ; lorsque l'on extrait un kilogramme d'uranium du sol, les réacteurs actuels utilisent 4 grammes de matière pour fabriquer de l'électricité. Notre objectif, dans ce programme de quatrième génération, est de parvenir à consommer 70 à 80 % de la matière, ce qui minimisera la sollicitation des ressources naturelles et diminuera les déchets.
Nous essayons également de faire progresser la connaissance en développant la recherche en amont et la simulation par ordinateur.
Le CEA consacre plus de la moitié de sa R&D technologique aux énergies renouvelables et aux technologies-clefs. Nous souhaitons diffuser ces dernières dans le plus grand nombre de secteurs industriels possible et, notamment, dans celui des technologies de l'information et de la communication.
La mission de recherche technologique constitue une passerelle entre la recherche fondamentale et le monde industriel, et nous occupons une place particulière dans cette transmission qui aide l'industrie. L'un des moyens d'opérer ces transferts a été mis en place à la demande de M. Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, et consiste en l'expérimentation de plateformes de recherche technologique, qui représentent des antennes de contact entre nos laboratoires de recherche et les industriels.
La recherche fondamentale représente à nos yeux la préparation de l'avenir. Grâce à elle, nous acquerrons les connaissances qui nous permettront d'élaborer les programmes de l'avenir. Nous allons étudier les différents états de la matière et types de particules, et nous en attendons beaucoup de retombées en électronique et en éléments de mesure.
Le financement de la recherche fondamentale, visé par le décret d'avance, s'avère déjà insuffisant, parce que nos crédits nous permettront de couvrir à peine les salaires des chercheurs, mais pas les centres dans lesquels ils travaillent et encore moins leurs programmes. Nous répondons donc à de très nombreux appels à projet de l'Agence nationale de la recherche (ANR), dans le cadre de l'agenda européen H 2020, et du grand emprunt. Il s'agit d'une bonne source de financement des programmes, mais elle donne à l'ANR et à Bruxelles le rôle de définir la politique scientifique du CEA. La répartition entre le financement par subventions et celui par guichet n'est pas équilibrée, car elle ne nous permet pas de développer une politique scientifique propre qui répondrait davantage à nos missions.