Créé il y a dix ans, Perfégal a été l'un des premiers cabinets à travailler sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et sur l'intégration de cet objectif aux politiques publiques, notamment locales. À l'époque de mon diplôme d'études approfondies (DEA) sur le genre et les politiques publiques locales, en 2004, je n'avais pour m'éclairer que quelques travaux de Françoise Gaspard : le centre Hubertine-Auclert et la Charte européenne pour l'égalité des femmes et des hommes dans la vie locale n'existaient pas encore.
Nos travaux ont pour objet de vulgariser le genre, qu'il s'agisse d'accompagner des entreprises vers l'égalité professionnelle ou des élus ou agents désireux d'intégrer l'égalité aux politiques publiques. En ce qui concerne l'éducation, nous avons conduit pour la ville de Lyon une étude tendant à évaluer une démarche de rénovation des cours d'école intégrant l'égalité entre filles et garçons. J'aimerais vous présenter ces travaux et évoquer la manière dont on peut utiliser les études de genre pour agir.
Les constats ne sont pas toujours très optimistes, mais les choses évoluent dès lors que l'on accepte, tout simplement, de compter, et que l'on prend ainsi conscience des inégalités. C'est le premier argument que nous faisons valoir auprès des élus ou des directeurs, en nous appuyant sur des études de cas qui concernent leur domaine, nourries d'enseignements tirés des études de genre.
La ville de Lyon travaillait avec l'association Robins des villes pour imaginer, avec les enfants, les futures cours d'école. C'est dans ce cadre que Thérèse Rabatel, adjointe au maire chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, a entendu dire que les petites filles se disaient gênées par l'espace réservé au football. Voilà pourquoi elle a souhaité que le plan d'actions pour l'égalité femmes-hommes, que notre cabinet aidait la ville à élaborer, permette notamment d'intégrer l'égalité filles-garçons aux projets de rénovation des cours d'école. C'est d'ailleurs l'une des seules actions que la presse a retenues lorsque le plan a été présenté en conseil municipal, bien avant le débat sur le mariage pour tous. Mais l'on sentait aussi, dès cette époque, une très forte résistance, les gens se demandant ce qu'on allait faire à leurs enfants.
Robins des villes a donc poursuivi la démarche engagée, en intégrant davantage la dimension de l'égalité entre filles et garçons. De mon côté, j'ai travaillé avec l'association Genre et ville et avec Nadia Hamadache ; nous avons proposé une méthode d'évaluation fondée sur l'observation de quatre écoles dont la rénovation était censée avoir pris en considération cette dimension et d'une autre où ce n'était pas le cas. Nous avons observé l'arrivée des enfants, le temps périscolaire ; nous avons discuté avec les petits garçons et avec les petites filles pris séparément ; nous avons interrogé les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM), qui suivent les enfants tout au long de la journée ; nous avons mené des entretiens avec les enseignants et avec quelques parents.
Nous avions au préalable demandé à la ville si l'enjeu était la mixité ou l'égalité. Car si tout le monde aimerait que garçons et filles jouent ensemble, l'égalité ne commence-t-elle pas par l'égal accès à l'espace ?
Nous avons constaté que c'est la diversité des équipements et des jeux, plutôt que leur nature, qui favorise un meilleur partage de la cour. Si l'on installe une cabane, ce sont tantôt les filles, tantôt les garçons qui vont s'approprier l'espace, tantôt les deux ensemble – en particulier quand ils jouent au loup, qui est, avec la balle au prisonnier et « un, deux, trois, soleil », le jeu le plus mixte des cours d'école : les filles attrapent les garçons et réciproquement. Des marquages au sol, de petits dénivelés, peu onéreux, favorisent la créativité des enfants et, par voie de conséquence, le partage, voire la mixité.
Ce qui, à l'inverse, pose le plus de problèmes, c'est l'introduction d'un ballon, d'autant que celui-ci, en mousse pour des raisons de sécurité, favorise souvent le jeu au pied plutôt qu'à la main, quand il est mouillé par exemple. Le jeu de ballon accapare l'espace, surtout quand un terrain de football est dessiné sur le sol, de préférence au milieu : on ne peut plus traverser la cour et les filles sont reléguées dans les coins.
Second constat : les choses se passent plus ou moins bien selon l'attitude des adultes. En d'autres termes, l'égalité et la mixité dans la cour de l'école supposent de la régulation. Cela montre l'importance du projet pédagogique et du fait qu'il intègre la dimension du genre et de l'égalité.
S'il faut réfléchir à la place du football dans la cour de récréation, c'est parce qu'elle prive les filles d'espace, mais aussi parce qu'elle restreint le champ des possibles ouvert aux garçons. À Lyon, surtout dans certains quartiers, l'identité de genre oblige les garçons à aimer le football et ceux dont ce n'est pas le cas sont mis à l'écart. Quant aux petites filles, que se passe-t-il quand elles demandent à jouer au football ? Un reportage avec la géographe Édith Maruéjouls montre leur exclusion, que nous avons également observée – sauf lorsque l'adulte intervient pour édicter des règles. Quand nous avons demandé aux garçons si le football était un sport de filles, l'un d'entre eux nous a dit qu'il ne le pensait pas à l'origine, mais qu'il avait appris grâce à la télévision que cela pouvait être le cas. Ce qui confirme l'importance de la visibilité.
Les résultats de l'étude confirment également combien la formation des enseignants et des ATSEM à ces questions est essentielle. Nous avons ainsi constaté que les ATSEM formés à la gestion des conflits pendant la pause méridienne étaient plus sensibles aux enjeux de pouvoir et de domination. En outre, si l'organisation de la cour n'est pas toujours favorable au partage de l'espace, c'est aussi parce que les adultes ont leurs propres notions de sécurité et de confort. Au sortir de la classe, on ne voit pas de filles ni de garçons, mais des enfants qui crient, courent, se défoulent. Peut-être certaines équipes pédagogiques laissent-elles plus facilement les garçons le faire pour qu'ils soient plus calmes à leur retour en classe – mais tout dépend de ce que l'on entend par là.
D'où l'intérêt de s'interroger sur ses propres pratiques. Tel est l'objet de notre recours aux études de genre, à l'école comme dans d'autres domaines tels que la création d'entreprises, la culture, etc.