La commission m'a laissé le soin de vous présenter deux accords de coopération dans les domaines de la défense et de la sécurité, le premier avec la Croatie et le second avec la Lituanie.
Pourquoi cet examen conjoint des deux textes ? Sans vouloir établir des analogies douteuses, on peut tout de même souligner des similitudes dans le contexte de négociation des deux accords qui appuyaient ce choix.
Premièrement, la Croatie et la Lituanie font toutes les deux partie des PECO (pays d'Europe centrale et orientale), ces pays anciennement compris dans la sphère communiste et progressivement intégrés dans l'OTAN et dans l'Union européenne à partir des années 2000. La Lituanie a ainsi intégré l'OTAN et l'Union européenne en 2004, tandis que la Croatie est entrée dans l'OTAN en 2009 et dans l'Union européenne en 2013.
Deuxièmement, pour ces deux pays, la France ne fait pas partie du premier cercle de partenaires. Ce sont deux pays très atlantistes, pour qui la relation avec l'OTAN et avec les États-Unis est primordiale, et qui sont très proches de l'Allemagne sur le plan économique. Les actions de coopération militaire bilatérale entreprises par la France avec ces pays sont ainsi plutôt modestes.
Cependant, et c'est mon troisième point, dans les deux cas, les évolutions du contexte stratégique mondial rendent ces pays plus réceptifs aux problématiques sécuritaires. À cette occasion, la France renforce son dialogue stratégique avec eux ; cette nouvelle proximité peut trouver des applications dans les domaines de l'armement ou des opérations extérieures.
Enfin, les deux accords ont été signés en même temps, le 12 juillet 2013 pour la Lituanie et le 14 juillet 2013 pour la Croatie. Dans les deux cas, il est donc temps de les approuver, sachant que nos partenaires ont accompli leurs procédures de ratification dès la fin de l'année 2013.
Je vous présenterai d'abord les enjeux de la coopération militaire avec la Lituanie et avec la Croatie avant d'en venir aux apports concrets des textes que nous sommes appelés à examiner aujourd'hui.
Notre relation avec la Lituanie est ancienne. Pour l'anecdote, on peut se souvenir que Napoléon 1er y a séjourné à plusieurs reprises, notamment en 1812 en pleine retraite de Russie, et qu'il en avait gardé une excellente impression. Par le passé, la France a eu une influence culturelle non négligeable en Lituanie. Dans l'entre-deux guerres, le français y était la première enseignée.
Mais cette influence s'est aujourd'hui quelque peu étiolée au profit des pays anglo-saxons et de l'Allemagne, qui est l'un de ses premiers partenaires économiques. En matière de défense, la Lituanie a toujours accordé une priorité forte à l'OTAN et à la relation avec les États-Unis. La crise russo-ukrainienne a accentué à l'outrance le réflexe otanien de la Lituanie en même temps qu'elle a provoqué un réveil des consciences dans ce pays qui avait complètement délaissé son outil militaire. Face à ce qu'elle perçoit comme une menace russe imminente et existentielle, la Lituanie a décidé d'accroître son effort de défense de 0,8 à 2% du PIB au plus tard en 2020. Cet effort volontariste est rendu possible par un taux de croissance soutenu, de l'ordre de 3 à 3,5% du PIB depuis 2011.
Par ailleurs, La Lituanie a fait appel à la solidarité de ses alliés en demandant à ce que l'OTAN soit recentrée sur sa mission de défense collective. Les alliés ont réagi en adoptant des mesures de réassurance : accroissement en taille et en fréquence des exercices sur le territoire des alliés baltes et orientaux, prépositionnement de matériels et d'équipements, renforcement de la police du ciel des États baltes et bientôt déploiements par rotation de troupes alliées. La France a pris sa part de l'effort de réassurance. Elle assurera pour la sixième fois à partir du mois de septembre la mission de police du ciel des États baltes, ce qui mobilisera 4 avions de chasse et 120 personnels pendant 4 mois. La France conduit également des vols de surveillance maritime en mer baltique. Étant données les tensions qui pèsent sur notre outil militaire déjà fortement sollicité, cet effort n'est pas négligeable.
Plus généralement, le réinvestissement de la France dans l'OTAN a permis de nouer un dialogue stratégique de qualité avec la Lituanie et d'échanger sur nos préoccupations de sécurité respectives. Cette méthode s'avère payante. La Lituanie se montre désormais disposée à s'investir davantage dans les opérations en Afrique pourvu que nous maintenions notre effort sur les mesures de réassurance. En réponse à l'invocation par la France de l'article 42.7 du traité sur l'Union européenne, le Parlement lituanien a accepté de doubler les effectifs engagés au sein de la Mission des Nations Unies au Mali (MINUSMA), de 20 à 40 militaires, ce qui n'est pas négligeable pour ce pays qui compte au maximum 130 militaires déployés en opération extérieure.
Au total, c'est une coopération modeste que nous avons avec la Lituanie mais qui a trouvé à s'épanouir selon un principe de donnant-donnant. Il nous reviendra d'entretenir cette dynamique en marquant notre attention pour les préoccupations de sécurité de ce pays. De ce point de vue, l'approbation de l'accord (certes près de trois ans après notre partenaire...) sera un signal politique positif.
J'en viens aux enjeux de la coopération militaire entre la France et la Croatie. Si la relation franco-lituanienne est ancienne, la France a tardé à développer ses relations avec la Croatie. Notre pays était traditionnellement plus proche de la Serbie, le rival historique de la Croatie. C'est ainsi que le Monument de la reconnaissance à la France situé à Belgrade, que nous avons vu lors d'une récente mission de la commission des Affaires européennes, porte l'inscription : « Nous aimons la France comme elle nous a aimé – 1914-1918 ». Ce monument, dont l'inscription a été quelque peu effacée ces dernières années, aurait d'ailleurs besoin d'être restauré, et je profite de cette occasion pour émettre le souhait que l'Assemblée nationale contribue à cette restauration.
De son côté, la Croatie a toujours eu des liens plus forts avec l'Allemagne. Ce retard continue de se faire sentir aujourd'hui dans le domaine de la coopération de défense, où la Croatie a une relation presque exclusive avec les États-Unis. La France était le seul grand pays européen à ne pas avoir d'accord de coopération avec la Croatie. D'après le Gouvernement, nous sommes en dessous de la moyenne européenne pour les activités militaires bilatérales avec la Croatie. A la différence des autres grands États européens, nous ne participons pas aux exercices régionaux conduits par l'OTAN ni aux manifestations du RACVIAC (regional arms control verification and implementation assistance centre), qui est le principal forum de sécurité balkanique.
Par ailleurs, les sommes que notre pays consacre à la coopération structurelle avec la Croatie ont fondu depuis 2010. Auparavant, la Direction de coopération de sécurité et de défense (DCSD) du ministère des affaires étrangères consacrait environ 100 000 euros par an à la coopération militaire avec la Croatie, contre 6000 au maximum actuellement. Rappelons que ce type de coopération dite structurelle a pour objet de renforcer sur le long terme les capacités militaires d'États partenaires fragiles par des actions de formation, la mise en place de coopérants techniques auprès des responsables politiques et militaires et la conduite de missions d'expertise. D'après le Gouvernement, la chute de crédits de la coopération structurelle avec la Croatie s'explique en partie par son adhésion à l'OTAN en 2009, qui lui a permis d'avoir accès aux programmes de l'Alliance. Cependant, elle découle surtout de la forte réduction des moyens de la coopération structurelle française, recentrée sur des cibles prioritaires, principalement en Afrique.
Quant à la coopération opérationnelle conduite par les militaires français avec l'armée croate, elle est, de fait, très limitée par la taille réduite de l'armée et les faibles moyens de notre partenaire. La Croatie a perdu 13% de son PIB avec la crise économique et accuse aujourd'hui des déséquilibres macroéconomiques importants : déficit public supérieur à 5% du PIB entre 2009 et 2014 ramené à 3,2% en 2015, taux de chômage de 17% entre autres. Dans ce contexte, la Croatie fait partie des pays qui continuent de réduire leur effort de défense. Celui-ci s'élevait à 610 millions d'euros, soit 1,24% du PIB, en 2015. C'est ainsi essentiellement dans le domaine maritime que nos deux armées sont conduites à coopérer, la plupart du temps lors d'escales de bâtiments de la marine nationale en Croatie. Ces escales sont l'occasion d'organiser des exercices ou des séminaires ou de prévoir l'embarquement d'officiers croates. En 2016, une escale était prévue au mois de mai, celle du patrouilleur hauturier l'Adroit.
Les actions de coopération avec la Croatie sont donc très limitées. Mais d'après le Gouvernement, il y aurait matière à approfondir cette coopération en raison d'une nouvelle proximité de vues entre nos deux pays. Le nouveau ministre des affaires étrangères croate, M. Kovac, est un francophone qui manifeste la volonté de nouer des relations étroites avec notre pays. Et la Croatie se montre plus disposée à s'investir dans les opérations militaires de l'Union européenne, alors qu'elle privilégiait en principe systématiquement le cadre de l'OTAN. Elle a d'ores et déjà participé aux opérations maritimes Atalante au large de la Corne de l'Afrique et Sophia en Méditerranée occidentale. Par ailleurs, elle a répondu à la demande de solidarité de la France au titre de l'article 42.7 par une dotation en armement et en matériel et pourrait déployer des soldats au Mali d'ici la fin de l'année.
Quels sont les apports des deux accords sur lesquels nous devons nous prononcer ? Sur le plan juridique, ces textes ont le mérite de proposer un cadre actualisé pour les actions de coopération conduites avec la Croatie et la Lituanie. Auparavant, ces actions étaient encadrées par des arrangements techniques conclus dans les années 1990. Ces arrangements, dont la portée et le champ étaient beaucoup plus étroits, ont été rendus obsolètes par l'adhésion à l'OTAN de la Croatie et de la Lituanie, qui a complètement modifié notre relation de défense avec ces pays. Il était donc utile de prévoir un cadre rénové qui tenait compte de ces évolutions. La France a entrepris la même démarche avec la plupart des autres PECO, à l'image de la Roumanie (avenant de 2008), de la Pologne (avenant de 2006), de l'Estonie (accord de 2011) ou encore de la Lettonie (négociation en cours).
Je ne m'attarderai pas sur l'analyse des stipulations des accords, qui sont dans l'ensemble conformes à ce que l'on trouve dans ce type de textes, avec des petites variantes liées aux contextes de négociation ou aux spécificités de chaque pays. Les deux accords énumèrent dans un premier temps le champ et les modalités de la coopération, qui sont largement appréhendés. Suivent les questions relatives au statut des forces en visite, pour lesquelles les deux accords procèdent par renvoi au SOFA OTAN. On appelle SOFA OTAN la Convention entre les États parties au traité de l'Atlantique nord sur le statut des forces en visite, qui définit les différents éléments du statut des forces en visite sur le territoire d'une autre partie : conditions d'entrée et de séjour, facilités opérationnelles, questions juridictionnelles, modalités de règlement des dommages et questions fiscales. La Lituanie et la Croatie étant toutes deux membres de l'OTAN et parties au SOFA OTAN, il suffisait de renvoyer à ce traité pour régler l'ensemble de ces questions. Il faut pourtant noter que le renvoi au SOFA OTAN dans les accords que nous examinons conduit à étendre le bénéfice de ses clauses au personnel civil du ministère des affaires étrangères susceptible d'être déployé dans le cadre des actions de coopération structurelle. En effet, le SOFA OTAN ne s'applique qu'aux personnels civils du ministère de la défense. Or, la coopération structurelle relève en France du ministère des affaires étrangères. Jusqu'à présent, son personnel civil se trouvait soumis au droit local dans le cadre des actions de coopération, ce qui était nettement moins protecteur. Cette extension du bénéfice du SOFA OTAN est en réalité le principal apport des deux accords d'un point de vue juridique.
Que penser de la portée de ces accords sur le plan politique ? Ils permettront d'entretenir la dynamique positive de notre dialogue stratégique avec la Lituanie et la Croatie observée au cours des dernières années. Cela pourra peut-être ouvrir quelques possibilités en matière d'exportation d'armement, en particulier en Lituanie où des acquisitions d'équipements seront prévues dans le cadre de la hausse de l'effort de défense. La France a d'ailleurs pris l'initiative de créer un forum franco-baltes de l'industrie de défense qui donne l'occasion aux industriels français de se faire connaître. Avec la Croatie, les perspectives en matière d'armement seront beaucoup plus restreintes en raison de la contrainte budgétaire. Ces accords permettront aussi de renforcer notre partenariat politico-militaire avec deux pays qui ne font pas partie de notre sphère traditionnelle. Nous avons d'ores et déjà constaté, avec la Lituanie, que l'on pouvait trouver des terrains d'entente sur le plan opérationnel tout en ayant des intérêts de sécurité prioritaires différents.
En conclusion, il me semble que ces deux accords permettent une actualisation juridique plutôt positive de notre coopération militaire avec la Lituanie et la Croatie. Ils ne peuvent en outre qu'être bénéfiques sur plan politique. Je vous encourage donc à les approuver, comme le Sénat les a approuvés le 11 février dernier.