Intervention de Jean-Marc Ayrault

Réunion du 14 juin 2016 à 17h15
Commission des affaires étrangères

Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur le Proche et Moyen-Orient :

Merci Madame la Présidente. Je ne peux pas me permettre de faire le tri dans ces questions qui sont toutes intéressantes et importantes, même s'il est vrai qu'il y a beaucoup de choses.

Je commencerai avec notre initiative de paix. J'apprécie ce que vous venez de dire, Madame la Présidente. Ce n'est pas parce que c'est difficile qu'il ne faut rien faire. C'est notre responsabilité, dans la mesure où aucune initiative n'a été prise. Il y a bien eu la tentative sincère de John Kerry en 2014, mais qui de lui-même a reconnu avec une forme d'amertume qu'elle n'avait pas fonctionné.

Vous me demandez s'il se passe quelque chose, vous me dites que l'initiative engagée ne sert à rien. En réalité, le fait que la réunion du 3 juin, incluant une bonne part de la communauté internationale, se soit tenue, est déjà une étape politique très importante, qui n'était pas gagnée d'avance.

Je n'ai pas hérité d'un dossier, je suis dans la continuité de la politique française, et je n'ai fait que prendre mes responsabilités en continuant ce que Laurent Fabius avait annoncé. Nous avons besoin aussi de votre soutien, pas de votre scepticisme. Je comprends que vous soyez comme moi inquiets de la situation sur le terrain, et conscients de la difficulté. La porte est effectivement étroite, mais il faut l'emprunter et faire quelque chose : le pire est la résignation au statu quo. J'ai été surpris de ce qu'a dit Jacques Myard, qui a préconisé, et pas sur le ton de la boutade cette fois, que la situation dégénère à un point où les parties se rendront compte qu'il faut faire quelque chose. C'est peut-être comme cela que cela finira, mais je crois que nous devons tout faire pour que ce ne soit pas le cas. L'initiative de la France, qui a permis que cette réunion ait lieu et qui a créé un climat positif, où des choses se sont dites, doit prospérer. Ce n'est pas facile, je le reconnais, mais c'est indispensable.

Je suis à titre personnel très inquiet, de ce qui se passe non seulement à Jérusalem mais aussi à Tel Aviv. On sent la montée des discours de haine, et ce même sur les réseaux sociaux en France, où des gens se sont réjouis de l'attentat de Tel Aviv. Vous avez heureusement adopté des textes qui permettent désormais de poursuivre ce qui s'écrit en matière de haine, et notamment les propos antisémites, sur les réseaux sociaux, et des procédures judiciaires ont été engagées. J'ai récemment rencontré à New York des organisations juives américaines, auxquelles j'ai exposé ce que nous faisons et fait remarquer que leur constitution ne leur permet pas de mettre en place de tels dispositifs, ce qu'elles ont reconnu.

Je reviens au sujet qui nous préoccupe, que plusieurs d'entre vous ont évoqué, à savoir la colonisation. C'est pour moi un vrai drame. J'ai eu des entretiens bilatéraux avec beaucoup de ministres des affaires étrangères de beaucoup de pays. J'ai eu un entretien très approfondi avec John Kerry, qui connaît très bien la situation sur le terrain. Il y a une angoisse à voir, comme Michel Vauzelle l'a évoqué, l'espace disponible pour un État palestinien viable se réduire régulièrement. Je ne peux, personnellement, pas accepter qu'on affirme que la colonisation doit se poursuivre. Cela n'est pas responsable. Si cela est dit par le gouvernement de Benjamin Netanyahou et ses représentants, c'est un désaccord qu'il nous faut assumer. Nous ne pouvons pas l'accepter, car c'est contraire au droit international et à toutes les résolutions que la France a votées au Conseil de sécurité. Nous avons passé un moment avec John Kerry à regarder des cartes et constaté que la colonisation met en péril la solution des deux Etats. . La question du territoire et de la viabilité du futur État palestinien devient de plus en plus difficile. Il faut faire très attention à la question de la colonisation. Il y a une colonisation qui se poursuit de façon linéaire, à Jérusalem et autour de Jérusalem, et une colonisation qui se poursuit de façon diffuse, en Cisjordanie. En outre, la colonisation créée des tensions et des frustrations. C'est donc une question qui nous concerne et qu'il ne faut pas sous-estimer.

Le conflit israélo-palestinien n'est pas la mère de tous les conflits mais un conflit qui, sans faire de hiérarchie, est extrêmement dangereux. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité, la France a des responsabilités particulières, et tente, avec ses partenaires européens et la communauté internationale, d'apporter une contribution au règlement des conflits. A ce titre, il valait la peine de prendre cette initiative.

Vous m'avez demandé, Linda Gourjade, si en cas d'échec la France reconnaîtra unilatéralement l'État palestinien. Si je n'ai pas évoqué cette question, ce n'est pas par manque de courage ou d'audace : reconnaître un État palestinien est pour moi à la fois une conviction et une nécessité. Cependant, je ne pars pas avec l'idée d'un échec. Je ne vais pas prendre l'initiative d'une réunion avec un maximum de pays pour les mettre autour de la table tout en leur disant que l'on va échouer, et en mettant sur la table la réponse qu'on utilisera dans ce cas. Cette réponse serait d'ailleurs uniquement franco-française et non multilatérale. La question sera posée, le moment venu.

Les Palestiniens, ne voyant rien bouger, envisageaient de demander une résolution au Conseil de sécurité pour que la colonisation soit condamnée. Ils n'étaient pas sûrs du tout d'avoir un vote favorable, mais c'était un geste politique. Cette demande, qu'ils ont retirée du fait de l'initiative française, pourrait être renouvelée si la situation n'évolue pas. L'initiative française est une tentative difficile mais qui doit prospérer. Je vais écrire à tous ceux qui sont venus dans les prochains jours, avec lesquels nous allons multiplier les échanges pour voir qui peut aider. J'ai déjà cité un certain nombre de pays. Je ne peux pas en dire plus aujourd'hui.

Je voudrais revenir un instant sur ce qu'a dit Meyer Habib. C'est une question qu'il faut dépassionner. Il y a bien sûr des points de désaccords avec le gouvernement de Benjamin Netanyahou, ce qui est normal. Lui est contre un cadre international, il le dit et l'assume. Il me l'a dit à nouveau quand je l'ai appelé, le soir même de la conférence. Mais je crois que les choses vont finir par avancer - je l'espère en tous cas.

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