Intervention de Najat Vallaud-Belkacem

Réunion du 14 juin 2016 à 17h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche :

Je suis très heureuse que la représentation nationale se saisisse de la question de l'enseignement professionnel, car ce secteur demeure mal connu et fait l'objet de préjugés. Comme je l'ai écrit dans une tribune du journal Les Échos, il est surprenant de voir à quel point l'adjectif « professionnel » change de sens selon le mot qu'il est accolé : lorsque l'on dit d'une personne qu'elle est très professionnelle ou que l'on évoque une intervention professionnelle, c'est une qualité ; mais, lorsque l'on parle d'un lycéen professionnel, le terme devient dévalorisant.

Ces préjugés sont, pour beaucoup, dus au fait que la plupart d'entre nous – et je me compte parmi ceux-là – ne sont pas passés par cette voie, et que nous considérons inconsciemment avoir suivi le chemin le plus direct vers la réussite. En réalité, les chemins vers les réussites sont multiples : un jeune bachelier professionnel qui ouvre son entreprise de plomberie après quelques années d'expérience professionnelle donne un exemple de réussite qui n'a rien à envier à un jeune de l'enseignement général ou technologique.

Je souhaite vous en convaincre, comme je l'ai fait au Sénat au mois de mars dernier, en évoquant trois thèmes avant de répondre à vos questions.

Tout d'abord, je veux souligner le rôle essentiel que l'enseignement professionnel tient dans notre pays : Antoine de Saint-Exupéry disait que « l'essentiel n'a pas de poids ». Aussi suis-je très surprise de voir à quel point certains sujets soulèvent l'intérêt des journalistes et donnent lieu à d'importants débats lorsqu'il s'agit de l'enseignement général, mais ne retiennent l'attention de personne ou presque dès lors qu'il s'agit de l'enseignement professionnel. J'en veux pour preuve la question des programmes scolaires, sujet qui intéresse beaucoup de monde, alors que l'Éducation nationale, dans le domaine de l'enseignement professionnel, modifie ou crée chaque année près de vingt diplômes en lien avec les professionnels de chaque secteur sans que personne n'y prête attention. Qui sait que, ces deux dernières années, nous avons rénové l'ensemble des formations aux métiers du froid et de la climatisation ainsi que l'ensemble des diplômes des métiers du bois ?

Comme les années précédentes, la plupart des reportages récents consacrés ces derniers jours au baccalauréat portent sur l'épreuve de philosophie, considérée à tort comme le début de l'examen ; en réalité, celui-ci a débuté il y a plus de quinze jours, le 30 mai dernier, pour près de 30 % des candidats présentant le baccalauréat professionnel, qui ont commencé à passer les épreuves techniques. Personne ne parle de ces candidats, personne ne leur parle : lorsqu'ils allument la télévision et entendent parler du baccalauréat, c'est comme s'ils n'existaient pas et constituaient un point aveugle de la société.

Citons quelques ordres de grandeur : la France compte près de 1 600 établissements d'enseignement professionnel, accueillant chaque année quelque 700 000 élèves formés par 60 000 professeurs, et ce dans plus de cent spécialités couvrant des domaines très variés allant de l'hôtellerie-restauration jusqu'aux métiers d'art, en passant par l'automobile et les services à la personne. Si nous pouvons nous targuer de compter 695 000 candidats au baccalauréat cette année – avec un taux de réussite de 88 % l'an dernier –, c'est pour beaucoup grâce au baccalauréat professionnel, qui a fourni 30 % des concurrents et 22 % du contingent des reçus.

Il est de notre devoir à tous, femmes et hommes politiques, de rendre justice à l'enseignement professionnel et de lui donner la place qui lui revient dans le débat public. Au titre de l'insertion sociale et professionnelle des élèves concernés, cet enseignement est essentiel à notre pays, car 67 % des bacheliers professionnels intègrent directement le marché du travail sur lequel leurs compétences sont recherchées. Par ailleurs, ce type de formation, alliant enseignement général et apprentissage manuel, correspond à des envies et produit de l'excellence.

Les établissements d'enseignement professionnel accueillent une large proportion des jeunes les plus fragiles de notre pays – ce à quoi il ne faut toutefois pas les résumer, car ils répondent à un choix, à un désir d'apprendre autrement. L'enseignement professionnel offre ainsi la garantie d'un service éducatif pour tous, un filet de sécurité pour de nombreux jeunes qui, sans cela, auraient interrompu leur scolarité. Sans les lycées professionnels, les intéressés n'auraient jamais entendu parler des valeurs de la République, ni acquis de qualification leur permettant d'accéder à un emploi : grâce à l'enseignement professionnel, ces jeunes, fragiles sur le plan scolaire, retrouvent une raison de vivre.

Je rappelle par ailleurs que le taux de boursiers professionnels est aujourd'hui plus important que celui de l'enseignement général : 35 % dans les terminales professionnelles tertiaires, 12 % en terminale S. Nombre d'élèves de l'enseignement professionnel poursuivent grâce à cela leurs études jusqu'au baccalauréat, voire au-delà, alors qu'autrefois ils auraient interrompu leur cursus au certificat d'études.

Ainsi, l'enseignement professionnel a la vertu de faire progresser le taux de qualification professionnelle dans notre pays ; or c'est précisément ce dont la France a besoin.

L'enseignement professionnel répond à des besoins économiques et sociaux précis, il donne à notre pays des métiers d'ouvriers, de techniciens, de cadres – que ce soit dans l'industrie ou dans le tertiaire –, des métiers du geste – horlogers, cuisiniers… – mais aussi des métiers incarnant la solidarité de la Nation envers les plus fragiles : services à la personne, aide à domicile, accompagnement de personnes âgées ou de personnes en situation de handicap.

La France a besoin de ces personnels qualifiés, et l'enseignement professionnel répond à ces attentes. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si des entreprises comme Safran, Renault, Peugeot et bien d'autres viennent régulièrement démarcher l'Éducation nationale pour passer des partenariats avec elle : elles savent que nous formons leurs futurs salariés. Et ce sont ces salariés ainsi que la qualité de leur formation qui font la compétitivité de ces entreprises sur la scène internationale.

C'est cette image qu'il nous revient de transmettre auprès des Français : c'est pourquoi j'ai souhaité communiquer activement cette année, à l'occasion des trente ans du baccalauréat professionnel ; et je salue la députée Colette Langlade qui, tout au long de cette année, a été ambassadrice des lycéens professionnels aux côtés de beaucoup d'autres personnes très engagées.

L'enseignement professionnel et l'apprentissage entretiennent une relation très étroite alors que ces deux modalités de formation en alternance sont souvent considérées comme étant opposées. Or cette opposition supposée n'est pas fondée : il n'y a pas à choisir entre l'un ou l'autre ; bien au contraire, les deux filières sont parfaitement complémentaires et également utiles à la France. Il est vrai que, pour beaucoup, l'alternance évoque l'apprentissage, et l'on me demande régulièrement pourquoi l'Allemagne forme un million d'apprentis et nous 400 000 seulement. À cela, je réponds qu'en prenant en compte nos jeunes étudiants en alternance – ce qui n'existe pas en Allemagne – en plus de nos apprentis et lycéens professionnels, nous faisons mieux, avec 700 000 en lycée professionnel et 400 000 en apprentissage.

Ainsi ces deux modalités de formation coexistent-elles, répondant à des besoins différents. Aujourd'hui, l'apprentissage prépare majoritairement les élèves au CAP, alors que l'enseignement professionnel conduit principalement au bac pro : neuf élèves sur dix accèdent à ce type de baccalauréat via un lycée professionnel. L'apprentissage repose sur un statut de salarié avec un contrat de travail, appelé contrat d'apprentissage, alors que les stages des lycéens professionnels, qui durent 22 semaines, sont effectués sous statut scolaire.

L'enseignement professionnel propose des enseignements généraux en complément des enseignements techniques, ce qui conduit l'élève à ne pas se spécialiser trop tôt ; il s'agit donc d'un choix de l'intéressé, qui envisage d'acquérir un métier par le truchement d'une filière, au sein d'un domaine d'activité qui l'intéresse. De son côté, l'apprentissage s'adresse à des jeunes ayant une idée bien plus précise du métier qu'ils souhaitent pratiquer plus tard : il les forme à ce métier particulier, en entreprise, avec une spécialisation assez rapide.

Les présidents de conseil régional, que j'ai reçus récemment, m'ont fait part de leur volonté de voir les parcours mixtes se développer. Il s'agit de permettre à des élèves qui, par exemple, auraient opté dans un premier temps pour un statut d'apprenti et n'auraient pas trouvé d'entreprise d'accueil, ou dont le contrat aurait été rompu, de demeurer sous statut scolaire grâce aux passerelles existant entre enseignement professionnel et centres de formation d'apprentis (CFA). Tels sont les parcours mixtes mis en place avec les régions.

J'ai décidé un certain nombre de mesures qui entreront en vigueur à la rentrée prochaine.

Je pense tout d'abord qu'il faut améliorer l'image de la voie professionnelle dès le collège, car c'est à ce stade que sont choisies les orientations. Aussi, dès le mois de septembre prochain, tous les collèges seront-ils jumelés avec des lycées professionnels et des CFA : tous les élèves iront visiter ces établissements, avant la classe de troisième et le choix de l'orientation.

Nous devons par ailleurs accompagner les élèves les plus fragiles ; je pense en particulier à l'éducation prioritaire où se concentrent les difficultés sociales et scolaires. Nous avons créé des parcours d'excellence, à l'image des « cordées de la réussite » mises en place par de grandes entreprises et de grandes écoles, et qui consistent à organiser des tutorats pour des lycéens afin de combattre leur tendance à l'autocensure, de leur ouvrir des horizons et de les hisser vers les études supérieures. Ces cordées de la réussite sont une bonne chose, mais elles sont éparses et sans garantie suffisante de continuité : nous avons donc décidé de nous en inspirer et de créer les parcours d'excellence.

Aussi, dès la rentrée prochaine, tous les élèves des réseaux d'éducation prioritaire plus (REP +) – et, l'année suivante, tous les élèves de REP – en classe de troisième, sur la base du volontariat, se verront attribuer un tuteur qui assurera un suivi continu jusqu'à la terminale : c'est dans cette continuité que réside la nouveauté du dispositif. Les élèves concernés seront ainsi accompagnés, motivés, régulièrement informés sur toutes les filières de l'enseignement supérieur existantes et assistés dans le choix de leur spécialité. À cette fin, nous avons démarché des écoles et des entreprises pour trouver des tuteurs, et nous veillerons à ce qu'ils s'adressent autant aux lycéens professionnels qu'aux lycéens généraux ou technologiques, et ce dès la classe de troisième, sachant que les filières ne sont pas distinctes à ce stade.

S'agissant de l'orientation, nous constatons que beaucoup d'élèves placés en lycée professionnel, interrogés au terme de quelques années, estiment avoir subi et non choisi leur orientation ; dans ces conditions, il n'est pas possible de réussir. C'est pourquoi l'orientation ne doit pas être irrémédiable, et la possibilité de changer doit rester ouverte si les jeunes considèrent que la voie dans laquelle ils se trouvent ne leur convient pas. Ainsi, après leur entrée en seconde, leur sera-t-il possible, jusqu'aux vacances de la Toussaint, soit de changer de filière professionnelle, soit de retourner à l'enseignement général si l'enseignement professionnel ne leur convient pas. J'insiste sur l'aspect novateur de cette mesure, dont la mise en oeuvre a été singulièrement difficile, car il a fallu organiser l'ouverture d'un troisième tour d'inscriptions par la procédure Affelnet.

Aujourd'hui, nos lycéens professionnels passent 22 semaines de stage en entreprise – ou « périodes de formation en milieu professionnel » – mais certains jeunes ne parviennent pas à trouver de stage par eux-mêmes ; c'est un sujet dont j'entends parler depuis des années. Dès la rentrée prochaine, 300 pôles de stage mailleront l'ensemble du territoire national ; ils seront constitués de « brigades » de professionnels chargés de trouver un stage en entreprise pour les lycéens qui n'en seraient pas pourvus. Pour chacun de ces pôles, nous avons fait appel à deux jeunes effectuant un service civique, soit 600 personnes ; ils auront pour mission quotidienne de démarcher les entreprises et d'aider les professionnels mobilisés à trouver des stages pour les lycéens.

Ce contact précoce avec le monde du travail n'est pas chose simple : les intéressés sont âgés de 15 ou 16 ans, et on leur demande d'être parfaitement à l'aise au sein de l'entreprise alors qu'ils n'en connaissent pas les codes ; c'est une exigence que les lycéens de l'enseignement général ne subissent pas. C'est pourquoi nous avons instauré, à partir de la rentrée prochaine, une semaine de préparation à l'arrivée en entreprise, organisée avant le premier stage, au cours de laquelle les lycéens, qui n'ont qu'une connaissance assez vague du monde professionnel, seront formés aux attentes de celui-ci ; par ailleurs, les règles de santé et de sécurité, indispensables dans les métiers techniques particulièrement, leur seront inculquées.

Dans le même esprit, à partir du mois de septembre prochain, des journées d'accueil et d'intégration seront mises en place pour les élèves de seconde entrant au lycée professionnel ; par le passé, plusieurs établissements ont déjà pratiqué cette expérimentation, et nous avons constaté que les élèves la plébiscitaient.

Voilà les modifications que nous apportons, en quelque sorte à bas bruit, à notre système d'enseignement professionnel. La meilleure façon de montrer notre attachement à cette filière consiste à investir résolument en elle. À cette fin il convient d'adapter régulièrement les formations, et au-delà de ce travail au fil de l'eau, nous devons préparer l'avenir. Chacun sait que, d'ici une décennie, certains métiers risquent de manquer de main-d'oeuvre : il s'agit pourtant de secteurs d'avenir comme l'aéronautique, la sécurité ou les services à la personne. Dans cette perspective, avec la collaboration du Commissariat général à la stratégie et à la prospective, aussi appelé France Stratégie, nous avons décidé d'ouvrir 500 nouvelles formations dans l'enseignement professionnel français à la rentrée 2017, ce qui est inédit et revient à faire gagner à cette filière six années d'un coup. À cette fin, 1 000 postes supplémentaires d'enseignants seront créés, pour lesquels les crédits sont d'ores et déjà dégagés. Nous établissons actuellement la cartographie précise des professions concernées avec les présidents de conseil régional afin que les formations correspondent pour le mieux aux besoins des territoires.

Nous vivons dans une société de la connaissance, ce dont nous devons nous réjouir, mais son corollaire est l'exigence d'un niveau de qualification toujours plus élevé. C'est pourquoi nous faisons en sorte que les lycéens professionnels puissent poursuivre et réussir des études supérieures. Pour ce faire, nous observons vers quels types d'études se tournent les intéressés une fois leur bac pro obtenu : la majorité d'entre eux choisit les sections de technicien supérieur (STS) en vue d'obtenir un brevet de technicien supérieur.

Grâce à la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, dite « loi Fioraso », qui a institué des quotas de bacheliers professionnels accueillis en STS et en institut universitaire de technologie (IUT), nous sommes en mesure de satisfaire la demande pour ces formations. Nous nous employons à faire respecter ces quotas, et cette année nous avons observé qu'au sortir des premières propositions faites aux lycéens par le site « Admission post-bac » (APB), 1 000 bacheliers supplémentaires ont eu accès à l'enseignement professionnel supérieur. Ce n'est toutefois pas suffisant : je considère que l'accès au brevet de technicien supérieur (BTS) doit être de droit dès lors que les jeunes le souhaitent, car cette formation doit leur permettre de valoriser les compétences acquises et de les prolonger. À cette fin, une expérience sera lancée dans cinq académies, qui sera généralisée en cas de succès : dès que le conseil de classe de fin de terminale aura donné un avis positif à une demande d'orientation vers le BTS émise par l'élève, l'admission sera de droit. C'est un renversement de la logique prévalant actuellement : nous attribuons à l'avis du conseil de classe un poids plus important dans l'orientation du jeune.

Le nombre de demandes dans cette filière est supérieur à l'offre disponible. C'est pourquoi, à l'occasion de la présentation au mois d'avril dernier du « Plan jeunes », et dans le fil des échanges avec les organisations représentatives de la jeunesse, j'ai annoncé l'ouverture de 2 000 places supplémentaires en BTS pendant cinq ans, soit 10 000 places au total.

Enfin, en 2013, les campus des métiers et qualifications ont été créés, dont le succès a dépassé toutes les espérances. Des filières d'excellences sont identifiées dans les régions, autour desquelles sont organisés des pôles d'excellence de formation regroupant lycées professionnels, universités, grandes écoles, laboratoires de recherche, grandes entreprises et régions, sur un même campus des métiers et qualifications. Les entreprises ont ainsi la garantie de pouvoir recruter des personnels formés à tous les niveaux d'exigence et de qualification, et l'expérience montre qu'elles recourent largement à ces campus. Cette institution représente aussi un intérêt pour l'image des régions concernées, mais surtout, ouvre bien des perspectives aux lycéens professionnels qui peuvent découvrir nombre de possibilités auxquelles ils n'avaient pas forcément songé, grâce au réseau de relations auquel ils ont ainsi accès. Ce succès a conduit à porter à quarante-neuf le nombre des campus des métiers et qualifications, et un quatrième appel à projets a été lancé.

Aujourd'hui comme il y a trente ans, la France a besoin de personnels qualifiés et compétents dans les secteurs de l'industrie et du tertiaire, et l'enseignement professionnel constitue la meilleure réponse : nous pouvons en être fiers et devons continuer à améliorer cette filière.

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