Intervention de Sébastien Mosneron-Dupin

Réunion du 15 juin 2016 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Sébastien Mosneron-Dupin, directeur général de l'agence Expertise France, communication de M. Jean-René Marsac, sur le projet de contrat d'objectifs et de moyens d'Expertise France, et avis de la commission sur ce projet :

C'est un honneur pour moi de succéder à M. Cazeneuve et à son homologue allemand, Thomas de Maizière ; c'est aussi un défi, et peut-être pourrai-je venir la prochaine fois avec mon homologue allemande, Mme Gönner, directrice générale de la GIZ, que je dois rejoindre cet après-midi, à Bruxelles, pour participer aux Journées européennes du développement.

Expertise France est un établissement public, un opérateur de l'action extérieure de l'État, placé sous la double tutelle du ministre des affaires étrangères, M. Ayrault, et de son sous-secrétaire État chargé du développement et de la francophonie, M. Vallini, mais également des ministres de l'économie et des finances, MM. Macron et Sapin.

Notre métier consiste à accompagner et à conseiller des administrations et des gouvernements dans la mise en place de nouvelles politiques publiques. Nous gérons quatre cents projets, dans quatre-vingts pays, pour un chiffre d'affaires global de 130 millions d'euros, dont 65 % sont issus de financements multilatéraux et 35 % de financements bilatéraux.

Concrètement, nous accompagnons l'administration grecque dans la réforme de l'État ; nous travaillons sur la ville durable en Turquie ; nous oeuvrons en Syrie, avec des partenaires locaux, à l'assistance directe aux populations et gérons des centres de soins ; nous accompagnons les autorités algériennes dans un programme de formation professionnelle et d'amélioration de l'employabilité des jeunes ; nous avons contribué en Tunisie au projet de renforcement des services de l'Assemblée des représentants du peuple ; nous accompagnons au Maroc le ministère chargé des Marocains résidant à l'étranger et des affaires de la migration dans des politiques d'intégration et d'utilisation de la diaspora marocaine au service du développement ; nous accompagnons en Côte d'Ivoire la réforme hospitalière ; nous avons très largement participé en Guinée à la lutte contre Ebola ; nous travaillons en République centrafricaine sur les finances publiques ; nous participons au Vietnam à la création d'une cour des comptes ; enfin, nous travaillons avec les autorités chinoises sur l'assurance vieillesse. Autant d'exemples qui témoignent de la palette des secteurs et des zones géographiques dans lesquelles nous intervenons.

Quel bilan peut-on tirer des activités d'Expertise France après dix-huit mois d'existence ? Nous oeuvrons dans tous les secteurs et partout où la France a des intérêts, où elle souhaite intervenir au titre de la coopération et du développement. Nous avons connu cette année une croissance de 14 %, et si nous enlevons les projets d'infrastructures, que nous sous-traitons à des entreprises françaises – je pense à Razel-Bec et à Thalès –, ce taux s'élève à 31 %.

Où va-t-on ? Sans prétendre résumer ici le contrat d'objectifs et de moyens (COM), j'insisterai sur quatre objectifs majeurs, le premier consistant à créer un opérateur polyvalent dans ses missions, ses métiers et ses secteurs d'intervention.

Nos missions en effet sont au nombre de trois : mettre en oeuvre la solidarité de la France en améliorant la gouvernance des pays du sud ; accroître notre influence politique en projetant au-delà de nos frontières nos valeurs, notre vision du monde et nos normes ; conforter nos positions économiques en contribuant à la création d'un écosystème favorable aux intérêts français, notamment par la diffusion des normes françaises.

En ce qui concerne nos métiers, également au nombre de trois, il s'agit du conseil, de l'assistance directe aux populations et de la supervision de projets d'infrastructure, ce que nous faisons pour la MINUSMA – Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali –, avec la perspective de l'étendre à d'autres secteurs.

Quant aux quatre priorités sectorielles fixées par le contrat d'objectifs et de moyens, il s'agit de la gouvernance démocratique et financière, du renforcement des politiques de sécurité, de stabilisation et de sûreté dans les pays fragiles, du développement durable, du renforcement enfin des systèmes de santé, de protection sociale et de formation professionnelle.

Le COM enfin nous fixe également pour objectif de nous développer dans deux nouveaux secteurs stratégiques : l'agriculture et l'éducation.

En termes géographiques, nos interventions n'ont pas de frontières, dans le sens où la projection de l'expertise française ne se restreint pas aux pays en développement, et que le mandat qui nous a été donné pour étendre l'influence politique et économique de la France ne se limite pas aux pays fragiles. Nous intervenons ainsi dans l'est de l'Europe, dans les pays émergents et dans les pays du Golfe. Néanmoins, le contrat d'objectifs et de moyens nous fixe un objectif de réaliser 50 % de notre activité en Afrique et 20 % dans le voisinage sud et est européen.

Notre second objectif est de faire d'Expertise France l'agence de référence de la coopération technique. Cet objectif comporte quatre volets. Il s'agit d'abord de rassembler le secteur public – nous représentons déjà, après la fusion de six organismes, 75 % de l'assistance technique publique –, avec pour ambition de mettre sur pied une équipe de France de la coopération technique, grâce au développement des partenariats opérationnels avec les autres agences et les autres intervenants de la coopération technique.

Le second volet consiste à soutenir le secteur privé. C'est ce que nous faisons notamment lorsque nous remportons des contrats comme celui que nous avons signé au Bahreïn en janvier dernier, pour un montant de 8,4 millions d'euros, avec Egis, Arep ou l'ETEP, des bureaux d'études qui incarnent l'excellence française dans ce domaine.

En troisième lieu, nous développons des offres intégrées qui incluent de l'expertise mais également des infrastructures. Dans le domaine de la santé par exemple, cela signifie non seulement renforcer les capacités existantes en matière de gestion hospitalière mais superviser également la création d'hôpitaux de référence.

Le quatrième volet enfin consiste à développer un partenariat stratégique avec l'Agence française de développement. Nous avons la même tutelle et sommes engagés dans la même stratégie ; vous avez entendu son directeur général, qui partage cet objectif de rapprochement. Le contrat d'objectifs et de moyens indique ainsi que le montant global des contrats mis en oeuvre par Expertise France sur financement de l'AFD devra atteindre 25 millions d'euros.

Le troisième objectif décliné par le COM, qui est en réalité primordial et que les syndicats souhaitent voire privilégié, consiste à parachever la fusion entre les six organismes qui ont abouti à la naissance d'Expertise France et à apaiser le climat social. Une fusion est toujours éprouvante, a fortiori quand elle concerne des organismes de statuts différents et ayant chacun un modèle économique propre. En l'occurrence, 50 % du personnel sont passé d'un statut de droit public à un statut de droit privé, 40 % ont changé de fonction et 30 % ont été affectés à un autre métier : ils doivent désormais remporter des marchés alors qu'auparavant ils géraient des subventions. Il faut donc accompagner les équipes, ce qui passe en premier lieu par un accord d'entreprise visant à harmoniser les temps de travail – sept régimes différents – et les grilles salariales. La loi nous fixait un délai de quinze mois pour y parvenir ; nous sommes sur le point d'aboutir à un accord, après six mois de négociations.

Enfin, le quatrième objectif, et non des moindres, est de parvenir à l'équilibre et de doubler l'activité en cinq ans – ce qui correspond davantage au business plan d'une start-up qu'à celui d'un établissement public – de manière à assurer notre autofinancement.

Nous avons réalisé cette année 31 % de croissance et devons donc poursuivre sur cette voie, mais notre situation de départ était très déficitaire, dans la mesure où nous avons fusionné, pour un coût de 3 millions d'euros, des organismes à peine à l'équilibre, auxquels, de surcroît, l'on a retiré 5 millions d'euros de subventions en nature.

Atteindre l'équilibre est donc un objectif ambitieux, un défi pour les équipes comme pour le management, car c'est une trajectoire qui comporte des risques qu'il importe de maîtriser. Le premier de ces risques serait de devenir un opérateur opportuniste, ce dont doit nous prémunir, d'une part, le COM, en nous incitant à rester inscrits dans une stratégie française et, d'autre part, la commande publique, orientée vers des secteurs et des zones géographiques stratégiques pour la France.

Le deuxième risque est un risque social – je l'ai évoqué. Quant au troisième risque, il menace la qualité de notre engagement, si nous devions être amenés à faire du chiffre pour du chiffre. Nous devons à tout prix préserver l'image de l'expertise française.

Si ces risques sont maîtrisés, nous aurons créé un opérateur utile à notre politique de solidarité, car améliorer la gouvernance des pays du sud est ce que l'on peut faire de plus utile : les pays fragiles ont en effet autant besoin d'un transfert de savoir-faire que de financement. Nous aurons également créé un opérateur susceptible de soutenir l'influence de la France à l'étranger car, en exportant notre expertise, nous exportons les normes françaises et créons de ce fait un écosystème favorable à nos intérêts.

La création d'Expertise France est sans doute un succès, mais la France n'en demeure pas moins en retrait dans ce domaine, notamment par rapport à l'Allemagne ou la Grande-Bretagne. La proportion de l'aide au développement consacrée par notre pays à l'expertise technique est inférieure à 10 %, contre 27 % en Allemagne, où la GIZ projette son expertise technique partout dans le monde, dans des projets dont le montant global atteint deux milliards d'euros. L'une des raisons en est que les Allemands y croient et pensent que l'expertise technique est l'un des instruments sur lequel doit s'appuyer une diplomatie globale moderne. Or il me semble que les Français, qui ont une longue expérience de l'assistance technique ainsi qu'une proximité avec les pays du sud que je n'ai pas à vous expliquer, devraient être plus offensifs.

Si Expertise France peut y contribuer en gagnant des parts de marché, nous le ferons d'autant mieux que nous serons aidés dans la structuration de nos équipes et que notre action pourra être portée, d'une part, par un accroissement de l'aide bilatérale et, d'autre part, par une augmentation de l'expertise technique au sein de cette aide bilatérale.

Sous ses réserves, l'agence que je dirige pense pouvoir atteindre les objectifs fixés par le COM.

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