C'est en 1920 que, sur le rapport d'Édouard Herriot, la loi a créé l'Institut musulman de la mosquée de Paris. On a donc pu édifier à Paris une mosquée désirée depuis longtemps par la communauté musulmane.
Afin de permettre aux musulmans d'appliquer les divers rites de l'islam, au-delà de la prière et des prédications, un arrêté du 26 juin 1939 a attribué à l'Institut musulman de la mosquée de Paris un échaudoir dans les abattoirs de la Villette – l'échaudoir n° 48 –, dédié à l'abattage rituel sous la double égide de la mosquée de Paris et de la préfecture de la Seine. Ainsi, à côté d'un sacrificateur désigné par la mosquée de Paris, un représentant de l'administration vérifiait que les différentes obligations légales, en particulier en matière d'hygiène, étaient bien respectées. Cet échaudoir a continué de fonctionner malgré la guerre et après la guerre jusque dans les années 1950, date à laquelle les pouvoirs publics ont voulu moderniser les échaudoirs.
J'en viens directement à 1994, année de parution d'un décret du ministre de l'intérieur habilitant les mosquées de Paris, Lyon et Évry à agréer des sacrificateurs musulmans aptes à oeuvrer au sein des abattoirs réguliers et pourvus d'une double compétence : en matière religieuse, compétence attestée par la mosquée de Paris en particulier, et dans le domaine de la connaissance des animaux d'abattage. Cet agrément a remplacé l'ancienne autorisation délivrée par les préfectures ; le décret de 1994 a par conséquent régularisé une fonction à l'évidence religieuse. S'y est ajouté un contrôle sur les lieux de l'abattage : c'est à la suite de ce contrôle que la mosquée délivre le label de licéité – le halal – des viandes mises à disposition des commerçants.
Les lieux d'abattage sont eux-mêmes autorisés ou agréés par la préfecture, et le décret de décembre 2011 a créé une nouvelle dérogation à la réglementation européenne, permettant de ne pas anesthésier les animaux en pré-saignée. L'opinion a joué un rôle important pour sensibiliser les pouvoirs publics à la souffrance animale et, beaucoup plus récemment, à la maltraitance des animaux. C'est pourquoi le décret de 2013 oblige les sacrificateurs, avant même d'opérer, avant même d'obtenir leur carte, à suivre une formation qui leur donne une compétence en matière de prévention de la souffrance animale. Bref, l'avancée a été très importante puisque le sacrificateur, qui à l'origine n'était qu'un religieux, certes compétent et agréé, doit désormais suivre une formation dûment sanctionnée par des examens. C'est seulement une fois qu'il est pourvu de cette attestation, délivrée par le ministère de l'agriculture, que le sacrificateur peut être nommé par l'institut agréé et opérer dans un abattoir souhaitant avoir à demeure un sacrificateur musulman capable de respecter les rites exigés par la religion.
Ces rites sont de deux ordres : d'abord, l'animal à sacrifier doit être orienté vers La Mecque ; ensuite, le sacrificateur doit prononcer les paroles consacrées, afin de montrer qu'il s'agit d'un sacrifice fait au nom de Dieu. De ce fait, le sacrifice doit répondre aux conditions très précises que la religion impose : l'animal ne doit pas souffrir ; sa présentation doit être parfaite ; l'opération doit être effectuée dans des conditions de respect de l'animal.
Le contrôleur garantit le caractère halal de la viande. Dans l'idéal, c'est lui qui suit tout le processus depuis l'arrivée de l'animal jusqu'au site de saignée. Il vérifie que l'animal est apte à intégrer le circuit de la saignée et pour cela que les conditions de stabulation et que son alimentation ont été correctes. Il jette préalablement un coup d'oeil sur l'ensemble du site d'abattage pour en constater l'hygiène, pour vérifier l'absence de sang ou d'éléments dont la vue pourrait stresser l'animal, notamment les couteaux. Les gros animaux comme les bovins suivent une filière particulière qui aboutit à un piège, à une benne qui reçoit l'animal, où il a été acheminé dans le calme et avec respect. Là, il est soumis à une ferme contention bilatérale du corps et de la tête, correctement orientée grâce à une mentonnière pour offrir au sacrificateur, au moment où le piège tourne, un endroit précis.
Le cou doit alors être correctement tendu. Il faut savoir que l'élément central est le larynx – je suis médecin, donc tout ce que je vais dire m'apparaît évident, ce qui n'est pas forcément le cas pour les abatteurs. Les quatre vaisseaux – les carotides droite et gauche et les jugulaires droite et gauche – qui passent au-dessus du larynx doivent être sectionnés à cet endroit précis. Ces deux types de vaisseaux ont des fonctions radicalement différentes : dans les carotides circule du sang artériel et dans les jugulaires du sang veineux. Or c'est ici qu'il peut y avoir un problème : la veine jugulaire est en effet susceptible de se thromboser au-dessus de la section ; la thrombose crée alors un blocage qui peut occasionner un caillot. Si bien que, une fois la section opérée, on peut avoir la surprise de constater un arrêt du sang puis l'arrivée d'un thrombus. Dès lors, d'un point de vue religieux, la bête n'est plus considérée comme ayant été abattue dans les règles : elle n'est pas halal. Intervient alors un second type d'appareillage destiné à anesthésier l'animal par électronarcose ou par un matador, autrement dit un système à tige mécanique perforante.
La jugulation est la tranchée des éléments du cou : on doit veiller à ce que les quatre vaisseaux que j'ai mentionnés ont bien été sectionnés et ont bien saigné. D'autres organes doivent être également sectionnés, comme l'oesophage et le thymus. La section ne doit pas aller au-delà des arcades mandibulaires ni au-dessous, faute de quoi la saignée n'est pas valable. De même, si le couteau va jusqu'aux vertèbres, l'abattage est religieusement invalide.
Il faut attendre un certain temps pour que l'animal se vide de son sang puis il faut vérifier l'absence de spasmes, contrôler les réflexes de vigilance, notamment le réflexe cornéen, celui de l'audition, en tapant dans les mains. Puis on affale l'animal avant qu'une chaîne ne prenne sa patte arrière gauche, afin qu'on procède à l'habillage, au dépeçage, pesée, etc. La carcasse peut être utilisée entièrement ou en partie, de même que les abats. Toutes ces opérations sont suivies soit par le sacrificateur soit, de préférence, par un contrôleur qui délivre l'estampillage au moment de la pesée de l'animal et du conditionnement des morceaux.
Les contrôles vétérinaires que j'ai pu observer se sont toujours révélés complets et efficaces. Il revient aux vétérinaires de vérifier l'estampillage de l'abattoir, qui doit répondre à des critères définis au plan européen et qui constitue une véritable fiche d'identité de l'animal : origine, âge, lieu d'achat, de stabulation, nom de la société qui le prend en charge, numéro de son sacrificateur, etc., afin de garantir la traçabilité, essentielle pour le consommateur.
Au-delà de l'action des contrôleurs, indispensable et de plus en plus fréquente, nous procédons à des audits. J'en ai moi-même effectué un il n'y a pas longtemps à Bigard-Formerie. Je vous communiquerai des documents précisant toutes les règles que nous imposons à nos sacrificateurs et la liste des abattoirs avec lesquels nous travaillons.
Il m'a été demandé, en 1987, par le ministère de l'intérieur, lui-même sollicité par les autorités européennes, d'étudier la question de la souffrance animale. Ce sujet avait été soulevé par des gens sensibles, écologistes et autres, dont Brigitte Bardot qui est venue me voir à plusieurs reprises à la mosquée de Paris. Mme Bardot s'était émue de la fête du sacrifice, l'Aïd el-Kébir, à l'occasion de laquelle on tue des centaines sinon des milliers d'animaux sans qu'on sache très bien dans quelles conditions. Des articles ont été publiés récemment à ce sujet dans la presse, photographies à l'appui, montrant le caractère scandaleux de certains modes d'abattage, qui sont loin d'être conformes au rituel. J'ai donc réalisé une étude, que je vous communiquerai, de même que je l'ai diffusée auprès de tous mes frères et amis, où je précise que certaines parties de l'islam, si elles ne sont pas favorables à l'électronarcose – pratiquée par de nombreux pays européens, que l'abattage soit rituel ou normal –, elles n'y sont du moins pas défavorables, à la stricte condition qu'elle soit réversible – aussi la dosimétrie doit-elle être précise : un ampère pour les volailles et cinq ampères pour les autres animaux. Les conditions de l'abattage rituel sont respectées dans la mesure où l'animal est seulement anesthésié : la douleur est moins importante et il peut être réveillé à tout instant.
On nous a également demandé si nous autoriserions l'anesthésie post-jugulation. Nous nous sommes récemment réunis – M. Kamel Kabtane était présent – avec les représentants de la mosquée d'Évry et ceux du CFCM. Le consensus qui a prévalu a été le suivant : niet. C'est non : pas d'électronarcose ni en pré-jugulation ni en post-jugulation.
Sachez que la préoccupation de la souffrance animale nous est très chère. Quand j'étais étudiant, nous procédions à des dissections ; elles ont été interdites au nom de la protection de l'animal. Pour mon compte, je ne peux supporter la souffrance animale, et, en tant que responsable d'une institution religieuse, je me suis efforcé de transmettre mon expérience parfois douloureuse en la matière.
Le 26/10/2016 à 14:13, laïc a dit :
"décret de décembre 2011 a créé une nouvelle dérogation à la réglementation européenne, permettant de ne pas anesthésier les animaux en pré-saignée."
C'est un scandale total. que disent les associations de protection des animaux ? Faut-il se taire systématiquement quand il s'agit d'islam ? Le terrorisme, c'est aussi quand la parole ne peut pas se développer.
Le 26/10/2016 à 14:15, laïc a dit :
"On nous a également demandé si nous autoriserions l'anesthésie post-jugulation. Nous nous sommes récemment réunis – M. Kamel Kabtane était présent – avec les représentants de la mosquée d'Évry et ceux du CFCM. Le consensus qui a prévalu a été le suivant : niet. C'est non : pas d'électronarcose ni en pré-jugulation ni en post-jugulation."
Vivement que l'abattage halal soit interdit en France. Cela devrait être possible après 2017.
Le 26/10/2016 à 14:15, laïc a dit :
"ensuite, le sacrificateur doit prononcer les paroles consacrées, afin de montrer qu'il s'agit d'un sacrifice fait au nom de Dieu. "
C'est quoi Dieu ? Il faudrait que M. Boubakeur nous explique.
Le 26/10/2016 à 14:06, laïc a dit :
"un arrêté du 26 juin 1939 a attribué à l'Institut musulman de la mosquée de Paris un échaudoir dans les abattoirs de la Villette – l'échaudoir n° 48 –, dédié à l'abattage rituel sous la double égide de la mosquée de Paris et de la préfecture de la Seine."
Ainsi les infractions à la laïcité ont commencé avant la seconde guerre mondiale. C'est historiquement intéressant à savoir. On pourrait écrire un livre : "histoire des transgressions de la laïcité depuis la promulgation de la loi de 1905."
Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui