Intervention de Sandro Gozi

Réunion du 15 juin 2016 à 16h45
Commission des affaires européennes

Sandro Gozi, secrétaire d'état auprès du président du Conseil des ministres italien, chargés des affaires européennes :

Je vous remercie pour cette invitation à venir m'exprimer devant vous et profite de cette occasion pour vous exprimer toute la solidarité du gouvernement italien après que la barbarie islamiste se soit une nouvelle fois abattue sur la France à travers l'effroyable assassinat de deux policiers.

Les sujets sur lesquels vous m'interrogez sont très nombreux et complexes et nécessiteraient probablement une audition plus longue qu'il est aujourd'hui possible. Je vais toutefois essayer d'être synthétique et de vous apporter l'ensemble des réponses que vous attendez.

En préalable, je tiens à souligner que la dimension parlementaire que vous avez évoquée est tout à fait fondamentale. C'est pourquoi l'initiative de la présidente de la Chambre des députés italienne, Mme Laura Boldrini, soutenue par 13 présidents de Chambre, dont le président de l'Assemblée nationale, M. Claude Bartolone, qui vise à relancer le processus d'intégration européen, va dans la bonne direction. L'objectif est désormais de convaincre une majorité de présidents de Chambre de soutenir cette initiative.

Par ailleurs et d'une manière générale, le travail fait au sein des commissions des Affaires européennes des Parlements nationaux, que je connais bien pour avoir été moi-même le coordinateur de mon groupe politique à la commission des Affaires européennes de la Chambre des députés, mais également au sein de la COSAC, doit être salué. Sur ce point, je vous remercie pour le soutien que vous avez bien voulu apporter à vos homologues italiens lors de la dernière COSAC. Pour eux comme pour nous, il était insensé que les conclusions de celle-ci ne fassent pas référence à la crise des migrants.

Ce préalable fait, venons-en à vos questions. Je voudrais commencer mon propos par la présentation des causes qui, selon moi, sont à l'origine de la crise que traverse actuellement l'Union européenne. La première me semble être le manque de confiance entre les gouvernements et entre les peuples européens. Nous avons perdu confiance les uns dans les autres et la raison de cette perte de confiance est l'accumulation des erreurs commises dans la gestion de la crise financière et des conséquences de celles-ci.

La quasi-décennie d'austérité que nous venons de connaître a eu un impact dévastateur du point de vue politique et social.

Du point de vue politique, elle a créé une fracture inédite entre les États-membres créanciers et les États-membres débiteurs qui a structuré le débat européen, au point que l'on a fait croire aux contribuables allemands qu'ils devraient payer pour l'assainissement budgétaire italien alors que l'Italie n'a jamais reçu un euro de l'Union européenne pour sortir de la crise à laquelle elle a dû faire face en 2011. Bien plus, l'Italie a contribué, comme l'Allemagne, et la France et d'autres États-membres, au sauvetage de la Grèce.

Du point de vue social, l'impact de l'austérité a lui aussi été dévastateur. L'obsession de l'assainissement budgétaire a été telle que personne ne s'est soucié des conséquences sociales que les mesures adoptées pouvaient avoir et ont finalement eu. Non seulement l'austérité a nui à la confiance entre Européens mais leur impact social a également favorisé la montée des mouvements extrémistes et anti-européens.

En définitive, la politique d'austérité a transformé une crise financière en une crise sociale qui est finalement devenue une crise politique.

Une autre cause, selon moi, de la crise actuelle est le fait que l'Union économique et monétaire n'est pas achevée. En effet, elle est fondée sur des règles – très strictes – alors qu'aujourd'hui, nous avons besoin d'une UEM prenant la forme de véritables politiques économiques et sociales. En outre, lorsque ces mêmes règles, en plus d'être très strictes, sont aussi obscures qu'incompréhensibles, elles ne peuvent que renforcer le sentiment de défiance des Européens. Je suis loin d'être novice en matière européenne mais à chaque fois que je dois lire les « two-packs » et les « six-packs », j'avoue avoir parfois du mal à les comprendre.

Une relance de l'UEM par les règles n'est pas appropriée et les Parlements nationaux, comme le Parlement européen, pourront s'impliquer autant qu'ils voudront dans cette relance, si elle ne prend pas la forme de politiques économiques et sociales, elle échouera.

Je plaide donc pour un nouveau policy mix économique et social dans l'Union européenne et plus spécialement dans la zone euro. La définition de celui-ci doit précéder la question de la répartition des compétences. Nous sommes d'accord pour travailler à mettre en place un gouvernement de la zone euro, voire un ministre des finances européen, qui serait un vice-président de la commission, sur le modèle de la HP, à la condition que ce gouvernement ne se cantonne pas à une application stricte des règles mais permette le développement de politiques économiques en faveur de la demande, favorisant l'investissement en faveur du numérique, de la recherche, de l'énergie, mais également de politiques sociales. Nous avons ainsi proposé une assurance-chômage européenne, complémentaire des assurances-chômage nationales, qui interviendrait en cas de choc asymétrique frappant particulièrement une région ou un pays. Quant au contrôle de ce gouvernement, nous sommes parfaitement ouverts à la discussion sur la répartition des compétences entre le Parlement européen et les Parlements nationaux.

Pour ne rien vous cacher, je ne crois pas que les conditions politiques d'un tel gouvernement sont aujourd'hui remplies, ce qui n'empêche pas le gouvernement italien de travailler en ce sens. Seulement, nous avons du mal à trouver des partenaires convaincus dans la durée. Dans les discussions bilatérales, nous obtenons des soutiens mais une fois tous les États-membres réunis, la tendance est alors irrésistible à reporter à plus tard ce qui devrait être décidé aujourd'hui.

Je ne prendrai qu'un exemple : l'union bancaire. Il est tout à fait inutile d'espérer approfondir la zone euro si ce sujet majeur n'est pas traité. Les discussions sont aujourd'hui bloquées autour de la question de la réduction et du partage des risques. La meilleure voie me semble être une double voie, à la fois nationale – pour réduire les risques – et européenne – pour les partager.

La crise migratoire a été l'autre facteur de fragilisation de l'Union européenne. Après les soubresauts de la crise financière et du plan de soutien à la Grèce, l'impuissance de l'Europe face aux flux migratoires a encore accentué la défiance vis-à-vis des autorités communautaires. Il faut redire avec force que le principe de solidarité ne s'applique pas uniquement pour les aides au développement régional ou pour les critères de cohésion économique, il s'applique aussi et le traité de Lisbonne est très clair en ce sens, au domaine des contrôles aux frontières, de l'asile et de l'immigration (Art 80 du TFUE). Ce principe doit se traduire par des décisions concrètes comme l'accueil des réfugiés en application du mécanisme de relocalisation.

Il est profondément regrettable que ce mécanisme de relocalisation décidé en septembre 2015 par les États membres, n'ait été que très partiellement utilisé : 700 migrants selon le dernier bilan, ont pu en bénéficier sur les 160 000 initialement prévus.

L'Union européenne doit absolument préserver la liberté de circulation qui est l'un des acquis les plus emblématiques de la construction européenne mais pour se faire elle doit renforcer son contrôle des frontières extérieures. À ce titre il faut se féliciter de l'adoption prochaine du règlement européen instituant un corps européen de garde-frontières et renforçant les pouvoirs de Frontex. Une autre étape indispensable est de parvenir à un régime commun du droit d'asile car le système actuel est inadapté en cas d'afflux massifs de migrants et surtout il conduit à des situations injustes, la Grèce et l'Italie supportant l'essentiel de la pression migratoire. Cette crise a fait évoluer les mentalités et nous sommes plus conscients aujourd'hui de la nécessité d'accélérer certaines réformes, quitte à faire bouger les lignes en matière de partage de souveraineté comme pour la surveillance des frontières extérieures de l'Union.

Certains États ont été tentés de se replier sur leurs frontières nationales ou ont fait du « danger migratoire » une exploitation politicienne comme pour les élections présidentielles autrichiennes. Ces réactions sont contre productives et au contraire nous devons aller de l'avant pour renforcer notre coopération pour réguler les flux migratoires.

L'Italie a fait récemment des propositions à la Commission européenne pour une politique migratoire qui intègre des données de long terme et qui crée un lien entre les questions de développement économique et de régulation des flux migratoires. Cette idée a été reprise dans la communication présentée par la Commission le 7 juin dernier au sujet d'un nouveau cadre de partenariat pour mieux gérer les migrations. Il s'agit d'une première étape mais il faudrait la compléter par un volet de coopération en matière de Défense car les passeurs et les risques terroristes sont des facteurs puissants de déstabilisation notamment des pays africains de la Zone du Sahel. Le contexte politique actuel rend difficile une réelle avancée pour la gouvernance de la zone euro, en revanche c'est le moment propice pour faire progresser la coopération avec les pays tiers notamment dans une visée de prévention du terrorisme.

Je serai plus bref sur les questions institutionnelles dont j'ai longuement parlé dans mon ouvrage. Je voudrais seulement insister sur le fait que le Conseil européen a pris une place démesurée par rapport aux autres institutions communautaires. Il traite de tous les sujets des plus politiques aux plus technocratiques. En s'occupant des moindres détails, le Conseil manque à sa mission de donner des impulsions politiques sur des sujets majeurs et il accrédite l'idée que l'Europe impose des normes tatillonnes sur tous les sujets !

Le Parlement européen et les conseils des ministres sont considérablement affaiblis et on assiste à la multiplication de réunions informelles de concertations occultes entre conseillers qui s'inspirent des méthodes de travail du G20 avec l'influence des « sherpas ». Nous devons gagner en transparence démocratique et redonner une réelle capacité de décision à l'ensemble des institutions.

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