Intervention de Bruno Lasserre

Réunion du 21 juin 2016 à 17h15
Commission des affaires économiques

Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence :

Peut-être. Mais s'il y a quelque chose à corriger, c'est dans ces départements. L'égalité commande que l'on traite aussi ces départements et c'est une des préconisations que nous avons faites dans notre avis.

Monsieur Hervé Pellois, sur les abattoirs, nous avons pris une décision de sanction à l'égard de Bigard qui n'avait pas respecté les conditions qui s'attachaient à une décision de concentration dont il bénéficiait. Le Conseil d'État a confirmé cette sanction. Vous avez raison, c'est peut-être un sujet sur lequel une enquête sectorielle serait nécessaire. Mais nous restons prudents en matière agricole. Quoi que nous fassions, nous sommes critiqués : soit nous en faisons trop, soit pas assez. Nous avons donc préféré statuer soit sur les plaintes des agriculteurs, soit sur saisine du Gouvernement. Nous n'avons jamais agi en matière agricole de notre propre initiative, y compris sur le fameux cartel des yaourts. C'est un secteur sur lequel nous agissons avec précaution.

Je voudrais aussi rebondir sur la question concernant le secteur du lait. Soyons clairs, la France n'a pas assez anticipé la suppression des quotas laitiers, qui a été annoncée, mais jamais intégrée dans les esprits. Aujourd'hui, on s'aperçoit qu'elle change en profondeur le fonctionnement de ce secteur économique, sans qu'on ait pris des mesures suffisamment drastiques pour préparer ce changement de fond. Je ne vais pas revenir sur toutes les mesures que nous avons proposées, sur la contractualisation, qui est un élément important de sécurisation et de plus grande prévisibilité des revenus, sur la création des organisations de producteurs qui a été assouplie, ni sur les plus grandes facilités qui doivent être données aux organisations de producteurs. Nous soutenons toutes ces mesures car nous pensons que dans ce secteur comme dans d'autres secteurs agricoles, le rôle des organisations communes de producteurs doit être renforcé et la contractualisation avec les industries de transformation et la distribution en aval mieux formalisée pour guider sur le long terme la formation des prix.

Sur les quotas de pêche, Madame Annick Le Loch, nous souhaiterions procéder à une modernisation, même si ces quotas répondent à un vrai besoin : la ressource n'étant pas extensible à l'infini, on comprend qu'on régule de manière quantitative les droits de pêche. Ce qui nous choque, ce n'est pas l'existence de quotas ou de droits de pêche mais le fait qu'aujourd'hui, ils sont attribués de manière collective, et davantage en fonction des droits historiques qui sont figés qu'en fonction de l'efficacité. Ce que nous proposions, c'est donc une meilleure émulation entre les acteurs. Nous privilégions une régulation qui tiennent plus compte des efforts d'efficacité menés par chacun des pêcheurs.

Monsieur Jean-Luc Laurent, sur les droits sportifs, nous n'avons rien annulé, mais nous avons refusé de lever une injonction qui aurait permis la signature d'un accord exclusif de distribution entre Canal et les chaînes beIN Sports. Nous avons estimé que les risques concurrentiels étaient trop importants. En particulier, les deux entreprises auraient détenu en duopole 80 % des droits sportifs, d'où des risques de collusion. Dans la mesure où ces injonctions doivent être revues dans leur ensemble en juin 2017, nous avons considéré que nous ne pouvions pas examiner ces sujets indépendamment des autres sujets que pose la télévision payante. Personnellement, je suis d'accord avec vous : dans cette réflexion collective que nous allons mener, il faut garder à l'esprit que derrière le sujet de la télévision payante, il y a ceux du financement du cinéma et de la création mais aussi du sport, qui aujourd'hui se rémunère grâce à la vente de droits télévisés. On voit que, d'une certaine manière, l'inflation et l'explosion des droits sportifs conduisent aussi à un épuisement des acteurs. TPS a été vendu à Canal + parce qu'il n'arrivait plus à suivre cette surenchère. Orange Sport a jeté l'éponge, beIN Sports est en perte et prévoyait donc de signer un accord de distribution exclusive avec Canal +. Ne faut-il donc pas réfléchir aussi à des modèles de financement du sport qui ne dépendent pas uniquement de contrats négociés directement, avec tous les risques que cela suppose, entre des clubs et des télévisions ? En effet, il n'est pas sûr qu'on trouve une émulation suffisante entre chaînes pour pouvoir assurer le financement du sport. Il est clair que c'est un des sujets sur lesquels nous allons faire porter notre réexamen.

Madame Marie-Noëlle Battistel a posé la question des péages des autoroutes. Cela a été un sujet « sanglant » sur lequel l'Autorité de la concurrence a été encensée d'un côté, très critiquée de l'autre. Je n'ai pas besoin de vous dire qui critiquait et qui encensait, vous l'avez deviné. Mais c'est un sujet sur lequel, nous avons fait des propositions qui n'ont été qu'en partie écoutées, notamment sur la meilleure régulation des autoroutes. La loi Macron reprend un certain nombre de nos propositions pour renforcer les pouvoirs de l'ARAFER, notamment sur les déterminants économiques des péages et sur le contrôle de l'attribution des travaux pour la construction et l'entretien des autoroutes, car le sujet est aussi celui de l'intégration verticale. Ces concessions sont détenues par des groupes de BTP intégrés dont la tentation est de faire réaliser les travaux par leurs propres filiales plutôt que par des groupes de BTP indépendants. Cela peut être de nature à enchérir les prix. Le message que nous avions fait passer au Gouvernement, et qui n'a été qu'en partie entendu, c'était de dire que la négociation de ces contrats avait été dans l'ensemble défavorable à l'État et aux usagers. Nous avons dit qu'il y avait une occasion inespérée de reprendre le contrôle et de bâtir un accord plus équilibré, en profitant de la demande de prolongation des contrats que demandent les sociétés d'autoroutes en échange du plan autoroutier. Malgré ses imperfections, cette discussion a eu lieu. Pour moi, la page est close, nous n'allons pas relancer une enquête et le débat. Nous nous sommes exprimés, de manière forte, car je crois qu'il fallait que cette parole soit portée. Nous avons dit ce que nous pensions de ce dossier, c'est maintenant à l'État d'en tirer les conséquences.

Madame la présidente Frédérique Massat, ce que nous avons reproché à TDF, c'est d'avoir joué sur la confusion des genres. Vous savez que la TNT a permis l'émergence de nouveaux acteurs dans la télédiffusion au bénéfice des territoires. TDF a abusivement, en tout cas c'est le sens de notre décision, joué sur l'ambiguïté de son statut : elle a fait croire aux communes qu'elle était toujours une personne publique qui devait émettre un avis sur les servitudes nécessaires pour l'installation de pylônes concurrents, alors qu'elle est une entreprise privée, qui appartient aujourd'hui à des fonds d'investissements. Elle a écrit aux communes pour jouer sur cette ambiguïté, en laissant penser qu'elle détenait toujours un pouvoir régalien et que les communes devaient toujours la consulter pour savoir si des servitudes étaient nécessaires. C'est pour cela que nous avons dit que TDF avait induit en erreur les collectivités et créé un obstacle artificiel à l'arrivée de concurrents. C'est cela que nous avons sanctionné.

Sur la presse et l'Est Républicain, vous savez que la presse régionale s'est beaucoup concentrée parce qu'elle se porte mal. Le territoire français est désormais partagé entre des groupes intégrés. Le groupe Crédit Mutuel a pris le contrôle d'un grand nombre de titres. Nous ne nous y sommes pas opposés pour des raisons de réalisme. Nous pensions que sans repreneurs, ces titres n'auraient pas pu survivre, et nous avons donc accepté la concentration parce que nous pensions que c'était le seul moyen de faire survivre ces titres qui se portent mal. Mais nous avons négocié avec le Crédit Mutuel et imposé, pour les informations qui ne sont pas mutualisables, à savoir celles qui donnent lieu à une création journalistique, le maintien d'une rédaction séparée et une présentation différente des titres afin que chacun conserve une ligne éditoriale distincte des autres, dans l'intérêt des lecteurs qui sont habitués à préférer un titre par rapport à un autre. Mais ces engagements prennent fin. Quand nous négocions des conditions pour une fusion ou un rachat, nous négocions des conditions qui ne sont pas éternelles mais pour une durée déterminée. Je pense que ce à quoi vous faites allusion, c'est l'expiration du délai de cinq ans pendant lequel ces engagements étaient valables et qui doivent trouver leur fin bientôt.

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