Intervention de Rached Ghannouchi,

Réunion du 21 juin 2016 à 17h30
Commission des affaires étrangères

Rached Ghannouchi, :

Vous m'avez interrogé sur l'éventualité d'un sentiment anti-français en Tunisie. Les relations franco-tunisiennes ont connu une période de guerre mais la page est tournée. La France est désormais le premier partenaire de la Tunisie sur les plans économique et culturel, chaque Tunisien a en lui une part de culture française et la France est plus présente en Tunisie que n'importe quel autre pays. Si des cas individuels d'animosité envers la France peuvent exister, ils sont rares, et ils ne représentent pas le sentiment majoritaire.

Ennahdha, parti politique, a décidé de se consacrer à la définition des moyens propres à répondre aux besoins sociaux et économiques des Tunisiens plutôt que de leur parler de questions idéologiques. Cette évolution peut-elle servir de prétexte à certains pour dire qu'Ennahdha s'éloigne de l'islam, et les pousser à se radicaliser ? C'est possible, mais l'essentiel est que pour nous, Ennahdha n'a pas de mission religieuse mais la tâche d'aider l'État tunisien. Conformément à l'article premier de la Constitution – « La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l'Islam est sa religion, l'arabe sa langue et la République son régime » –, le champ religieux ne relève pas des partis mais du ministère des affaires religieuses. L'État tunisien ne laisse pas la religion aux courants qui ont adopté un islam extrémiste ; il a fait sien un islam modéré qui s'inscrit dans notre tradition de tolérance. L'extrémisme et la radicalisation traduisent une situation exceptionnelle qui ne correspond pas à ce qu'est la société tunisienne. L'islam politique s'est développé en réaction à la dictature ; la révolution ayant mis un terme à la dictature, l'islam politique n'a plus de place. Nous nous définissons donc comme un parti de musulmans démocrates pour nous distinguer de l'islam politique, une appellation qui inclut des mouvements terroristes, dont Daech. Ce faisant, nous disons que nous sommes des démocrates de confession musulmane.

L'extrémisme détourne de son sens le concept de djihad en lui donnant pour signification que les musulmans auraient le devoir de tuer des innocents, à savoir tous les non-musulmans. C'est bien entendu infondé. L'histoire de l'islam est connue, et c'est une histoire de tolérance. La plus ancienne synagogue au monde est à Djerba, et avant l'attaque dont elle a été l'objet en 2002, quelque 3 000 années de coexistence pacifique s'étaient écoulées. De nombreuses minorités religieuses vivent dans les pays musulmans, protégées par les musulmans. La tolérance de l'islam était déjà connue à l'époque d'al-Andalus, l'Espagne musulmane. L'extrémisme constaté actuellement n'est que momentané ; il s'explique par des raisons objectives telles que les dictatures. Dans une Tunisie devenue un État démocratique, il n'y a plus de place pour cela.

Pourquoi 5 000 jeunes Tunisiens se sont-ils embrigadés en Irak, en Libye, en Syrie et en Afghanistan ? Par quel paradoxe la Tunisie fabrique-t-elle des milliers de terroristes alors que les Tunisiens sont tolérants ? C'est que la révolution tunisienne n'a que cinq ans et que l'extrémisme préexistait. Lorsque la révolution a commencé, quelque 3 000 personnes accusées de terrorisme peuplaient les prisons, et ces gens se sont ensuite radicalisés. Ces terroristes, qui sont le fruit de la dictature, n'ont pas de culture religieuse. Leur niveau d'éducation est généralement très faible car ils sont issus de couches sociales défavorisées, et ils méconnaissent la nature tolérante du véritable islam. Si l'on règle les problèmes socio-économiques de la Tunisie – pauvreté et disparités dans le développement régional –, les jeunes gens n'auront plus de raisons de pencher vers l'extrémisme.

Le Parlement a avalisé la création de la Haute Autorité indépendante pour la communication et l'audiovisuel (HAICA). Elle ne dépend pas de l'exécutif, et il n'y a pas de ministère de l'information en Tunisie. Les medias y sont libres, et aucun responsable politique n'est à l'abri de leurs critiques acerbes.

Mme Sayida Ounissi me paraissant mieux placée que moi pour vous parler des droits des femmes, je lui laisse la parole.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion