Intervention de Danielle Auroi

Réunion du 7 juin 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, Présidente de la Commission :

Passons à présent à un autre sujet sensible, et même mouvant. Il m'a semblé utile de faire un point sur un sujet, représentatif à mes yeux des enjeux de la régulation environnementale aujourd'hui, la question du renouvellement de l'autorisation du glyphosate, le fameux Round-up, pour donner une référence que tout le monde connaît, même si ce n'est pas le seul produit à en contenir, loin de là.

L'autorisation d'utilisation dans l'Union européenne du glyphosate expire en effet le 30 juin prochain, et sa réautorisation, d'abord traitée comme un sujet technique, est devenue éminemment politique, pour la Commission européenne comme pour les États membres.

Le débat autour de ce renouvellement et autour, finalement, de l'application du principe de précaution cumule en effet une controverse scientifique, un fort enjeu économique, l'inquiétude des populations et la mobilisation de la société civile, et un mode de décision politique peu clair pour nos concitoyens.

Premier point, et il est essentiel, les avis scientifiques divergent sur cette substance. Tout au long de 2015, différentes instances scientifiques ont rendu des avis sur la nature potentiellement cancérigène du glyphosate, et ce dernier fait l'objet d'un âpre débat scientifique, tant sur le fond – le caractère nocif de la substance – que sur la forme – le respect des critères scientifiques usuels et des règles de déontologie –. Se pose aussi la question de savoir si cette substance est un perturbateur endocrinien, comme le considère la France.

Alors que le processus d'expertise européen de réévaluation des risques présentés par la substance est conduit par l'Autorité européenne de sécurité des aliments, c'est finalement à l'Agence européenne des produits chimiques qu'est renvoyée aujourd'hui la responsabilité d'évaluer la toxicité du glyphosate. Cette Agence ne sera toutefois pas en mesure de rendre sa décision avant mi-2017.

C'est une lourde responsabilité qui est confiée à cette dernière car les enjeux économiques mais aussi sociaux sont importants.

Le glyphosate est aujourd'hui l'herbicide le plus vendu au monde. Il est commercialisé par plus de 90 fabricants, et plus de 750 produits contenant du glyphosate sont actuellement enregistrés en Europe – dans des pays soucieux de l'environnement comme dans des pays favorables aux cultures transgéniques – pour une utilisation sur les cultures mais aussi pour des usages urbains et domestiques.

Or, face à la demande de réautorisation pour une durée encore plus longue que l'autorisation initiale, exprimée par les acteurs économiques – industrie phytosanitaire, certains agriculteurs – les opinions publiques et la société civile sont très mobilisées.

La publication successive d'études, aux États Unis, en Allemagne, etc… mettant en évidence la présence du glyphosate dans le corps humain et dans l'environnement ont ainsi conduit près de 1,4 million de personnes à signer une pétition appelant l'Union européenne à suspendre l'autorisation du glyphosate en attendant d'autres évaluations.

En conséquence, les États membres sont divisés, et leurs divergences sur la manière de prendre en compte l'incertitude scientifique et d'appliquer le principe de précaution expliquent les propositions successives de la Commission européenne et l'absence de majorité qualifiée chez les États membres.

Dans un premier temps, la Commission européenne avait choisi de s'en tenir au « business as usual » : renouvellement de l'autorisation et prise en compte ultérieure d'éventuels développements scientifiques, jugeant ne pas avoir de raisons, au vu des conclusions de l'Autorité européenne de sécurité des aliments, de traiter ce cas de manière différente par rapport à d'autres substances.

Elle avait alors recommandé le 8 mars dernier le renouvellement de l'approbation du glyphosate pour la durée maximum prévue par l'article 14 du règlement 11072009, soit 15 ans – jusqu'en 2031 ! –, tout en la nuançant par, d'une part, l'obligation d'utiliser des coformulants inertes dans les formulations, et la publication « dès que possible » dans un acte séparé de la liste des coformulants inacceptables (ce travail étant en cours mais inachevé) et, d'autre part, l'engagement à revoir sans délai cette autorisation en cas de classement défavorable du glyphosate par l'Agence européenne des produits chimiques en 2017.

Cette position de la Commission était soutenue par une majorité d'États membres, mais sans atteindre la majorité qualifiée nécessaire à l'adoption, soit 55 % des États membres représentant 65 % de la population de l'Union.

Une petite dizaine d'États membres n'ont pas exprimé de position – dont l'Allemagne, l'État rapporteur – et trois pays, dont la France, se sont opposés à ce que l'autorisation du glyphosate soit renouvelée avant que l'Agence européenne des produits chimiques ne se soit prononcée.

La Commission avait alors renoncé à soumettre ce projet de règlement d'exécution au vote.

Sa deuxième proposition, en mai, reprenait pour l'essentiel la proposition faite en mars, avec pour différence majeure, un renouvellement pour seulement neuf années. La Commission européenne voulait ainsi prendre en compte la position du Parlement européen, qui s'était entre-temps exprimé par le biais d'une résolution non contraignante, mais sans reprendre les conditions d'utilisations suggérées par le Parlement européen – qu'elle considérait relever des États membres.

En effet, si la Commission ENVI avait adopté le 22 mars, à une large majorité, une résolution s'opposant à ce renouvellement, lors de l'examen en plénière le 13 avril, l'adoption d'un amendement a fait prévaloir un renouvellement de l'autorisation pour sept ans assorti de conditions d'utilisations.

Cette deuxième proposition n'ayant pas réussi, elle non plus, à recueillir l'avis favorable d'un nombre d'États membres suffisants pour atteindre une majorité qualifiée, en dépit du ralliement de deux États membres, la Commission européenne a renoncé à la soumettre à un vote formel et à enclencher le mécanisme du comité d'appel.

La Commission européenne a alors changé son fusil d'épaule et le Commissaire Andriukaitis a annoncé le 1er juin dernier que la Commission européenne proposait dorénavant une extension de l'approbation existante pour 6 mois à compter de la réception de l'avis de l'Agence européenne des produits chimiques, avec une date butoir au 31 décembre 2017, accompagnée par une recommandation aux États membres portant de nouvelles mesures de gestion du risque.

Formellement soumis au vote lors de la troisième réunion, hier, du CP VADAAA, cette nouvelle proposition n'a toutefois pas recueilli de majorité qualifiée, même si les États membres opposés au renouvellement de l'autorisation avaient, cette fois, fait le choix de l'abstention – y compris, donc, la France. En conséquence, la proposition de recommandation n'a pas été examinée.

Un comité d'appel est convoqué le 23 juin, le Commissaire Andriukaitis vient de l'annoncer cet après-midi à l'issue de la réunion des commissaires européens. Dans l'hypothèse – possible voire probable – d'une nouvelle absence de majorité qualifiée chez les États membres, il reviendrait alors à la Commission européenne soit de décider seule soit de choisir de ne pas exercer cette compétence.

La Commission européenne avait fait clairement savoir qu'elle souhaitait un soutien affirmé de la part des États membres, et qu'elle était prête à renoncer à soumettre le renouvellement de l'autorisation au vote et à laisser cette dernière arriver à expiration. Le Commissaire Andriukaitis a d'ailleurs réitéré, dans un tweet en début d'après-midi, cette demande aux États membres.

Mais la Commission européenne a finalement fait le choix de lancer une procédure d'extension de l'autorisation en cours, et pas d'octroi d'une nouvelle autorisation. Tous les États membres initialement opposés au projet de renouvellement ayant modifié leur position, soit en faveur d'un vote pour la prolongation de l'autorisation existante ou soit en choisissant de s'abstenir, il pourrait donc être envisageable qu'elle renonce à son exigence, en mettant en avant l'argument de la responsabilité. Dans cette hypothèse, il est essentiel que la recommandation aux États membres portant révision des conditions d'utilisation du glyphosate soit reprise.

Quels enseignements faut-il tirer de la manière dont Commission comme États membres ont choisi de répondre à cette question : si un doute subsiste sur la nocivité d'une substance, faut-il autoriser temporairement cette dernière ou la suspendre par précaution?

On peut regretter le procédé, par concessions successives, sous la pression d'une partie des États membres et de l'opinion publique, quand, compte tenu des incertitudes scientifiques, il aurait pu être proposé dès l'origine de faire appel à la contre-expertise scientifique de l'Agence européenne des produits chimiques et aux mesures de gestion de risque. Ces tâtonnements donnent l'image d'une Commission européenne et d'États membres plus sensibles aux arguments économiques voire aux lobbies qu'aux inquiétudes pour la santé et l'environnement des Européens. Il faut aussi noter qu'en ne parvenant pas à une majorité qualifiée, les États membres laissent par conséquent cette décision à la seule Commission européenne, quitte à s'en plaindre ensuite. Il faut sans doute le déplorer dans cette période où les institutions européennes sont fragilisées.

Certes, et la Commission européenne l'a souligné, les États membres peuvent, s'ils le souhaitent, interdire ou restreindre sur leur territoire l'utilisation des produits finis herbicides ou pesticides dont la substance active est autorisée au niveau européen, au risque, cependant, d'introduire une distorsion de concurrence au détriment de leurs agriculteurs. Or la transition vers une agriculture durable et saine au service de tous les citoyens et sans danger pour les agriculteurs et les écosystèmes est une priorité, et une action au niveau européen permet de supprimer ces distorsions qui non seulement la ralentissent mais sont aussi utilisées pour affaiblir l'idée de solidarité européenne.

Avec cette proposition d'extension pour une durée limitée de l'autorisation existante, la Commission européenne temporise, en espérant que la pression de la société civile retombe. De fortes attentes pèsent donc sur l'Agence européenne des produits chimiques, d'autant que l'Agence américaine de protection de l'environnement est, elle aussi, en train de réévaluer le glyphosate.

Qu'adviendra-t-il en cas de positions divergentes entre ces deux agences ? Comment l'Agence européenne va-t-elle traiter de la toxicité hormonale alors que les critères scientifiques pour définir les perturbateurs endocriniens n'ont toujours pas été proposés par la Commission européenne, cette dernière vient d'ailleurs d'être condamnée par la Cour de Justice de l'Union européenne.

Le Médiateur européen, en février dernier, a invité la Commission européenne à revoir sa position vis-à-vis de la définition et de la mise en oeuvre des mesures d'atténuation des risques afin d'y inclure davantage de critères pour déterminer les mesures d'atténuation relatives aux substances potentiellement dangereuses.

Les restrictions d'utilisation proposées ne seront pas suffisantes, étant donné l'utilisation massive de la substance et sa nature probable de perturbateur endocrinien. Il aurait été préférable que ces recommandations soient les plus larges possibles, car en dépit de leur caractère non contraignant, de telles préconisations forment un cadre européen fort utile à une pratique harmonisée et jouent un rôle moteur pour choisir un haut niveau de protection.

En effet, lorsque des États membres sont disposés à mettre en place un encadrement, force est de constater que même les plus allants sur le sujet – la France en fait partie, félicitons-nous en – n'en sont pas encore à des mesures d'interdiction pour un usage non professionnel, comme le demandait d'ailleurs le Parlement européen.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion