Intervention de Jean-Marc Ayrault

Réunion du 14 juin 2016 à 17h15
Commission des affaires étrangères

Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur le Proche et Moyen-Orient :

Après, vous me dites qu'il y a un problème d'impartialité de la France sur ce sujet. Mais la France n'a pas changé de position. Nous avions eu l'occasion de nous expliquer sur la formulation maladroite de la résolution à l'UNESCO. Nous voulons prioritairement un statut quo sur les lieux saints des trois religions monothéistes à Jérusalem. Nous s'engageons à veiller scrupuleusement à cet équilibre. Faisons donc attention aux mots.

S'agissant de votre référence aux passeports, il faut rester serein et calme. Il n'y a pas d'arrière-pensée ni de mauvaise intention. Il ne s'agit d'ailleurs pas des passeports, mais du registre de tous les Français établis hors de France. Jusqu' à présent, lorsqu'ils voulaient s'y inscrire, ils étaient contraints de se rendre au guichet du consulat. Afin de leur faciliter la vie, nous avons mis en place un système en ligne qui permet d'éviter ces déplacements. Il se trouve, qu'avant la généralisation de ce système, il y a eu un test, et le système prévoyait, parmi les options d'un menu déroulant des pays de résidence, « IsraëlTerritoires palestiniens ». Cette formulation réductrice a été immédiatement corrigée par nos services. Le problème est donc derrière nous. Je crois néanmoins qu'il faut détendre l'atmosphère, et ne pas faire de tout un sujet polémique.

La situation au Liban me préoccupe, notamment le fait qu'il n'y ait toujours pas de président de la République. Je me rendrai d'ailleurs dans ce pays le 11 et le 12 juillet. C'est avant tout aux Libanais de régler leurs problèmes et je n'ai pas reçu de mandat pour une quelconque médiation. Mais, néanmoins, je parlerai à tout le monde sur place, car c'est utile. Par ailleurs, j'ai eu l'opportunité d'échanger récemment avec M. Zarif, à l'occasion d'une réunion sur la Syrie à Vienne, et que je rencontrerai à nouveau très bientôt lors de sa visite en France. Le 27 juin, je rencontrerai également M. Mohamed ben Salmane, vice prince héritier d'Arabie saoudite, dans le cadre de la réunion de la commission mixte franco-saoudienne. Évidemment, dans un cas comme dans l'autre, nous parlerons du Liban.

S'agissant de la question irako-syrienne, la lutte contre DAESH progresse et marque des points. Le groupe a perdu 45% du territoire en Irak, et ce notamment grâce à l'appui aérien de la coalition. L'objectif maintenant est de reprendre Fallujah et puis d'aller jusqu'à Mossoul. Les Peshmergas ont engrangé des succès réels, notamment dans la région de Karakoch. La France prend ses responsabilités car, dans le cadre de l'opération Chammal, elle contribue notamment avec 14 avions, basés dans les Émirats arabes unis et en Jordanie, une surveillance, des conseils.

En ce qui concerne l'Irak, nous voulons un gouvernement inclusif. Le Premier ministre Haïder al-Abadi devrait avoir comme priorité d'intégrer tous les représentants des forces politiques dans son gouvernement. En revanche, il ne faut pas être ambigu sur la question kurde et refuser catégoriquement le partage d'Irak. Cela vaut également pour la Syrie. Je crois qu'il ne faut pas jouer avec les frontières.

Hier, j'étais en Pologne et j'ai rencontré les membres du gouvernement et responsables politiques de ce pays, y compris M. Kaczyński. Des rencontres qui étaient intéressantes, même si je ne dis pas que je suis en accord avec leurs positions. Nous avons parlé notamment du rapport avec la Russie et de la prochaine réunion de l'Otan. Nous sommes membres de l'Alliance atlantique, et dans ce cadre, nous respecterons nos engagements, notamment à contribuer à la surveillance de l'espace aérien des Etats baltes. Le président de la République annoncera ce que nous pouvons faire de plus sur ce dossier, mais cela sans être une nation cadre. Néanmoins, nous ne devons pas donner l'impression d'être agressifs et entrer dans une nouvelle guerre froide avec la Russie. La Russie n'est pas un adversaire mais un partenaire de la France. Nous avons évidemment des désaccords, mais nous devons essayer de trouver ensemble des réponses et des solutions, et ce notamment sur le dossier syrien. En ce sens, lorsque j'avais vu M. Poutine, j'avais proposé qu'une nouvelle réunion du conseil Otan-Russie ait lieu avant le sommet. Je vous confirme qu'une première réunion a eu lieu dans un climat qui n'était pas agressif et qui a permis d'échanger des informations en toute transparence. L'objectif est de veiller à ne pas donner des signes qui pourraient contribuer à faire monter la tension et servir de prétexte aux Russes.

S'agissant du dossier libyen, nous avons travaillé, avec le Royaume-Uni notamment, sur une résolution du Conseil de Sécurité afin de permettre de mieux contrôler le trafic d'armes et de veiller au respect de l'embargo sur les armes en Méditerranée centrale. Certains voient un rôle pour l'Otan dans ce domaine. Je crois que ce serait une erreur, surtout après l'intervention de 2011 qui a laissé des traces. . Il faut, au contraire, associer les Russes pour que cette résolution aboutisse et j'en ai'ai d'ailleurs parlé à M. Lavrov au téléphone. Nous verrons donc le résultat final. Je pense qu'il faut faire attention, non pas dans une quelconque soumission à tel ou tel dictat russe, mais pour trouver des voies et avancer vers un certain nombre de solutions.

Il est vrai que ce sont les milices de Misrata qui sont parvenues à prendre le contrôle de Syrte alors que certains pensaient que les forces du général Haftar arriveraient les premières. Il faudra prendra en compte cette réalité et encourager le gouvernement Sarraj à unifier les forces militaires. De même il faudra convaincre l'Egypte et les Emirats arabes unis à contribuer à ce que le parlement libyen vote l'investiture du gouvernement Sarraj. Il y a donc des progrès, mais la situation demeure fragile.

Il est clair qu'il n'y aura pas de solution en Syrie sans discussion avec la Russie, notamment dans le cadre du Groupe international de soutien à la Syrie co-présidé par la Russie et les Etats-Unis. Mais il n'y aura pas de solution non plus si le cessez-le-feu décidé à Munich n'est pas à nouveau respecté. On ne peut pas accepter que le régime de Damas autorise le passage d'un convoi humanitaire, pour bombarder immédiatement après les populations auxquelles il était destiné. Dans un contexte de catastrophe humanitaire, les négociations sont impossibles. Or les Russes ont les moyens de faire pression sur le régime. Je compte avoir une explication sur ce sujet avec Monsieur Lavrov lors d'une prochaine rencontre.

S'agissant des sanctions européennes contre la Russie, sachez tout d'abord que la résolution que vous avez votée ne facilite pas les choses. Ces sanctions en effet ont été prises à l'unanimité et ne peuvent être levées que si les choses évoluent positivement en Ukraine. Or, on est loin du compte. La Russie doit accentuer sa pression sur les séparatistes. Dans le Donbass, on constate une amélioration mais elle n'est pas suffisante ; notamment, les observateurs de l'OSCE ne peuvent circuler librement, certains ont même été détenus pendant quelques jours par les séparatistes. Je ne sous-estime pas pour autant les retards imputables au gouvernement de Kiev. Lorsque le Conseil européen examinera cette question, il évaluera les progrès dans la mise en oeuvre des accords de Minsk et, à moins d'une évolution d'ici là, constatera que les conditions ne sont pas remplies pour une levée des sanctions, ce qui est regrettable.

L'accord UE-Turquie est effectivement très critiqué, mais y avait-il une autre solution alors que nous étions confrontés à une crise humanitaire gravissime en Grèce ? Je n'entends aucune proposition alternative dans ce concert de critiques. On ironise sur les contreparties que l'on a données à la Turquie, mais ce pays accueille près de trois millions de réfugiés. Quel pays supporterait-il une telle charge ? Les soutiens décidés lors de la Conférence de Londres aux pays d'accueil sont légitimes. La libéralisation des visas n'interviendra que si 72 critères sont respectés, notamment celui de la définition du terrorisme. Même le ministre des affaires étrangères turc reconnaît que tout ceci ne sera pas prêt d'ici la fin du mois.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion