Intervention de Carole Robert

Réunion du 14 juin 2016 à 10h30
Commission d'enquête sur la fibromyalgie

Carole Robert, présidente de l'association Fibromyalgie France :

Permettez-moi de me présenter : j'ai soixante-cinq ans et je souffre de douleurs et de fatigue chronique depuis l'adolescence ; diagnostiquée fibromyalgique en 1998 après des décennies d'errance diagnostique, je suis engagée depuis dans ce combat associatif. Souffrant d'autres pathologies entraînant des troubles cognitifs, je vous remercie de comprendre que je lise ce texte devant vous.

Fibromyalgie France est une association de type loi de 1901 créée en 2001 et agréée depuis 2007 au niveau national par le ministère de la santé. C'est sur la base de ces quinze années d'expertise et d'actions menées, dans une démarche non partisane, afin de préserver neutralité et indépendance vis-à-vis des autorités de santé comme du corps médical, que, présidente de cette structure, j'interviendrai au nom de notre équipe de bénévoles, et que je répondrai aux questions de votre commission.

En 1998, lors de notre premier investissement, qui s'effectuait initialement au niveau régional, le diagnostic de fibromyalgie représentait un couperet : « Voilà, vous avez une fibromyalgie, nous ne savons pas ce que c'est, nous n'avons pas de traitement et nous ne savons pas quoi faire pour vous. Essayez d'être bien entouré, vous en aurez besoin ! ». Le déni de nos troubles était médical, social, politique.

Dix-huit ans plus tard, nous constatons, au niveau global, en tant qu'association, un changement certain, même s'il est peu perceptible pour les malades – souvent parce que l'information ne leur parvient pas, faute de moyens adéquats, notamment financiers, pour permettre une diffusion, en direction du grand public comme des différents acteurs, d'informations justes, fondées sur des sources scientifiques fiables et rassemblées par une démarche d'action constructive.

Tout au long de mon intervention, je m'efforcerai de refléter fidèlement la compréhension de la situation des personnes atteintes de fibromyalgie, qui, si elle est complexe, n'est pas toujours ou pas systématiquement liée à l'absence d'écoute et d'adaptation des soins, ou encore à la volonté de ne pas aider ces malades que l'on dit si particuliers.

Si nous souhaitions que l'expertise de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), que nous avions demandée depuis une dizaine d'années, soit publiée avant toute autre initiative publique, afin de disposer de recommandations, nous pensons néanmoins que cette commission d'enquête parlementaire permettra in fine de décrire la réalité actuelle de la vie en France avec une fibromyalgie.

Classée en rhumatologie, cette maladie concerne à 90 % des femmes. On peut toutefois penser que les chiffres d'hommes atteints sont quelque peu sous-estimés, pour des raisons socio-culturelles – les médecins pensent qu'il s'agit d'une pathologie exclusivement féminine, l'homme en parle tardivement, etc.

Quant à la fibromyalgie chez l'enfant, elle serait estimée à 6 % de la population des moins de quinze ans, ce pourcentage étant probablement également sous-estimé car leur recensement est compliqué. Ceci mérite débat et les conclusions de l'expertise de l'INSERM pourront sans aucun doute apporter un éclairage scientifique.

Maladie de la douleur chronique, la fibromyalgie envahit le corps et l'esprit. C'est une prison sans murs, mais dont on ne s'échappe pas. Elle isole, et il est difficile, de l'extérieur, de s'imaginer ce que cela représente. Autant, dans l'imaginaire des personnes, il est assez aisé de comprendre la souffrance d'un migraineux ou d'un lombalgique, autant se mettre à la place d'un malade qui a des douleurs dans tout le corps, des douleurs qui se déplacent dans l'espace et dans le temps et, qui plus est, changent d'intensité, est inimaginable. Surtout s'il paraît avoir bonne mine… Cela semble impossible, exagéré, voire inventé !

Mais nous plaindrions-nous de douleurs imaginaires pendant des décennies, sachant que nous n'en retirons aucun avantage social et que cet état douloureux chronique nous enferme dans un évitement de tout – activités physiques ou intellectuelles, fêtes, activités sociales, voire familiales, car tout cela crée du bruit, du stress, de la fatigue ?

Nous ne mourons pas, certes, mais nous ne vivons pas non plus.

Longtemps nous avons été, sans aucun doute, les parents pauvres de la médecine et nos espoirs n'ont commencé à se concrétiser que lorsque la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades a reconnu le soulagement de la douleur comme un droit fondamental.

Comme vous le savez, la fibromyalgie est reconnue au niveau mondial par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis 1992, cette reconnaissance ayant été suivie au niveau européen par l'adoption d'une résolution du Parlement européen action à laquelle nous avons activement participé, puisque nous avons été auditionnés à Bruxelles en tant que représentants de 14 millions de fibromyalgiques.

Au niveau national, en 2007, un rapport d'experts de l'Académie nationale de médecine, a présenté des recommandations qui, il faut bien le constater, n'ont pas été – comment dire ? – spontanément suivies d'effet.

Plus tard, en 2010, nous avons été relecteurs du rapport d'experts de la Haute Autorité de Santé (HAS) sur la fibromyalgie de l'adulte et avons pu largement faire part de nos remarques à l'équipe de cette agence indépendante. Il est à noter que nous avions demandé que la partie concernant la fibromyalgie de l'enfant soit retirée du rapport. En effet, le paragraphe qui lui était consacré était trop succinct, réducteur et enfermant. Nous avons souhaité alors que la fibromyalgie de l'enfant fasse l'objet d'une future expertise collective de l'INSERM, ce qui est donc le cas.

Le rapport de la HAS a marqué un tournant indéniable dans les relations que nous pouvions avoir avec le corps médical et les institutions, alors que, dans le même temps, la fibromyalgie, maladie non rare, était incluse dans le Plan douleur et le Plan qualité de vie des personnes atteintes de maladies chroniques.

Si actuellement le diagnostic est posé de plus en plus précocement, cela n'entraîne pas malheureusement toujours une prise en charge précoce adaptée. D'ailleurs, même dans ce cas, il faut compter avec les échecs thérapeutiques, qui sont fréquents – ce qui est déroutant car, finalement, c'est la fibromyalgie qui résiste au traitement !

On se trouve alors dans une configuration complexe : le corps médical qui dispose d'une pharmacopée traditionnelle de prise en charge de la douleur, des patients à qui l'on dit qu'il n'y a pas de médicaments disposant d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour la fibromyalgie, des patients qui résistent aux traitements usuels proposés par des professionnels de santé impuissants à les aider. On tourne en rond et la frustration réciproque grandit !

En outre, on doit mettre l'accent sur le fait que les soins de proximité sont à privilégier, en raison de la perte directe du bénéfice du soin dès lors qu'il y a déplacement. Autrement dit, il y a les chanceux – relativement – qui peuvent disposer dans leur environnement de soins et de soutien, qu'il soit médical ou social, et d'autres moins chanceux qui vont abandonner les soins et s'isoler.

De plus, le malade fibromyalgique connaît souvent très mal ses droits, notamment concernant le handicap, la reconnaissance en qualité de travailleur handicapé (RQTH) et l'invalidité. Il doit atteindre un état de sédentarité important pour les faire valoir. Ceci est injuste ! Il faut insister sur cette méconnaissance par les malades de leurs droits mais aussi des aides qui peuvent leur être proposées.

La méconnaissance des conséquences de la fibromyalgie sur la vie familiale, sociale et professionnelle, ainsi que la perte d'autonomie et de qualité de vie qu'elle entraîne, sont aussi à l'origine de ce regard négatif sur ce handicap dit « invisible ».

Il est alors aisé de s'imaginer les difficultés des malades pour se maintenir dans l'emploi ! Il n'est pas étonnant que, d'après notre enquête, 60 % des fibromyalgiques interrogés craignent de perdre leur emploi dans les deux ans en raison de leur état de santé.

S'ajoute une difficulté supplémentaire : trop de médecins ne sont toujours pas persuadés de l'existence de ce syndrome pourtant bien réel. Ce sont les « fibrosceptiques », moins nombreux depuis la publication du rapport de la HAS, mais dont les propos dévastateurs peuvent avoir des conséquences dramatiques. Malgré les différents rapports d'experts, ils n'y croient pas et disent : « Vous avez une fibromyalgie, moi je n'y crois pas, débrouillez-vous avec ! » Ces professionnels du médical ou du social existeront toujours, même lorsque l'on aura trouvé le marqueur parfait et pu évaluer sur des dizaines de milliers de malades la sévérité de la fibromyalgie. Ils manquent d'empathie et de compassion – cette vertu par laquelle un individu est porté à percevoir ou ressentir la souffrance d'autrui et poussé à y remédier. Ils ajoutent de la souffrance morale à la douleur physique.

Depuis 1998, de nombreuses associations, devenues expertes de leur maladie, que ce soit au niveau national, régional ou départemental, ont largement contribué, à des niveaux différents, à améliorer la connaissance par les malades fibromyalgiques de leur pathologie.

La prise en charge de la fibromyalgie devrait être inscrite dans le cadre d'un parcours de soins, voire d'un parcours de vie, et être coordonnée au sein d'une équipe de soins de proximité ; ce serait la garantie d'une santé améliorée : un tel système permettrait la préservation de la qualité de vie et d'autonomie de ces malades chroniques. L'inscription de la douleur dans la récente loi Santé de janvier 2016 devrait représenter un espoir en ce sens.

De plus, pour aider les malades à conserver une certaine dynamique, il est primordial de veiller à leur donner les informations justes, de leur apporter de l'espoir fondé sur une réalité, et de ne pas les entraîner dans un scepticisme néfaste.

Mais vous savez très bien, mesdames et messieurs les députés, que seul un travail de fond et de longue haleine, moins valorisant en apparence, peut jeter les racines d'un changement progressif pour toutes et pour tous. C'est dans cette perspective que nous agissons.

À titre personnel, j'ajouterai qu'après quinze ans de ce combat, convaincue de la réalité et de la sévérité de nos troubles, je me permets de dire qu'un jour on nous demandera pardon.

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