Intervention de Michel Barnier

Réunion du 7 juin 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Michel Barnier, conseiller spécial du président de la Commission européenne pour la politique de défense et de sécurité :

Vous m'offrez, madame la présidente, l'occasion de dialoguer avec vous dans le cadre de la mission que m'a confiée le président Juncker, et j'en suis très heureux. Il y a à peu près un an, le président Juncker m'a effectivement demandé d'être son conseiller spécial pour la sécurité et la défense – les deux mots sont importants, parce qu'ils vont ensemble. C'est la première fois qu'un président de la Commission européenne juge nécessaire d'avoir un conseiller à ses côtés sur ce sujet, historiquement assez improbable pour la Commission européenne. On ne voit pas spontanément en quoi la question est du ressort de celle-ci, mais on a tort. Évidemment, elle ne va pas s'occuper de la projection de forces, de l'organisation, de la mutualisation, de la coordination des services de renseignement, ni des capacités militaires. En revanche, nombreux sont les outils et instruments à sa disposition pour contribuer à une défense européenne, dont l'objectif, soit dit en passant, est inscrit, en ces termes mêmes, dans le traité de Lisbonne.

Nous sommes loin de l'avoir atteint. Pourtant, le contexte sécuritaire, géopolitique, à l'intérieur et à l'extérieur de l'Union européenne justifierait, à bien des égards, que l'on avance dans cette direction. La défense européenne, la sécurité des Européens, qui vont donc ensemble, forment ainsi un nouveau champ dans lequel un rebond de l'Union européenne est à la fois nécessaire et, s'il y a une volonté politique, possible. Cela répondrait d'ailleurs aux attentes des citoyens européens. Si les sondages européens sur l'Europe sont généralement très négatifs, la sécurité, la défense apparaissent actuellement en tête des sujets à propos desquels les citoyens estiment qu'il faut « plus d'Europe ». Je suis d'autant plus heureux de pouvoir vous dire où nous en sommes.

Le moment est sensible politiquement. Dans quelques jours se tiendra le référendum britannique et, au cours du Conseil européen qui se réunira ensuite, le 28 juin prochain, Mme Mogherini, Haute Représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, présentera cette stratégie globale que vous avez évoquée. Federica Mogherini joue un rôle clé, compte tenu des pouvoirs que lui donne le traité de Lisbonne. Haute Représentante des ministres des affaires étrangères, elle est aussi chargée des questions de défense, pour autant que les ministres veuillent agir ensemble. Elle peut prendre des initiatives, elle suit les questions d'aide au développement, d'aide humanitaire, les politiques de sanctions, les instruments de gestion de crise dont elle a la responsabilité. Nouveauté du traité de Lisbonne, elle est vice-présidente de la Commission européenne. J'étais l'un des négociateurs, avec mon collègue António Vitorino, au sein de la Commission européenne présidée par Romano Prodi, et je me suis battu pour créer ce double hat, ce double chapeau, aujourd'hui consacré par le traité de Lisbonne. Cela lui donne un rôle de coordination important, aux côtés de M. Juncker, pour mettre en cohérence l'action politique extérieure – le maintien de la paix ou son rétablissement, auquel l'Europe peut contribuer – avec l'action économique extérieure : la reconstruction, la formation, le capacity building. Nous avons là un outil.

Mme Mogherini s'appuie désormais sur un service diplomatique dirigé par un diplomate français de grande qualité, M. Alain Le Roy, qui a succédé à M. Pierre Vimont. Je plaidais pour la création d'un tel lieu où s'élabore la culture diplomatique commune. Il ne faut pas demander à vingt-huit États membres aux histoires, aux cultures, aux stratégies diplomatiques et militaires différentes, dont six ne sont pas membres de l'OTAN – et dont cinq sont même neutres et non alignés –, d'avoir, face à une crise, une position commune immédiatement cohérente s'ils n'y ont pas réfléchi auparavant. Ce service que dirige Federica Mogherini avec beaucoup d'autorité est précisément le lieu où se construit cette culture diplomatique commune, cette analyse commune. À force de mettre ensemble des stratèges, des diplomates, des géopoliticiens, des responsables des États membres, des think tanks, nous aboutirons finalement à des positions communes sur tous les sujets importants. Cela n'a pas été le cas il y a quelques années, qu'il s'agisse de la tragédie des Balkans ou du départ de Saddam Hussein, sans parler de problèmes plus récents, comme la Libye. Pour parvenir à une vraie défense européenne, pour être capable d'intervenir militairement ensemble, il nous faut une analyse stratégique cohérente – c'est une condition préalable. Cela suppose un travail patient des États membres, ensemble, dans ce lieu que dirige Federica Mogherini.

Mme Mogherini peut aussi proposer ou mettre en place des missions européennes. Elle s'appuie à cette fin sur un état-major de l'Union européenne, qui a une capacité de planification, et également sur le comité militaire, qui réunit les représentants des États membres. Elle est également responsable de l'organisation, deux fois par an, des réunions des ministres de la défense, et elle préside l'Agence européenne de défense, dont l'actuel directeur est M. Jorge Domecq.

Mme Mogherini travaille naturellement en étroite collaboration avec l'ensemble des commissaires – elle-même est commissaire –, avec Mme Elżbieta Bieńkowska, de nationalité polonaise, commissaire au marché intérieur, à l'industrie, à l'entrepreneuriat et aux petites et moyennes entreprises, qui m'a succédé. C'est vraiment très important, car la Commission européenne veut apporter sa pierre. Au-delà de la Commission, elle est évidemment en relation avec le Conseil des ministres, au rôle clé en matière de défense, et le Parlement européen, qui vote le budget dont nous avons besoin, et vous savez que nous souhaiterions qu'il évolue en ce qui concerne la recherche, le capacity building, le soutien aux États qui en ont besoin en matière de formation, d'entraînement ou d'équipement de leurs forces de sécurité.

Quel est le bilan du travail de la Haute Représentante depuis que cette fonction, exercée d'abord par Catherine Ashton, puis par Mme Mogherini, existe ? Il faut relever des éléments positifs : un rôle très actif dans le règlement du dossier iranien – c'est principalement Catherine Ashton qui s'en est occupée – et en ce qui concerne le dialogue entre la Serbie et le Kosovo. Citons aussi les opérations Atalante, en 2008, au large de la Somalie, pour lutter contre la piraterie, et Sophia, plus récemment, dans des conditions de rapidité très satisfaisantes. Au total, une trentaine d'opérations doivent être mises à l'actif de cette politique, dont une quinzaine, civiles et militaires, sont en cours aujourd'hui. La coordination entre le volet civil et le volet militaire de ces opérations, parfois difficile, justifierait, de mon point de vue, une gouvernance ou un centre opérationnel plus efficaces.

Nous en sommes là, avec ces ombres et ces lumières, avec ces outils qu'offre le traité, que nous n'utilisons pas toujours, dans un contexte qui a totalement changé. Vous avez utilement rappelé, madame la présidente, le préambule de la déclaration de Javier Solana. C'était – il y a moins de quinze ans ! – une Europe qui n'avait « jamais été aussi prospère, aussi sûre ni aussi libre ». Je citerai une autre phrase de ce texte de 2003 : « Face aux nouvelles menaces, c'est à l'étranger que se situera souvent la première ligne de défense. » La stratégie de 2003, un petit peu adaptée ou modifiée depuis lors, est donc entièrement orientée vers les interventions extérieures, puisque c'est à l'extérieur du territoire européen que se situaient les menaces et les risques. Aujourd'hui, on constate plutôt une linéarité qui relie la sécurité intérieure, notamment la lutte contre le terrorisme, et les crises ou les guerres à l'extérieur. Autres éléments de ce nouveau paradigme, une agressivité russe s'est manifestée sur le flanc oriental de l'Union européenne, nous l'avons vu en Crimée et en Ukraine, tandis que se développent, au sud, des zones de non-droit, des réseaux de criminalité qui s'organisent ou se propagent, au Sahel, ou en Libye, et le risque d'une fragilisation ou d'une déstabilisation du Maghreb, qui nous est si proche pour beaucoup de raisons, et nous n'oublions pas le chaos syrien au Moyen-Orient. Tout cela crée les conditions de ce que j'appelle le rebond, ou le nouvel élan politique ; il dépend des dirigeants européens qui se réuniront le 28 juin prochain.

Vous avez bien fait, madame la présidente, de rappeler un autre enjeu que l'on oublie parfois dans les moments de tension que nous traversons, même si nous en avons beaucoup parlé au moment de la COP21 et de l'Accord de Paris : l'enjeu climatique. Sans être chez les Verts, je suis très engagé sur ce sujet depuis très longtemps. Il n'appartient d'ailleurs pas qu'aux Verts, et j'aimerais bien que tout le monde le fasse sien. Las ! On sous-estime les conséquences du changement climatique qui, ajouté à la pauvreté, nous expose au risque de migrations massives de plusieurs millions, sinon de dizaines de millions, de personnes, qui remonteraient du sud vers le nord de l'Afrique. Il y a quelques jours, en Algérie, je me suis longuement entretenu avec le ministre des affaires étrangères d'Algérie, et il recommande que les Européens prennent mieux en compte la capacité stabilisatrice de son pays. Pour nos sociétés, ce problème est l'un des plus graves et des plus profonds : il impose de changer toutes nos habitudes de produire, consommer, de nous transporter, de cultiver. Il peut aussi provoquer des déstabilisations graves à la suite de migrations écologiques.

Soyons lucides : en matière de défense européenne, le rebond se heurte à des difficultés structurelles.

Les premières tiennent à ce qu'on appelle la souveraineté nationale. Vous le disiez, madame la présidente : je suis Européen, mais je suis d'abord passionnément patriote, et je pense que la défense de l'intérêt national ne peut plus être seulement nationale. Elle doit être aussi européenne – pas seulement européenne, bien sûr, car elle reste en partie nationale : quand il s'agit d'engager des soldats, qui risquent d'être blessés ou tués, il appartient évidemment à chaque gouvernement de prendre ses responsabilités. Mais nous nous heurtons à un souci de ne pas partager la souveraineté nationale, et même, pour reprendre un mot d'Hubert Védrine, à une difficulté à imaginer qu'on puisse l'exercer en commun. Selon moi, nous devons précisément nous préparer à exercer en commun notre souveraineté nationale – dans certaines conditions, sur certains sujets.

Une deuxième difficulté tient à l'OTAN. J'étais ministre des affaires étrangères au moment où, sous l'impulsion du président Chirac, nous avons engagé des négociations pour le retour de la France dans le commandement intégré. Je ne le regrette pas, mais, aujourd'hui, il ne faut pas se tromper : ce qui inquiète les Américains, ou nos alliés en général, ce n'est pas le fait que l'Europe s'organise, c'est le fait qu'elle ne s'organise pas. Ce qui inquiète les Américains, c'est le manque de crédibilité des Européens dans l'Alliance, le faible niveau de leurs capacités communes, la faiblesse de leur engagement budgétaire, même si, depuis deux ans, nous constatons une stabilisation et même une remontée des engagements budgétaires. J'ai souvent rencontré des dirigeants américains, au Pentagone et au département d'État – je l'ai encore fait il y a quelques semaines. Et, il y a quelques jours à peine, j'entendais le secrétaire général de l'OTAN, M. Jens Stoltenberg, dire, dans le bureau du président de la Commission, dans le cadre d'un entretien auquel je participais : « Une Europe de la défense, des Européens plus engagés, plus forts, c'est un OTAN plus fort. » N'entretenons donc pas une querelle qui n'est pas d'actualité – c'est notre ligne, avec le président Juncker, et il la rappellera à l'occasion du sommet de l'OTAN, au mois de juillet, à Varsovie. Ce qui est d'actualité, c'est la faiblesse des Européens en général, dans l'OTAN en particulier. Les Américains souhaitent réellement que l'on puisse dépasser ces vieilles querelles et organiser l'Europe et les Européens dans l'esprit de ce qui est écrit. Je recommande beaucoup qu'on n'oublie pas cette déclaration « de base », si je puis dire, la déclaration de Saint-Malo, signée par le président Chirac et le Premier ministre Tony Blair. Il y est question d'une défense européenne « autonome et solidaire » ; cette ligne doit précisément, plusieurs années plus tard, être la nôtre.

Troisième difficulté, les réflexes nationaux en matière d'industrie conduisent à des duplications. Je vous ai remis, mesdames et messieurs les députés, une note qui comporte deux tableaux que j'ai présentés avec le Centre européen de stratégie politique, placé auprès de la Commission européenne et qui travaille avec moi. La liste des duplications, secteur par secteur – aviation, marine, armement – est éloquente. Aujourd'hui, six pays européens lancent en ce moment, parallèlement, un programme de frégates. Pouvons-nous encore nous permettre cela ? Si nous continuons à dupliquer et à nous concurrencer, un jour ou l'autre, nous risquons d'être simplement obligés d'acheter sur étagère le matériel des États-Unis ou d'autres puissances. Des secteurs industriels l'ont compris. Je donne souvent l'exemple de l'entreprise de missiles MBDA, dirigée par le Français Antoine Bouvier, une entreprise intégrée, issue de la fusion d'entreprises française, allemande, anglaise, italienne – sans aller jusqu'à la fusion, on peut aussi coopérer davantage.

La quatrième difficulté, est d'ordre institutionnel. Je l'ai déjà dit la semaine dernière au Sénat : compte tenu du contexte, les ministres de la défense ne sont pas assez représentés et entendus aujourd'hui – ils n'ont pas leur propre formation du Conseil. Vous évoquez d'ailleurs ce point, messieurs Fromion et Pueyo, dans le projet de résolution que vous présentez demain, et vous avez raison. Un jour ou l'autre, il faudra selon moi aller plus loin, en créant une sorte de « Conseil de sécurité européen ». Il faut que la politique de défense soit mieux reconnue et plus autonome dans le logiciel européen ; le traité nous en donne d'ailleurs les moyens, si nous voulons bien les utiliser.

Alors, que faire ? Après ces perspectives historiques, j'en viens à l'actualité. Je pense que nous devons avoir une ambition politique claire. Tout nous y conduit : les menaces, les risques, les guerres autour de nous ; les risques à l'intérieur, ce qu'on appelle les nouvelles menaces hybrides ; les attentes des citoyens ; nos intérêts en termes d'emploi et d'industrie. D'ailleurs, tout est lié, et si nous laissions ce qui nous reste d'industrie en matière de défense se détricoter ou s'affaiblir, nous perdrions du même coup notre culture militaire.

À la Haute Représentante incombe la responsabilité de présenter cette stratégie globale rénovée au mois de juin pour définir notre sécurité collective – celle-ci est d'ailleurs le concept-cadre de tout ce travail, maintenant et dans les prochains mois, et recouvre l'ensemble des moyens, des instruments communautaires ou intergouvernementaux pour assurer la protection et la sécurité à l'extérieur de l'Union mais aussi, naturellement, à l'intérieur. C'est le sens de ma réflexion sur les articles du traité sur l'Union européenne, notamment sur les conséquences de l'intelligente activation de l'article 42.7 par la France. Il comporte d'autres outils, comme l'article 44 et la clause de solidarité, rédigée en 2002 dans le cadre du groupe de travail que je présidais et de la Convention sur l'avenir de l'Europe. On serait bien inspiré de s'interroger sur la manière de l'utiliser. Une lecture attentive montre qu'elle vise des situations de terrorisme, mais aussi des catastrophes industrielles ou naturelles d'une dimension telle qu'un seul pays touché ne peut y faire face. Outre les attentats que nous avons connus à Paris, Londres, Madrid ou Bruxelles, pourraient donc entrer dans son champ un tsunami en Méditerranée, comme il y en a déjà eu au début du siècle dernier, à Messine, ou une catastrophe industrielle ou nucléaire. Mon idée, en rédigeant cette clause, était de nous doter d'un mécanisme pour mobiliser les États membres ensemble, et, le cas échéant, le budget européen en cas de crise ou de catastrophe à l'intérieur de l'Union européenne.

L'un des outils de notre sécurité collective tient à deux mots très importants dont j'espère qu'on les retrouvera dans la stratégie globale de Mme Mogherini : « autonomie stratégique ». L'expérience me l'a appris : quand il y a des mots dans les traités, dans les directives, dans des discours, dans des textes européens, on peut y accrocher des politiques. S'il n'y a pas les mots, on n'accroche rien du tout. Ces deux mots peuvent permettre à la Commission européenne d'utiliser ses instruments en faveur de la base industrielle et technologique de l'Europe. Notons au passage que nos alliés américains font le même travail, sans complexe et avec des moyens bien plus importants, peut-être aussi un autre volontarisme. Ils sont en train de mettre en place la Third Offset Strategy, mobilisation générale de leurs moyens publics et privés, des entreprises grandes ou petites, des clusters, de la Silicon Valley, en faveur de la recherche et de l'innovation. L'équivalent d'une dizaine de milliards d'euros sera mobilisé dans l'objectif très précis de leur permettre de garder leur suprématie mondiale en matière de technologie et d'innovation militaires. Je ne prétends pas que nous puissions nous aussi viser la suprématie, madame la présidente, mais ayons au moins l'ambition de l'autonomie, l'ambition de ne pas être dépendants, sous-traitants ou simplement consommateurs des technologies ou des produits fabriqués par les autres.

Je souhaite que l'on fasse confiance à Mme Mogherini et qu'on la soutienne. Elle présentera cette stratégie dans un contexte politique compliqué, au lendemain du référendum britannique. Les ministres des affaires étrangères se réuniront pour leur part au mois de juillet. Selon moi, une fois cette ambition politique fixée, avec ces mots-clés, il faudra prendre le temps de la décliner, sur tous les sujets qu'évoquera Mme Mogherini, en une ambition militaire et opérationnelle. C'est ce que j'ai appelé le Livre blanc – mais on peut aussi appeler cela Strategic Review, pour reprendre le titre du Livre blanc britannique, ou plan ou feuille de route. Il faudra consolider les procédures de gestion de crise, identifier les technologies clés, les composants clés, des technologies de rupture dans lesquelles investir ensemble, les domaines dans lesquels des mutualisations capacitaires sont possibles, il faudra améliorer la transparence entre les planifications de défense nationale et renforcer les instruments dont nous disposons, en particulier l'Agence européenne de défense. Je suis très heureux que la présidence néerlandaise actuelle, très proactive sur ces sujets, ait fait sienne cette idée d'un livre blanc, qu'on l'appelle ainsi ou autrement.

La Commission européenne aura sa pierre à apporter. Considérez, direction générale par direction générale, tous les outils ou instruments qui peuvent être utiles : il y en a beaucoup. M. Juncker et ses commissaires préparent ainsi pour la fin de l'année un plan d'action pour la défense, auquel je contribue. Ce sera comme une contribution de la Commission au Livre blanc, une contribution pour accompagner les priorités des États membres – pour peu qu'il les ait définies préalablement. Il y a beaucoup de raisons d'agir. Je cite rapidement quelques-uns de ces instruments : les directives européennes sur les marchés publics et les licences ; la politique de recherche ; la politique du développement ; la politique spatiale ; la politique des aides d'État. Toutes ces politiques sont séparées, dispersées, chacun sous l'autorité d'un commissaire différent. Pour la première fois, nous allons essayer, au lieu de considérer séparément ces politiques, de viser des objectifs. Dans cet esprit, la première étape est l'élaboration d'une stratégie globale, qui définisse les besoins de la sécurité collective et les priorités. La Commission veut mettre les instruments que je viens de citer – il y en a d'autres – au service de ces objectifs qui auront été préalablement définis.

Je réponds à votre question sur l'instrument que nous préparons, que le président Juncker veut présenter au collège des commissaires comme une proposition, sur le financement de ce qu'on appelle en anglais le capacity building. Je comprends – et peut-être même un peu plus que cela – vos réserves et votre souci que nous prenions des précautions. Simplement, m'intéressant beaucoup au développement, je pense depuis longtemps, comme vous, madame la présidente, qu'on ne peut pas combattre le terrorisme seulement avec des bombardements, de la répression ou de la sécurité. Il faut aussi le combattre par un narratif différent, en Afrique mais aussi chez nous, qui doit être fondé sur le développement, sur la culture, sur la croissance, sur l'avenir qui peut être proposé à des jeunes tentés de céder ou de se laisser manipuler. La politique du développement est très importante. L'Union européenne est le premier contributeur mondial au développement, à hauteur de 70 milliards d'euros sur sept ans. On peut rendre cette contribution encore plus efficace. Il faudrait pour cela, dans beaucoup de pays que je connais, où s'investit beaucoup d'argent européen et souvent, à côté, national, une meilleure coordination entre coopérations bilatérales et coopérations européennes – dans les domaines de l'agriculture, de l'éducation, de la santé, des entreprises. Si un pays dans lequel nous investissons est pris en main par des groupes terroristes – cela a failli être le cas du Mali –, nos efforts ne servent plus à rien. La stabilité des pays concernés, qui ne peut toujours reposer sur des interventions extérieures, est non une précondition du développement, mais c'est l'une des conditions d'une bonne coopération, d'une bonne action de développement. Il faut donc que ces pays disposent de forces de gendarmerie, de forces administratives, de forces de police et d'armée. Nous voulons donc y consacrer une partie des financements européens, mais, aujourd'hui, il nous est juridiquement impossible de financer des armes ou des munitions.

Un instrument spécifique est donc nécessaire, que nous allons proposer. Je voudrais vous demander personnellement, mesdames et messieurs les députés, de bien peser tous les éléments, comme je viens d'essayer de le faire : si l'argent que nous consacrons au développement d'un pays est rendu inutile ou inefficace parce qu'il est pris en main par le terrorisme, nous aurons tout raté. Cet instrument ne devrait pas avoir de conséquences sur l'aide au développement car ce sera un instrument ad hoc, et il faudra trouver dans le budget les ressources pour l'alimenter. De toute façon, il faudra faire des arbitrages, en fonction de l'actualité intérieure et internationale, lors des perspectives financières ; il reviendra aux dirigeants européens d'avoir ce courage.

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