Intervention de Joël Giraud

Séance en hémicycle du 21 juin 2016 à 21h30
Biodiversité — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoël Giraud :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, madame la rapporteure, mes chers collègues, après l’échec de la commission mixte paritaire, le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages revient dans notre hémicycle. Depuis son premier examen en juin 2014, il y a deux ans, nous en sommes aujourd’hui à la dixième version du texte.

Si le calendrier s’est accéléré, c’est peu dire que l’accouchement aura été douloureux. Nous l’avons déjà dit ici, les députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste sont conscients des enjeux de la biodiversité pour l’avenir de notre pays et de notre planète.

Sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, nous pensons que nous devons être guidés par une boussole scientifique et nous écarter des positions idéologiques parfois séduisantes, mais souvent éloignées de la réalité. Thierry Gauquelin, un de nos meilleurs experts de la biodiversité, a des mots très justes : « un effort de pédagogie doit être fait car il ne suffit pas de dire qu’il faut protéger la nature parce que c’est beau. Une perte de la biodiversité est une menace pour l’humanité. Le point central est donc de bien faire comprendre aux citoyens le fonctionnement de l’écosystème. »

C’est le rôle des scientifiques de participer à la démocratisation de leurs connaissances pour informer les citoyens et apporter les éléments nécessaires aux choix politiques.

Au-delà des clivages partisans, nous pouvons nous rassembler autour de points de consensus car, au sens propre comme au figuré, l’enjeu de la préservation de la biodiversité est vital et sa dégradation continue est préoccupante. Du fait de la diversité de ses paysages, de sa présence dans de nombreux territoires de notre planète, et en particulier dans nos outre-mer, la France est le cinquième « point chaud » de la biodiversité mondiale.

Nous avons incontestablement une responsabilité particulière face aux défis que représentent les relations entre les écosystèmes et les êtres humains. Le Président de la République l’a d’ailleurs rappelé à plusieurs reprises, notamment au cours des conférences environnementales et de la COP21.

La principale problématique consiste à trouver les bonnes réponses pour concilier, ensemble, développement économique, respect des écosystèmes et soutien à tous les acteurs de la biodiversité – je pense en particulier à nos paysans et à l’ensemble du monde rural, qui vit au quotidien cette biodiversité.

La biodiversité, richesse patrimoniale et moteur économique, est certes aujourd’hui de plus en plus menacée par la surexploitation, la destruction et la fragmentation des habitats, l’introduction d’espèces envahissantes et les pollutions, mais cela ne doit pas nous empêcher de trouver des régulations intelligentes pour nous donner les moyens de fonder des compromis qui protègent la nature tout en respectant la culture et l’homme.

Si nous sommes confrontés à une crise économique, sociale et morale, et si les questions de sécurité liées au terrorisme sont fondamentales, rappelons-nous que la croissance, l’emploi et la production sont liés à la préservation de la biodiversité car une crise du vivant comporte aussi des coûts indirects lourds et probablement encore sous-estimés.

Le projet de loi que nous allons examiner comporte déjà de nombreuses avancées et nous le soutenons majoritairement. Depuis l’examen en deuxième lecture au Sénat et en nouvelle lecture en commission, nous avons trouvé des compromis équilibrés et des dizaines d’articles ont été adoptés conformes, mais il reste encore cinquante-huit articles en discussion et des points de divergence importants – je pense par exemple au principe de non-régression, à la définition du préjudice écologique et à l’ouverture de l’action à toute personne ayant qualité à agir, à la gouvernance, au zonage prioritaire pour la biodiversité, aux déboisements effectués par nos jeunes agriculteurs et, de manière générale, à la place et au rôle de nos paysans. Il faut également rappeler les deux sujets complexes et polémiques que sont la taxe sur l’huile de palme et les modalités de l’interdiction des néonicotinoïdes.

Tout au long des débats, les députés du groupe RRDP vous feront des propositions. Le principe de non-régression et l’inscription de la notion de préjudice écologique dans le code civil, en excluant l’idée de préjudice écologique « anormal » adoptée par le Sénat, ont été rétablis en commission. Nous sommes favorables à ces principes mais nous pensons que les terres agricoles doivent également être préservées. En effet, la surface agricole diminue en France et nous devons porter à cette question une attention particulière car il y va de l’avenir de notre agriculture.

Ces principes risqueraient en outre de conduire à des mesures irréversibles en termes de protection de certaines espèces, comme le loup, alors que nous savons qu’il est nécessaire de pouvoir réviser régulièrement les dispositifs.

En matière de gouvernance, la commission a confirmé la consultation du Comité régional de la biodiversité dans le cadre de l’élaboration du schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires – SRADDET. Le groupe RRDP juge ce dispositif inopportun. Il apparaît en effet peu pertinent et en partie contraire à la logique de l’élaboration d’un schéma tel que le SRADDET de prévoir une intervention du Comité régional de la biodiversité – CRB – avant même que le conseil régional ait débattu des objectifs du schéma et, par conséquent, avant que les partenaires associés au document puissent contribuer utilement à l’élaboration de ce schéma. En outre, il est en partie inutile de prévoir que le CRB intervienne aussi en amont alors qu’en tout état de cause la biodiversité fait partie des objectifs obligatoirement visés par le SRADDET et qu’il n’y a donc pas de risque que ces préoccupations soient oubliées.

La commission confirme que l’Agence française pour la biodiversité – AFB – participe aux actions de formation, notamment dans le cadre de l’éducation nationale. Cela nous semble intéressant. La commission a cependant supprimé la mission d’évaluation des dommages agricoles et forestiers causés par les espèces animales protégées et nous avons donc déposé un amendement visant à confier cette mission à l’AFB. En effet, dans l’état actuel du droit, les dommages causés aux exploitations agricoles par des espèces animales protégées ne font pas l’objet d’une indemnisation, contrairement aux dégâts causés par le gibier. Cet amendement propose donc de donner pour mission à l’AFB l’évaluation des dommages agricoles et forestiers causés par les espèces protégées et la mise en place de dispositifs destinés à limiter ces dommages pour les activités agricoles et forestières.

Pour ce qui est du titre IV, relatif à l’accès aux ressources génétiques et au partage juste et équitable des avantages, la commission a rétabli le paragraphe 1 bis de l’article 18, supprimé par le Sénat. Les procédures d’accès et de partage des avantages – APA – pour les ressources génétiques et les connaissances traditionnelles associées seront applicables, dans le cas de collections préalablement constituées, à toute utilisation à des fins commerciales postérieure à la publication de la loi.

À l’article 18, notre collègue Ary Chalus vous proposera un amendement visant à inscrire dans la loi les mots « une redistribution juste et équitable ».

À la suite du rétablissement de l’article 34, supprimé par le Sénat, qui crée la catégorie des zones prioritaires pour la biodiversité, nous avons déposé un amendement de suppression, car nous considérons que ce zonage viendrait se superposer à des emprises de zones exploitées ayant déjà leurs propres programmes d’action, créant une surenchère et un cumul des mesures de restauration, de préservation et de gestion.

Pour ce qui concerne les néonicotinoïdes, notre groupe soutient majoritairement un compromis prévoyant une interdiction progressive, assortie d’une mission pérenne de vigilance confiée à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail – ANSES –, même si, je ne vous le cache pas, certains d’entre nous préféreraient une interdiction plus radicale. Nous convenons tous cependant que nous devons interdire à terme les néonicotinoïdes, en veillant à la disponibilité de produits de substitution, y compris si ces produits sont plus chers. Il serait en effet difficile d’ordonner à un agriculteur de rester passif devant la dévastation de ses cultures sans lui proposer aucune solution.

Enfin, nous sommes attachés au soutien qu’il convient d’apporter à nos jeunes agriculteurs, qui représentent notre avenir. L’agriculture, ce sont avant tout des hommes et des femmes qui veulent vivre de leur travail. C’est un métier dans lequel les jeunes ne veulent plus s’engager, parce que les conditions de vie y sont dures et que les revenus sont faibles. C’est un métier qui risque de disparaître.

Nous vous proposerons un amendement visant à ce que les déboisements effectués dans les cinq premières années suivant l’installation d’un jeune agriculteur ne soient pas considérés comme des défrichements. Pour la création d’activité, le développement économique des territoires ruraux et la pérennisation de l’installation des jeunes en agriculture, nous devons en effet éviter de tels freins à l’installation et l’instauration d’une concurrence surfacique inutile entre forêt et agriculture.

En conclusion, si nous soutenons le projet de loi, nous n’en attendons pas moins de notre débat des avancées claires sur des sujets importants.

Enfin, puisque ce texte est suivi, pour notre groupe, par mon collègue Jacques Krabal, qui aurait dû être à cette tribune, vous comprendrez que je suis contraint de citer une fable de La Fontaine.

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