Intervention de Annie Genevard

Réunion du 14 juin 2016 à 17h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnie Genevard :

Le bac pro a trente ans et vous souhaitez le débarrasser des préjugés qui, à votre sens, lui portent préjudice.

Sa création a constitué une étape très importante de l'histoire du baccalauréat, fondé sur la conception partagée par tous de l'égalité des voies de formation. En 1985, 30 % d'une classe d'âge obtenait le baccalauréat, et l'enseignement professionnel, synonyme de CAP ou de brevet d'études professionnelles (BEP), était destiné à former des employés ou des ouvriers qualifiés. Il est aujourd'hui le deuxième baccalauréat choisi en France, et un tiers des 700 000 bacheliers ont passé un bac pro.

Réformé en 2007, préparé en trois ans comme les baccalauréats généraux, le bac pro a connu, avec l'intégration du BEP, une forte progression, participant ainsi à l'accession de 80 % d'une classe d'âge au baccalauréat, conformément au voeu de Jean-Pierre Chevènement ; aujourd'hui, 77 % d'une classe d'âge a le baccalauréat en poche.

Vous considérez, madame la ministre, que l'enseignement professionnel demeure victime de préjugés. C'est sans doute vrai, et l'Éducation nationale porte sa part de responsabilité : la filière générale longue, si possible universitaire, reste la référence. Cet état d'esprit influe naturellement sur les choix des jeunes et de leurs parents, qui font confiance à l'institution. Le Président de la République lui-même, inspiré par ce chiffre presque devenu un mantra de 80 % d'une classe d'âge reçu au baccalauréat, n'a-t-il pas exprimé le souhait d'amener 60 % d'une classe d'âge à l'enseignement supérieur ?

Ce voeu porte en lui-même une forme d'ambiguïté : en dernier ressort, au détriment de ses valeurs propres et de l'accès qu'il ouvre aux études supérieures, la dignité de l'enseignement professionnel ne se gagnerait que dans le parallélisme établi avec l'enseignement général. Cette situation invite à réfléchir à comment valoriser en soi cette filière qui, en effet, souffre de déconsidération, et demeure parfois le fruit d'une orientation subie.

L'idée que la valorisation de l'enseignement professionnel ne peut résider que dans son prolongement dans le supérieur induit en creux la permanence du préjugé, ce qui constitue aussi un important risque d'échec : les bacheliers professionnels ne sont pas plus préparés à l'université que l'université n'est préparée à les conduire à la réussite. Les chiffres de l'échec sont impressionnants : 3 % seulement des 8 % qui tentent une licence y réussissent.

Toutefois, et c'est une réalité, les bacheliers professionnels sont toujours plus nombreux à souhaiter poursuivre des études supérieures. C'est la raison pour laquelle votre gouvernement a décidé d'instaurer des quotas de bac pro en IUT et en STS, qui, eux aussi, font l'objet de fortes pressions de la part des détenteurs du baccalauréat général. Vous n'êtes pas sans être au fait de ces problèmes : découragement des équipes pédagogiques qui accomplissent un travail honnête de sélection des étudiants les plus motivés ; hétérogénéité des niveaux ; abandon de la concertation. Le quota n'est pas la solution à tout : tel est l'avis des professionnels – qu'il faut toujours écouter – qui se sont exprimés à l'occasion de leur assemblée des directeurs d'IUT.

De notre point de vue, la clef réside dans une véritable promotion de la voie professionnelle, pour les valeurs propres qui sont les siennes. Le bac pro a été conçu pour l'emploi, il était réputé répondre aux besoins de la qualification intermédiaire : a-t-il tenu ses promesses ? La cinquième édition de l'enquête réalisée par le Centre d'études et de recherches sur les qualifications, intitulé Quand l'école est finie, souligne que, sur les 110 000 candidats reçus au bac pro en 2010, 74 % occupaient un emploi trois ans après, contre 54 % pour les reçus au bac général – même si les débuts professionnels sont difficiles, souvent marqués par la succession de « petits boulots ».

À écouter les professionnels des métiers de l'industrie et de l'artisanat, il semblerait que 500 000 emplois sont non pourvus. Je pense à ce jeune de ma ville de Morteau qui voulait devenir pâtissier, mais qui, n'ayant obtenu que 13 de moyenne, n'avait pu intégrer une formation, car une moyenne de 15 était exigée en raison du nombre limité de places disponibles ; il a échoué en seconde générale. Il est flagrant que notre pays souffre cruellement d'un manque de main-d'oeuvre professionnelle.

Cette situation, qui appelle une conversion générale du système, est d'autant plus regrettable qu'il y a de belles réussites à la clef : du parent à l'enseignant en passant par le conseiller d'éducation, il faut sensibiliser toute la chaîne éducative. Les politiques, eux aussi, portent leur part de responsabilité lorsqu'ils prennent certaines décisions allant à l'encontre de la revalorisation de la voie professionnelle dans son acception la plus large. Ainsi, les mesures adoptées au début du quinquennat ont beaucoup fragilisé l'apprentissage, et redresser la barre n'est pas facile.

L'Allemagne compte trois fois plus d'apprentis que la France et trois fois moins de chômeurs chez les jeunes : l'alternance constitue un atout trop peu exploité dans notre pays, ce qui est dommage.

Deux questions majeures peuvent se poser au sujet de l'enseignement professionnel. Quelles sont les finalités de la voie professionnelle ? Quelle est l'adéquation de l'offre de formations aux besoins de l'économie ? Elles plaident en faveur d'une approche décentralisée de l'enseignement professionnel : que pensez-vous de cette hypothèse ?

La logique de l'accueil des bacheliers professionnels dans l'enseignement supérieur conduit à privilégier l'orientation vers les STS et les IUT plutôt que vers l'université, sans que cette orientation soit systématique, et sans recourir aux quotas. J'ai pris connaissance de l'exposé sommaire de l'amendement que vous présenterez à l'occasion de l'examen du projet de loi « Égalité et citoyenneté ». Vous y écrivez que le droit aux études doit être garanti pour tous, mais la question qu'il faut se poser est de savoir comment faire de ce droit une réussite.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion