Dans le cadre de la mission qui vous a été confiée, vous avez souhaité nous auditionner pour vous informer des conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français, mais aussi pour mieux connaître les conditions religieuses qui encadrent l'abattage rituel musulman.
Votre institution est le fondement de notre République. C'est ici que la République s'est construite. C'est ici que les principes fondamentaux de liberté, d'égalité et de fraternité trouvent tout leur sens et c'est vous qui en êtes les garants.
C'est dans cet esprit que vous nous avez conviés à venir échanger avec vous pour comprendre la philosophie qui fonde les habitudes de consommation d'une partie des citoyens de notre pays mais aussi comprendre les relations qui existent entre l'islam et l'animal. Les polémiques actuelles ne doivent pas venir édulcorer le débat et affaiblir la compréhension du problème, laquelle doit se nourrir d'une réflexion prenant en compte les réalités sociologiques et économiques.
Comme leurs concitoyens, les musulmans sont aussi sensibles au bien-être animal et, comme eux, ils ont été mal à l'aise de constater les conditions de traitement des animaux de boucherie dans certains abattoirs. D'ailleurs, l'islam dans son essence même accorde à l'animal toute sa place d'être vivant et ne peut concevoir qu'il soit traité autrement.
C'est parce que je suis Français et musulman que je suis heureux aujourd'hui de venir débattre avec vous pour qu'ensemble nous puissions nous comprendre et avancer sur ces questions qui créent la polémique, voire parfois le rejet.
L'abattage rituel est devenu aujourd'hui, pour certains, un argument de stigmatisation. Or qui mieux que la représentation nationale peut savoir ce à quoi a mené la stigmatisation d'une partie de la communauté nationale ?
C'est pourquoi je suis heureux et fier de me retrouver devant la représentation nationale de mon pays, pour aborder avec elle ces questions en toute franchise et dans le respect mutuel.
Conscients de l'exigence exprimée par la communauté nationale d'obtenir des viandes conformes à son éthique, nous avons créé, en 1995, l'Association rituelle de la grande mosquée de Lyon (ARGML), association loi de 1901, afin d'organiser l'abattage rituel suivant les textes religieux et de mettre en place un processus de contrôle et de certification des produits halal.
Un arrêté conjoint du ministère de l'intérieur et du ministère de l'agriculture, du 21 juin 1996, considère qu'il est d'intérêt public d'organiser l'abattage rituel islamique dans des conditions garantissant l'ordre et la santé publics. La grande mosquée de Lyon, du fait, toujours selon l'arrêté, de son rayonnement spirituel et culturel, de sa représentativité dans la communauté musulmane de France et de sa capacité à encadrer le marché de la viande rituellement abattue, a été agréée en tant qu'organisme religieux pour habiliter des sacrificateurs à pratiquer l'égorgement rituel.
Cet agrément implique que tout sacrificateur rituel musulman souhaitant opérer dans un abattoir en France, doit être détenteur d'une habilitation délivrée par la grande mosquée de Lyon ou par l'une des deux autres mosquées habilitées, la grande mosquée de Paris et la grande mosquée d'Évry. Ainsi, en 2013, nous avons délivré 29 cartes de sacrificateur, 26 en 2014, 41 en 2015 et 30 en 2016. Quelque 80 % des habilitations concernent des personnes travaillant dans des abattoirs contrôlés par l'ARGML ou directement salariées par l'ARGML. Le reste est composé de petits bouchers ou de petits abattoirs de volaille.
Au-delà de l'habilitation des sacrificateurs, qui n'est qu'une étape vers la garantie halal, l'ARGML a mis en place un dispositif de contrôle des abattages, des opérations de découpe, de transformation et d'élaboration des viandes et autres produits agroalimentaires destinés à être commercialisés sous l'appellation « halal ». En effet, l'habilitation du sacrificateur rituel ne suffit pas à attester du caractère halal des produits : il est nécessaire de superviser l'ensemble des opérations de production pour garantir au consommateur la licéité – du point de vue islamique – des produits. Entre ici en jeu la notion islamique de témoignage.
En ce sens, l'ARGML a progressivement développé son activité au sein de plusieurs entreprises en France : abattoirs, ateliers de découpe, de transformation ou d'élaboration. Ce développement s'est fait au fur et à mesure de la demande des entreprises et des consommateurs, conscients du travail réalisé par l'ARGML.
Le recours à nos services permet aux entreprises de sécuriser leur démarche de production halal et d'apporter ainsi la garantie d'une tierce partie qui n'est autre qu'une institution religieuse, elle-même garante des principes fondamentaux de l'islam en matière de consommation halal, ce qui est essentiel pour les consommateurs de confession musulmane. Cette garantie halal est réalisée par un contrôle rituel permanent à tous les stades d'élaboration, depuis l'abattage rituel jusqu'au conditionnement final des produits.
Les produits sont ensuite estampillés ou identifiés avec notre logo de certification halal. La nécessité du contrôle permanent est justifiée, je le répète, par la notion islamique de témoignage. Par sa fonction de contrôleur rituel, le salarié de l'ARGML atteste visuellement que la fabrication des produits est bien conforme au rituel islamique.
À ce jour, l'ARGML compte environ 70 salariés à temps complet ou à temps partiel, répartis dans l'ensemble des entreprises qu'elle contrôle et certifie. Pour ce qui est de la France, nous travaillons régulièrement avec une dizaine d'abattoirs bovins ou ovins.
Nos contrôleurs rituels sont salariés de l'ARGML et, à ce titre, exercent leur activité de contrôle en toute indépendance par rapport aux sociétés dans lesquelles ils sont affectés. Les sacrificateurs rituels sont par contre salariés des abattoirs ; ils sont habilités par l'ARGML et exercent leur activité sous la supervision de nos contrôleurs rituels.
Je tiens à préciser que notre service se limite au contrôle des dispositions rituelles au sein des abattoirs dans lesquels nous exerçons. Nos contrôleurs sont sensibilisés aux notions de bien-être animal. Certains d'entre eux ont même passé le certificat de compétence. Toutefois, leur champ d'action se limite au contrôle de la qualité du sacrifice rituel, des conditions de propreté nécessaires à la conduite des opérations d'abattage, de découpe, et de transformation, et au suivi de la traçabilité halal. En aucun cas, nos contrôleurs ne se substituent aux services vétérinaires délégués par l'État ou aux services qualité des entreprises. Ainsi, ils n'ont pas vocation à être « responsables protection animale » (RPA) sur les sites car c'est une fonction exercée par le personnel interne à l'entreprise.
J'en viens plus précisément à ce qu'est le halal. Il s'agit d'un concept qui émane des sources scripturaires musulmanes : le Coran et la Sunna – la tradition prophétique. Le sens du halal dans les textes renvoie à ce qui est permis et licite, par opposition à ce qui est haram, qui renvoie à l'interdit. Le Coran précise : « Ô Messagers ! Mangez de ce qui est pur et faites des bonnes oeuvres. » (XXIII, 51) Le halal est donc un moyen et une condition pour cheminer vers le Créateur, et revêt donc une importance fondamentale pour les musulmans : il constitue même la condition pour que les prières du croyant soient exaucées. Le halal régit l'ensemble des actes de la vie du musulman et donc, parmi eux, son rapport à l'alimentation.
L'alimentation du musulman obéit par conséquent à des règles qui lui autorisent certains aliments et boissons. Pour ce qui est des produits carnés, on appelle communément une viande « halal » une viande qui a été obtenue via la dhakat – acte d'abattage rituel –, et décrit donc toute pièce de viande provenant d'un animal autorisé selon la loi islamique, abattue conformément aux règles de l'abattage rituel musulman et contrôlée selon le principe de la chahada – à savoir l'attestation, le témoignage, principe que j'ai évoqué précédemment – pour valider et garantir au musulman sa licéité. La dhakat est un abattage rituel réalisé au nom du Dieu unique. Il constitue donc une forme d'adoration, un acte religieux et ne peut se réduire à une pratique d'abattage standard : cela suppose de définir les catégories d'animaux permis ou interdits, d'exiger que l'animal soit parfait en son genre, d'observer une compassion soucieuse d'éviter le stress, de provoquer une mort rapide par une saignée sûre et complète, enfin de prononcer la formule rituelle d'invocation qui légitime la mise à mort sous la permission et la bénédiction divines.
Le rapport de l'homme à l'animal en islam est régi par un contexte lié à la considération qui lui est portée : les animaux sont considérés comme des créatures de Dieu. La miséricorde, en islam, s'étendant à toutes les créatures de Dieu, les animaux sont donc, à ce titre, couverts par cette miséricorde. La sourate « Les Abeilles » dit : « Et Il a créé, pour vous, les bestiaux dont vous faites des vêtements chauds, dont vous retirez divers profits et dont vous mangez, aussi. Ils vous paraissent beaux quand vous les ramenez, le soir, de même que le matin, lorsque vous les menez au pâturage. Et ils portent vos fardeaux vers un pays que vous n'atteindriez [autrement] qu'avec peine. Vraiment, votre Seigneur est Compatissant et Miséricordieux. Et [Il a créé] les chevaux, les mulets et les ânes pour que vous les montiez, et aussi pour l'apparat. Et Il a créé [d'autres] choses que vous ne connaissez pas. » (XVI, 5-8)
L'islam reconnaît chez l'animal une conscience évoluée : il souffre, connaît et adore Dieu, a conscience de la mort et sera ressuscité comme les humains. La sourate « Les Bestiaux » précise : « Pas de bêtes sur la terre, ni d'oiseau volant de ses deux ailes qui ne constituent des nations pareillement à vous ; dans le Livre, Nous n'avons absolument pas omis la moindre chose. Et puis vers le Seigneur, ils seront rassemblés » (VI, 38). Dans la sourate « La Lumière », on peut lire : « Ne vois-tu pas que tous ceux qui sont dans les cieux et sur la terre ne cessent de proclamer la gloire et la pureté de Dieu, de même les oiseaux qui étendent leurs ailes ? Chacun a sa manière de prier Dieu et de proclamer Sa gloire et Sa pureté et Dieu sait parfaitement ce qu'ils font. » (XXIV, 41)
En outre, le saint Coran honore les animaux en nommant plusieurs Sourates par le nom d'animaux : « La Vache », « Les Bétails », « Les Abeilles », « Les Fourmis », « L'Araignée », « L'Éléphant ». Le Prophète – que la paix et les bénédictions de Dieu soient sur lui – enseigna le respect des animaux à ses compagnons, privilégiant certains d'entre eux, notamment pour leur noblesse, comme le cheval, ou leur pureté, comme le chat. La préservation des espèces animales a été réalisée grâce à l'Arche de Noé, il y a bien longtemps, par ordre de Dieu, sans lequel nous ne connaîtrions pas d'animaux aujourd'hui. C'est là un rappel pour que nous continuions de préserver les espèces animales.
En parallèle de l'activité de contrôle rituel, nous avons considéré, dans la mesure où le bien-être et la bientraitance des animaux sont des notions fondamentales en islam, qu'il fallait prendre toutes les dispositions afin d'assurer que les opérations de sacrifice rituel se déroulent de façon conforme à ces principes.
Ainsi, depuis la publication par le ministère de l'agriculture de l'arrêté rendant obligatoire l'obtention du certificat de compétence concernant la protection des animaux dans le cadre de leur mise à mort, nous avons considéré qu'il était important d'accompagner les services de l'État dans ce domaine. C'est pourquoi nous avons mis en place une formation qui a été agréée le 20 juillet 2015, afin de former les opérateurs et plus particulièrement les sacrificateurs rituels, pour qu'ils puissent obtenir ce certificat de compétence. Cette formation est délivrée par notre organisme DEFI, sous l'égide également de la grande mosquée de Lyon.
Nous avons été agréés pour délivrer les formations d'opérateurs bovins-équidés et ovins-caprin, manipulation et soins, mise à mort complète et sans étourdissement. Nous avons organisé en 2013 trois formations sur les ovins, qui ont intéressé trente et une personnes, et deux en 2014, pour quatorze personnes. En 2015, notre organisme a organisé quatre sessions qui ont accueilli vingt-huit participants, toujours sur les ovins, et une session pour sept personnes sur les bovins. Cela prouve à quel point nous sommes intéressés à la protection animale.
Pour ce qui est de la délivrance de la carte de sacrificateur, nous procédons à un entretien de moralité, nous vérifions sommairement les connaissances du candidat et sa pratique religieuse. Nous exigeons en outre une lettre de recommandation de la part de la mosquée fréquentée, la signature du cahier des charges du sacrificateur rituel, qui édicte les conditions de base que doit respecter le sacrificateur pour réaliser l'abattage rituel. Quant à la formation pratique, elle est réalisée sur le terrain avec le contrôleur rituel chargé de superviser l'abattage, et avec le ou les sacrificateurs expérimentés.
Le 26/10/2016 à 14:23, laïc a dit :
"il souffre, connaît et adore Dieu"
Mon chat ne connaît ni n'adore aucun Dieu...
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