Intervention de Christian Eckert

Réunion du 21 juin 2016 à 18h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Christian Eckert, secrétaire d'état chargé du budget :

Le 20 janvier 2016, le Gouvernement a annoncé à l'occasion d'un Conseil des ministres vouloir donner un nouveau souffle à sa politique immobilière, dans le cadre du chantier plus large de réforme des fonctions support, dont la création récente de la direction des achats de l'État est un autre bel exemple.

Voici cinq mois écoulés, et je suis heureux de pouvoir aujourd'hui vous rendre compte de ces orientations et du travail déjà accompli.

Je voudrais tout d'abord revenir sur les quatre principales orientations de notre politique immobilière, dont le fil directeur est la recherche d'une plus grande mutualisation : mutualisation des informations, mutualisation des immeubles, mutualisation des ressources financières, mutualisation des compétences.

Le premier objectif est d'ordre stratégique : il s'agit de doter l'État d'une stratégie de pilotage de son parc immobilier et de celui de ses opérateurs.

Le patrimoine de l'État est d'une taille exceptionnelle : près de 100 millions de mètres carrés occupés par l'État et ses opérateurs, qui représentent 220 000 implantations différentes. Une forte majorité de ce parc, 77 millions de mètres carrés, est détenue par l'État, pour une valeur de 61 milliards d'euros à l'actif du bilan au 31 décembre 2015 – c'est un élément des comptes de l'État dont l'approbation vous est proposée en loi de règlement. Ce parc n'est pas seulement exceptionnel par sa taille, il est également très diversifié : un quart est constitué d'immeubles de bureaux, un quart d'immeubles d'enseignement, un quart d'immeubles techniques, un huitième d'immeubles résidentiels...

Le patrimoine de l'État, ce sont aussi des enjeux multiples : maîtrise de la dépense publique, amélioration des conditions de travail des agents publics, des conditions d'accès et de réception du public, accompagnement des réorganisations, intégration des objectifs de performance énergétique et d'accessibilité, soutien à la politique du logement par la mobilisation des biens devenus inutiles sur lesquels peuvent être construits des logements sociaux...

Ces objectifs restent pertinents : il ne s'agit pas d'en changer, mais de redonner de la vigueur dans la conduite de la politique immobilière.

Surtout, il s'agit de replacer le raisonnement économique au coeur de la décision immobilière, dans une approche de long terme – car les décisions à prendre doivent se justifier sur des échelles de temps en rapport avec la durée de vie et de détention des actifs que nous gérons. Ce sont donc des stratégies pluriannuelles qui doivent être élaborées, adossées à un diagnostic du parc.

C'est la raison pour laquelle sont expérimentés depuis 2015 les schémas directeurs immobiliers régionaux (SDIR), venant compléter les schémas pluriannuels de stratégie immobilière (SPSI) des administrations centrales.

Piloter le parc, c'est couvrir les besoins de nos administrations, de nos administrés, partout dans les territoires, mais c'est aussi assurer le maintien de la valeur des actifs, éviter leur dépréciation et les optimiser. C'est pourquoi le SDIR repose sur une première phase de diagnostic qualifié des actifs, de leur état de santé, des coûts d'exploitation. Cette phase a été généralisée en juillet 2015.

Cette approche fine, locale, des actifs ne peut toutefois suffire, et il faut aussi dépasser les cloisonnements par occupants. L'optimisation du patrimoine passe par une démarche transversale, loin des approches encore trop répandues des administrations, chacune se comportant en quasi-propriétaire, et déterminant sa stratégie en fonction de ses seuls besoins et intérêts.

Il faut donc globaliser les besoins de l'ensemble des administrations et des opérateurs à l'échelon de la région. Il est ensuite possible, en tenant compte des ressources disponibles, d'arrêter une stratégie d'intervention pluriannuelle sur le bâti, autrement dit programmer dans la durée les travaux nécessaires au maintien en valeur, à la mise aux normes et à la modernisation du parc dont l'État entend rester propriétaire.

Les biens devenus inutiles à l'État seront quant à eux cédés, et seuls les travaux nécessaires à l'occupation du bien jusqu'à sa cession seront réalisés. Les produits de cession permettront de financer des opérations vertueuses et porteuses d'économies. Car contrairement à une idée trop répandue, les cessions de biens immobiliers de l'État ne sont pas un objectif en soi, mais sont la résultante d'une réflexion stratégique qui constate l'inutilité du bien. En 2015, un millier de biens ont été cédés pour un montant de 622 millions d'euros, portant ainsi le montant total des produits de cessions depuis 2006 à près de 6 milliards d'euros.

Ces orientations semblent de bon sens, telles que je vous les présente. Et pourtant, elles n'émergent pas toujours naturellement ! La qualité d'un immeuble ne doit plus être évaluée à l'aune du prestige de l'adresse : c'est la performance immobilière et économique et la concordance avec les besoins qui doivent guider les choix d'implantation.

Pour mettre en oeuvre cette seconde étape dans la politique immobilière de l'État, il faut un « État propriétaire » plus fort, plus visible. C'est pourquoi il a été décidé de transformer le service France Domaine en une direction de l'immobilier de l'État (DIE) de plein exercice, au sein de la direction générale des finances publiques (DGFiP). La DIE sera effectivement créée dans les prochaines semaines, les textes étant désormais prêts. Elle continuera à s'appuyer sur le réseau de la DGFiP notamment au niveau régional.

La DIE sera d'abord le garant des orientations stratégiques de la politique immobilière de l'État. À ce titre, elle jouera un rôle d'aiguillon vis-à-vis des occupants. Elle ne peut évidemment pas se substituer aux occupants, qui connaissent les enjeux des politiques dont ils ont la charge et les besoins qui en découlent ; mais elle peut, et même elle doit, « challenger » leurs orientations et leurs demandes, et non les considérer comme des hypothèses intangibles.

La DIE a également un rôle de prestataire de services. Il peut s'agir de développer des outils et des méthodes. Il peut s'agir également d'accompagner des opérations immobilières en contribuant à définir l'expression des besoins, à rechercher les locaux qui y répondent au mieux, à négocier les termes d'occupation, à piloter la mise en oeuvre. Enfin, il peut s'agir de renégocier les baux de l'État, pour réaliser des économies.

Mais créer une direction de l'immobilier de l'État suppose de lui donner les moyens d'assurer le pilotage interministériel de la politique immobilière de l'État. Et c'est pourquoi il était nécessaire de réformer la gouvernance.

C'est donc chose faite depuis la circulaire du Premier ministre du 27 avril 2016, qui supprime cinq instances antérieures, et les remplace par une seule, la conférence nationale de l'immobilier public, la CNIP, dont j'ai présidé la première réunion le 6 juin, avec la DGFiP et France Domaine, la direction du budget, les secrétaires généraux des ministères, un préfet de région, le secrétaire général du CIE et le secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP).

Deux instances sont maintenues, c'est tout d'abord le Conseil de l'immobilier de l'État, le CIE, que préside M. Jean-Louis Dumont et qui restera « l'oeil extérieur », toujours vigilant, de la politique immobilière – un appui précieux pour le ministre en charge du domaine.

Mais c'est aussi la commission pour la transparence et la qualité des opérations immobilières, la CTQ, qui doit s'assurer que les cessions, acquisitions, prises à bail sont non seulement régulières mais également performantes.

Si la CNIP n'est pas une instance décisionnelle, elle jouera un rôle essentiel dans la préparation des choix : elle doit permettre d'accélérer la décision et d'améliorer son acceptation par les acteurs. La direction de l'immobilier de l'État en assurera l'animation, en dehors des réunions stratégiques que je présiderai.

La CNIP, deuxième point, est « nationale » : cela signifie bien sûr qu'elle doit trouver des déclinaisons locales.

La CNIP, enfin, traite de « l'immobilier public ». Cette expression traduit bien l'ambition de la réforme que nous menons : dépasser progressivement le « coeur de cible » initial du parc de bureaux de l'État, pour couvrir l'immobilier spécifique et celui des opérateurs. Il ne s'agit évidemment pas d'appliquer un « moule » unique, ni de nier les spécificités qui impliquent bien sûr de définir des critères et des outils adaptés. Mais le principe est clair : par-delà le statut ou la nature du parc, aucune situation ne justifie de transiger sur l'exigence de performance et de mutualisation des ressources et des compétences. Dès lors, rien de ce qui est immobilier ne doit être étranger à la DIE : c'est l'horizon qu'a fixé le Premier ministre le 20 janvier dernier.

Le renouvellement de la ligne stratégique et le renforcement de l'État propriétaire doivent également s'accompagner d'une modernisation du financement dont les grandes lignes ont été fixées par le Premier ministre.

C'est tout d'abord une question d'outil budgétaire. Il s'agit ainsi de renforcer l'efficacité et la mutualisation des vecteurs interministériels que sont aujourd'hui le compte d'affectation spéciale Gestion du patrimoine immobilier de l'État et le programme 309 dédié au gros entretien, en les fusionnant dès 2017.

Pour simplifier les circuits, la contribution au désendettement sur les produits de cessions sera supprimée. J'en connais la portée symbolique, mais son efficacité économique est discutable.

Par ailleurs, il sera également proposé qu'une partie des redevances domaniales soit affectée au nouveau compte d'affectation spéciale. Ces nouvelles ressources seront mutualisées, et pourront ainsi être mobilisées pour assurer le bouclage financier des schémas immobiliers, centraux ou régionaux, les plus aboutis.

Pour autant, le principe d'une incitation des gestionnaires à restructurer leurs implantations, au travers d'un taux de retour sur les produits de cession, n'est pas remis en cause, et la volumétrie globale des crédits correspondants ne sera pas réduite.

C'est aussi une question de connaissance globale de la dépense immobilière. Les vecteurs interministériels ne représentent qu'une faible part des crédits immobiliers, puisque l'essentiel est porté par les programmes support des différents ministères. Pour suivre la totalité de la dépense immobilière, des conférences immobilières associant chacun des ministères, France Domaine et la direction du budget ont été créées cette année avant les conférences budgétaires.

Mais c'est peut-être surtout une question de bonne allocation des crédits. Je veux dire de la façon la plus claire possible que la réforme de la politique immobilière doit permettre de réaliser des économies. La fonction immobilière, qui constitue le premier poste au sein des dépenses de fonctionnement après la masse salariale, doit évidemment servir de levier. Le raisonnement économique et la mutualisation doivent se substituer à la logique de financement par petites « enveloppes » segmentées par donneur d'ordre ou nature de projet, et une plus grande sélectivité doit être appliquée dans l'allocation des ressources. L'analyse immobilière et économique, préalable indispensable à la prise de décision éclairée, doit toujours être conduite avec rigueur.

J'en profite pour évoquer un sujet qui me tient à coeur : la renégociation des baux. Vous savez que les enjeux sont considérables. J'ai souhaité que soit engagée une démarche pérenne et proactive de renégociation des baux afin de tirer parti des opportunités de marché qui sont actuellement favorables au preneur sur le tertiaire et de mieux valoriser la qualité de signature de l'État. Le ministre des finances et des comptes publics et moi-même avons ainsi écrit à tous les ministres ainsi qu'aux préfets de région le 16 septembre 2015 pour les informer de cette action et demander leur collaboration active. Cette démarche repose sur une professionnalisation des acteurs en charge de la négociation des baux, qui ont bénéficié d'une formation ad hoc au cours de l'automne dernier et qui peuvent s'appuyer sur un marché de prestataires pour les baux les plus complexes. Les objectifs poursuivis sont de plusieurs natures. Il s'agit naturellement d'obtenir des baisses de loyer et des franchises supplémentaires qui se traduisent par des économies immédiates, mais il s'agit aussi de renégocier des clauses défavorables à l'État ou encore d'obtenir des propriétaires qu'ils réalisent les travaux qui leur incombent afin d'améliorer les conditions de travail des agents et l'accueil du public. Il est trop tôt pour faire un premier bilan, même provisoire, car le processus de renégociation d'un bail s'inscrit dans une durée relativement longue, entre quatre et douze mois. Je note toutefois que la petite centaine de baux déjà renégociée a permis de réaliser une économie de l'ordre de 25 %. Je suis convaincu que cette action permettra de réaliser des économies de plusieurs dizaines de millions d'euros par an sur le long terme.

Enfin, cette réforme ne peut réussir que si, sur le terrain, l'administration peut s'appuyer sur des hommes et des femmes bien formés aux métiers de l'immobilier. C'est tout l'enjeu de la professionnalisation de la fonction immobilière. Or de façon unanime, les secrétaires généraux des ministères, les préfets, font le constat de l'hétérogénéité des compétences dont disposent les différentes administrations – parfois remarquables, parfois très lacunaires. C'est pourquoi une réflexion a été ouverte avec la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) et le SGMAP pour identifier les compétences nécessaires à une gestion performante de l'immobilier de l'État, mais aussi pour dresser l'état des lieux et favoriser la mutualisation des formations et des compétences.

Comme vous le voyez, nos objectifs sont ambitieux, et l'action conduite, ces derniers mois, a été menée avec vigueur : elle est à la hauteur de notre volonté de faire passer la politique immobilière de l'État de l'ère pionnière à l'ère de la maturité.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion