Intervention de Najat Vallaud-Belkacem

Réunion du 14 juin 2016 à 17h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche :

Vos interventions, mesdames et messieurs les députés, m'incitent à poursuivre la réflexion. Je m'efforcerai de répondre à vos questions, mais je me garderai bien de dire que je dispose toujours de solutions définitives, quand votre questionnement ne fait parfois, par sa qualité, que nourrir le mien.

Madame Langlade, vous avez évoqué la réussite des bacheliers professionnels dans l'enseignement supérieur. Leur taux de réussite en BTS, en 2015, n'est certes que de 56 %. Cela peut sembler peu, mais il faut mettre ce chiffre en parallèle avec le taux d'échec en licence, qui est très élevé. Ainsi, les bacheliers professionnels réussissent dix fois plus en BTS qu'en licence.

Ils sont du reste 80 % à demander un BTS après leur bac. Nous devons donc agir pour leur ouvrir plus largement les portes de ces formations. Cela ne doit pas empêcher que d'autres aillent en licence ; pour ces derniers, nous devons travailler avec les universités pour qu'elles accompagnent et accroissent leur taux de réussite. Les 1 000 emplois par an mis à la disposition de l'enseignement supérieur depuis 2012 sont fléchés vers cet accompagnement, qui permet aux bacheliers professionnels inscrits à l'université de recevoir des conseils sur leur orientation et sur les unités de valeur à choisir. Avec les universités, nous travaillons également sur la question de l'alternance. Elle est souhaitable en soi, mais, s'agissant des lycéens professionnels, elle représente aussi une suite logique de leur parcours au lycée.

Madame Genevard, vous avez évoqué une possible décentralisation de la gestion des lycées professionnels au niveau territorial. La fusion entre lycées professionnels et CFA est parfois envisagée ; je n'y suis pas favorable. Ils ne sont en effet pas régis par la même logique : s'agit-il, pour l'élève, de choisir un métier ou de choisir un secteur ? Doit-il avoir encore accès à un enseignement général ?

Les logiques des lycées professionnels et des CFA sont voisines, mais demeurent différentes. Les professionnels dépendent du ministère de l'éducation nationale et l'État apporte sa garantie en matière de programmes, d'horaires et de gestion de l'établissement. Vous avez tracé une comparaison avec l'Allemagne, mais si ce pays manque d'apprentis, c'est parce qu'il manque tout simplement de jeunes. Cet écart de démographie avec la France rend en réalité la comparaison difficile. Par ailleurs, en Allemagne, les entreprises ont une tradition ancienne de formation des jeunes.

Nous n'en voulons pas moins développer l'apprentissage. Le ministère de l'éducation y prend toute sa part. Et, sans vouloir minorer ce qu'ont fait mes prédécesseurs, je puis vous dire que l'impulsion sur ce sujet est particulièrement forte depuis mon arrivée. En août 2014, j'ai ainsi envoyé une lettre aux recteurs où je mettais l'accent sur l'apprentissage.

Je rappelle d'ailleurs le fait, parfois oublié, que 60 000 jeunes sous statut d'apprentis sont gérés directement au sein du ministère. Nous organisons aussi, pour les enseignants, des modules de formation à l'apprentissage, de sorte qu'ils acquièrent le réflexe d'en parler à leurs élèves. L'apprentissage apparaît désormais sur le logiciel Affelnet qui gère l'orientation entre la troisième et la seconde. Nous relayons dans les collèges et lycées une campagne de communication sur l'apprentissage.

Des réunions ont aussi été tenues, sur tout le territoire, avec les familles. Elles ont produit des résultats assez rapides, faisant croître le nombre des jeunes voulant choisir l'apprentissage à la fin du collège. Trois semaines plus tard, plus d'un a cependant dû revenir sur son choix, faute d'avoir trouvé une entreprise d'accueil, et se diriger vers l'enseignement professionnel. En matière d'apprentissage, comme pour se marier, il faut être deux !

Même si, depuis le début du quinquennat, des signaux contradictoires ont pu être envoyés en matière d'apprentissage, nous « mettons le paquet » sur la question, depuis un an, avec les aides « jeunes apprentis » aux très petites entreprises (TPE). Tous les résultats ne sont cependant pas encore là, j'en conviens, car le tissu des PME et des TPE constitue le terreau d'accueil spontané des jeunes apprentis, et la crise économique en a fait disparaître beaucoup. Nous cherchons aujourd'hui de quelle manière inciter les grandes entreprises à s'ouvrir à l'apprentissage.

Monsieur Salles, vous m'avez interrogée sur le lien entre l'école et l'entreprise. Sur ce sujet, j'ai les idées des précurseurs et je les défends farouchement. Notre école doit en effet se soucier de ce que deviennent les élèves une fois qu'ils l'ont quittée. Dans la formation initiale des chefs d'établissement, j'ai introduit une obligation de stage d'immersion en entreprise ; les enseignants aussi peuvent désormais y être accueillis.

Nous avons également développé de nouveaux enseignements pratiques interdisciplinaires. Grâce à la réforme du collège, l'un de ces enseignements, en cinquième, en quatrième et en troisième, sera centré sur le monde professionnel. Les élèves seront invités à créer des micro-entreprises et devront ainsi se poser des questions : quels sont les codes à respecter en entreprise ? Comment conduit-on une étude de marché ?

J'entends notamment la critique selon laquelle les diplômes ne seraient pas conçus suffisamment en concertation avec les organisations professionnelles. Nous avons pourtant quatorze commissions professionnelles consultatives (CPC), pilotées ministère par ministère, qui assurent la rénovation des règlements des diplômes, mais il apparaît que les procédures sont trop longues. Le secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP) a conduit une évaluation sur le sujet.

La durée de la procédure devrait bientôt être ramenée de vingt-quatre mois à douze mois pour la création ou la rénovation d'un diplôme. Cela peut sembler encore trop long, mais ce travail réclame du temps, car il doit être fait, vous en conviendrez, avec sérieux. Certes, le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) voudrait que les professionnels conçoivent seuls les diplômes professionnels, mais nous pensons qu'il revient à l'État de qualifier les enseignements et ceux qui les dispensent.

Madame Hobert, vous avez évoqué les troisièmes préparatoires à l'enseignement professionnel. Le CNESCO s'y est intéressé dans son rapport, et recommande qu'on y mette fin. Je ne suis pas d'accord. Nos propres évaluations nous conduisent plutôt à penser que les jeunes qui fréquentent ces classes vont mieux grâce à elles et qu'ils y retrouvent le goût de l'école. Quelques années plus tard, certains décollent. Néanmoins, le dispositif mérite sans doute d'être corrigé sur la base d'un retour d'expérience afin de le rendre plus efficace.

Madame Buffet, vous m'avez interrogée sur la mixité sociale. Je suis d'accord avec vous sur ce sujet, mais que faut-il faire ? En revalorisant l'enseignement professionnel, nous donnerons à voir l'excellence. Mais faut-il déplorer qu'il accueille aussi des jeunes fragiles ? Dans l'enseignement général, comme dans l'enseignement technique ou professionnel, il faut qu'ils puissent aussi être acceptés. Ne poussons donc pas le curseur trop loin en opérant une sélection à l'entrée des établissements.

Quant au traitement des enseignants, il ne s'agit certes pas d'un « angle mort » de notre approche. Ceux qui pratiquent en lycée professionnel reçoivent désormais une prime de 300 euros par an, qui sera portée à 400 euros l'an prochain.

J'en viens au passage de quatre ans à trois ans de la formation préparatoire au bac professionnel. Je suis au regret de dire qu'il n'a pas été fait dans de bonnes conditions, puisqu'il a eu lieu sans que les programmes aient été revus, imposant aux enseignants la charge surhumaine de faire en trois ans ce qu'ils faisaient auparavant en quatre ans. La décision fut pourtant peu commentée, alors qu'il suffit de changer une virgule dans les programmes de l'enseignement général pour provoquer des réactions en chaîne…

Nous en resterons à une formation sur trois ans, mais en l'adaptant de telle sorte qu'elle puisse être vraiment menée à bien dans ce laps de temps, car aligner la durée sur celle de la filière technologique, c'est valoriser l'enseignement professionnel. Nous constatons d'ailleurs que les élèves de l'enseignement professionnel sont ainsi plus nombreux à se présenter au bac technologique, où leur taux de réussite s'est fortement amélioré ces dernières années.

Vous avez également relevé, madame Buffet, qu'il était difficile de parler de quotas imposés de bacheliers professionnels dans les classes de BTS, dans la mesure où il ne s'agit que d'objectifs définis en pourcentage, et fixés territoire par territoire. Ces objectifs dépendent nécessairement de la nature des formations proposées sur le territoire en question, car l'enseignement professionnel qui y est dispensé doit être en résonance avec la structure des BTS concernés : sans cela, comment y imposer un quota de bacheliers professionnels ?

La proportion de bacheliers professionnels dans les classes de STS a augmenté cependant, puisqu'elle est passée de 20,5 % en 2011 à 30,5 % en 2015. C'est un progrès. La question de la résonance territoriale de l'enseignement professionnel reste cependant ouverte. J'ai missionné il y a quelques mois l'Inspection générale de l'éducation nationale (IGEN) pour qu'elle mette au jour les éventuelles incohérences. Nous pourrons, au vu de son rapport, nous adapter en mettant à profit la création de 10 000 places de BTS à la rentrée prochaine.

Madame Sommaruga, vous m'avez interrogée sur les pôles de stage. Nous en avons créé 300, soit autant que de bassins d'emplois identifiés. La question s'était posée de savoir s'ils ne devaient pas plutôt correspondre aux académies ou aux départements, mais telle a finalement été la solution retenue. Des brigades se constituent au niveau des pôles de stages, qui rassemblent chefs d'établissements, conseillers d'orientation et référents des clubs d'entreprise, appuyés par deux jeunes en service civique.

L'idée demeure que les élèves cherchent d'abord leur stage tout seuls et que, s'ils n'en trouvent pas, ils se tournent vers l'équipe enseignante et pédagogique. C'est elle qui contactera alors le pôle de stages, via le réseau d'entreprises. Si je voulais résumer le message en termes simples à l'adresse des élèves, je leur dirais : « Tu n'as pas réussi à trouver un stage par toi-même ? Eh bien, demande à ton établissement de t'aider. »

Monsieur Reiss, vous avez déploré que je n'aie pas fait état du rapport du CNESCO sur l'enseignement professionnel, mais il s'appuie sur des données un peu datées, qui ne tiennent pas compte des mesures prises au cours de l'année qui vient de s'écouler. Sur le fond, cependant, mes vues et celles qui sont exprimées dans ce rapport convergent, qu'il s'agisse de la mixité sociale, des réflexions sur l'orientation ou de l'image du bac professionnel. Comme je vous l'ai dit, le seul point sur lequel nous différons est celui de la troisième préparatoire à l'enseignement professionnel, que je veux maintenir, alors que le CNESCO recommande de la supprimer.

Monsieur Durand, je suis très sensible aux préoccupations que vous exprimez quant à l'absence d'un enseignement de philosophie dans la filière professionnelle. Nous ferons un bilan de la réforme des lycées et partagerons, à cette occasion, vos interrogations sur l'introduction d'un tel enseignement, à même d'aiguiser l'esprit critique.

Madame Bouillé, vous m'avez demandé quels systèmes d'information permettraient que des jeunes trouvent une formation adéquate près de chez eux. La logique voudrait que ce soient les services publics régionaux de l'orientation (SPRO) qui prennent en charge cette question, mais force est de constater qu'ils sont encore dans une phase de structuration. Nous devons donc les stimuler pour que voient le jour des plateformes qui recensent les offres, car je rappelle que les portails d'alternance, qui devaient être alimentés par les entreprises elles-mêmes, n'ont quant à eux jamais fonctionné.

Madame Nachury, vous avez abordé la rémunération des apprentis. Permettez-moi de vous renvoyer au ministre du travail, qui est mon collègue compétent sur ce sujet. Vous demandiez d'ailleurs s'il n'était pas dommageable que la question de l'enseignement professionnel soit suivie par deux ministères à la fois. Personnellement, je ne le crois pas. Tout le monde est capable, me semble-t-il, de faire la différence entre un contrat de travail et un parcours scolaire. Cela étant, l'Éducation nationale travaille de mieux en mieux sur la question de l'apprentissage, puisque 85 titres ou diplômes professionnels seront bientôt éligibles à l'apprentissage. Ce sera d'ailleurs ma réponse à M. Ledoux, qui s'étonne que plus de 30 % des places en CFA restent vacantes : nous ouvrirons l'accès aux CFA à des adultes, élargissant ainsi leurs possibilités de recrutement.

Madame Faure, vous m'avez demandé quel est le rôle des ambassadeurs des lycées professionnels et qui ils sont. Ils s'emploient principalement à valoriser cette formation dans la presse quotidienne régionale ou à se rendre dans les établissements pour stimuler l'envie d'apprendre chez les élèves. J'ai rencontré récemment Jean-Louis Étienne, grand océanographe, dont je savais qu'il avait d'abord été médecin ; il m'a appris qu'il avait débuté en passant un CAP de tourneur-fraiseur… En entendant cela, je lui ai proposé de devenir l'un de nos ambassadeurs de l'enseignement professionnel. Il a tout de suite accepté, expliquant qu'il avait été originellement dirigé vers un CAP en raison d'une dyslexie !

Madame Attard, vous vous êtes émue à juste titre du taux d'échec en licence des bacheliers professionnels. Il est vrai que les chiffres sont préoccupants, mais il faut se rendre compte que cet échec est principalement dû au fait que les bacheliers professionnels ne s'inscrivent en licence que par défaut, contrairement à ce que l'on pourrait penser : ils sont 80 % à émettre une préférence pour l'inscription en BTS si l'on en croit les voeux émis. À l'issue de la dernière campagne d'APB, 49 % ont d'ailleurs obtenu satisfaction. On en revient ainsi au thème de l'orientation subie et de l'orientation choisie. Lorsque des étudiants se retrouvent placés dans des situations non désirées, il est clair qu'ils s'engagent dans un processus d'échec.

Vous m'avez également interrogée sur la révision des diplômes. Généralement, ils sont réévalués et revus tous les cinq ans. Nous travaillons actuellement avec les CPC concernées pour que ce processus de révision ne dure plus qu'un an, au lieu de deux ans actuellement. Quant à regretter la mastérisation qui nous priverait de professionnels pédagogues, je vous rappelle que l'exigence du niveau master ne vaut que pour les compétences pédagogiques, quelles que soient les disciplines. Aussi avons-nous développé la VAE pour l'enseignement professionnel, ainsi que les cursus en alternance dès le niveau M1 dans le cadre d'une expérimentation menée dans l'académie de Clermont-Ferrand.

Monsieur Féron, je suis aussi une admiratrice du modèle québécois. Pour lutter contre le décrochage scolaire, un partenariat doit être noué entre tous les acteurs de l'environnement des jeunes : parents, entreprises du territoire et enseignants… À l'exemple du Québec, nous organisons avec eux des semaines de la persévérance scolaire, tout en formant les enseignants à la détection des premiers signes du décrochage. Dans notre plan de lutte contre le décrochage, nous offrons aussi la possibilité à un jeune de suivre un parcours aménagé de formation initiale. Grâce à celui-ci, le jeune conserve le statut scolaire, mais aussi le contact avec un enseignant tuteur, tout en travaillant déjà en entreprise. Ce dispositif n'a pas vocation à être un dispositif de masse, mais il pourra apporter ponctuellement des réponses à certaines situations. Il est lui aussi d'inspiration québécoise.

Monsieur Amirshahi, vous avez évoqué la transition écologique et le développement durable. Nous avons bien pris en compte les avis des CPC compétentes sur ces sujets, car il convient de s'ouvrir aux métiers d'avenir et à l'innovation. Dans le cadre du troisième programme d'investissements d'avenir, j'ai souhaité qu'une enveloppe soit allouée à une meilleure prise en compte du numérique, y compris en modifiant les méthodes pédagogiques. Une expérimentation sera ainsi conduite dans les territoires, où des chercheurs interviendront pour présenter des métiers d'avenir pointus. Voilà en effet une autre manière encore d'investir dans l'avenir.

Pour ce qui est de l'absence d'enseignement professionnel à l'étranger, je suis bien consciente de la demande, qui est importante. Au Maghreb, en Amérique latine et en Asie, des centres d'excellence sont demandés, construits avec la France et les grandes entreprises françaises présentes sur ces territoires. L'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) relaie la même demande pour les élèves français à l'étranger.

Enfin, madame Tolmont, l'une des nouveautés de la réforme du collège est le « parcours avenir », qui en est même un élément-clé. Il permet aux élèves d'avoir un contact avec le monde professionnel, ce qui apporte aussi un changement pour les enseignants qui prennent en charge ce parcours.

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