Intervention de François Loncle

Réunion du 21 juin 2016 à 17h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Loncle, rapporteur :

La commission doit se prononcer sur des accords de coopération militaire avec deux pays d'Afrique de l'Ouest, la Guinée et le Mali, qui ont été conclus respectivement en janvier et en juillet 2014.

Pourquoi examiner conjointement ces deux accords ? La raison principale est sans doute l'embouteillage des conventions internationales en attente d'examen par notre commission, qui nous incite à « faire d'une pierre deux coups »…

Bien sûr, il existe des points communs entre la Guinée et le Mali, qui partagent 858 km de frontière, certains groupes ethniques, en particulier celui des Malinkés, l'héritage de la période coloniale française ainsi que toute une série de défis en termes de développement socio-économique, puisqu'ils comptent parmi les pays les plus pauvres au monde.

Pourtant, il me semble que ces deux Etats se trouvent dans des situations sécuritaires bien distinctes. Le Mali est au coeur de la lutte contre les mouvances terroristes de la bande sahélo-saharienne : AQMI, Ansar Eddine, Al-Mourabitoune. Je rappelle que si la France n'était pas intervenue militairement en 2013, le pays aurait pu tomber complètement sous la coupe de ces organisations terroristes qui contrôlaient déjà les régions du nord.

Aujourd'hui, le dispositif sécuritaire déployé au Mali a permis d'affaiblir et de disperser ces groupes armés terroristes, mais pas de les éliminer. Leurs chefs de sont réfugiés en Algérie ou en Libye, et ils conservent une capacité de nuisance bien réelle qui se manifeste par des engins explosifs improvisés, des attaques isolées ou encore des attentats. La situation sécuritaire au Mali reste donc fragile malgré une forte présence internationale (outre Barkhane, 12 000 militaires et policiers de la MINUSMA).

Et cette fragilité restera de mise tant que la question de Kidal ne sera pas résolue. A l'heure actuelle, cette ville du nord-Mali demeure entièrement aux mains des groupes armés, sans qu'il soit toujours possible de bien distinguer entre les terroristes et les membres des groupes armés signataires de l'accord de paix de Bamako. Cet accord a été conclu le 20 juin 2015 entre le gouvernement malien et les groupes armés signataires. Il prévoit des mesures pour améliorer la représentation politique du nord dans les institutions nationales et accélérer son développement économique. Sa mise en oeuvre est essentielle pour inciter les groupes armés signataires à se dissocier définitivement des éléments terroristes.

Jusqu'à récemment, l'application de l'accord de paix était bloquée sur la question des autorités intérimaires qui doivent être nommées dans les régions du nord pour relancer les services publics, mettre en oeuvre des actions de développement et de relance économique et participer à l'organisation d'élections. Je viens d'apprendre qu'un accord avait été signé dimanche à Bamako sur cette question des autorités intérimaires. Pour la première fois, le chef du MNLA (mouvement national de libération de l'Azawad), Bilal ag Chérif, s'est déplacé à Bamako. C'est une évolution très encourageante pour la suite, qui va peut-être nous permettre de lever enfin cette dangereuse hypothèque du « nid de guêpes » que constitue Kidal.

La question du terrorisme reste donc centrale au Mali. En Guinée, cette préoccupation existe, notamment à cause des attentats perpétrés à Bamako, Ouagadougou et Grand-Bassam, mais aussi en raison de l'engagement d'un contingent guinéen dans le nord du Mali, qui fait craindre des représailles de la part des groupes terroristes. Cependant, la menace terroriste reste beaucoup plus diffuse en Guinée qu'au Mali.

En Guinée, les principaux défis sécuritaires sont, d'une part, ceux liés à la sécurité maritime dans le Golfe de Guinée, et d'autre part, les enjeux en matière de stabilisation politique et de consolidation des institutions nationales. La question de la réforme de l'armée est particulièrement importante. Dans l'histoire de la Guinée, l'armée a souvent joué un rôle déstabilisateur, entre coups d'Etat en manipulations politiques. Il s'agit aujourd'hui d'en faire une armée apte à assurer la sécurité de la Guinée. C'est un vaste chantier auquel la France participe dans la mesure de ses moyens.

Ceci m'amène aux relations militaires que nous entretenons avec le Mali et la Guinée. Ces deux pays sont au coeur des priorités de la coopération de défense française. Pour le Mali, c'est évidemment en raison de la menace terroriste, qui conduit la France à déployer 3500 hommes dans la bande sahélo-saharienne (peut-être davantage, bientôt, avec la fermeture de l'opération Sangaris en RCA). En Guinée, la France s'investit beaucoup aussi notamment, je l'ai dit, en raison des enjeux de sécurité maritime dans le Golfe de Guinée.

Au total, la Guinée et le Mali font partie des plus gros budgets de la coopération structurelle française mise en oeuvre par la Direction de coopération de sécurité et de défense (DCSD) du ministère des affaires étrangères (respectivement 2,4 et 3,2 millions d'euros en 2016). Il faut pourtant noter que ces budgets sont en baisse en raison d'une baisse générale des moyens de la coopération structurelle de la France. Cependant, cette forme de coopération est importante car elle a un fort effet de levier et permet de consolider les pays en amont, pour prévenir les crises, ce qui est toujours plus efficient et rationnel que d'intervenir en gestion de crise.

En Guinée, les coopérants militaires français jouent un rôle très important pour refonder la politique de défense et impulser la réforme de l'armée. Au Mali, ils ont aussi une influence importante pour coordonner et orienter les initiatives des nombreux acteurs nationaux et internationaux qui sont présents dans le pays. Ce rôle est très intéressant parce qu'il nous permet de créer des synergies en soutien de nos propres initiatives, pour lesquelles nous n'avons pas toujours les financements suffisants.

A part cette coopération structurelle sur le long terme, la France met aussi en place une coopération dite opérationnelle conduite directement par les militaires français auprès des militaires guinéens et maliens sur le terrain. Elle est surtout mise en oeuvre par les Eléments français au Sénégal, qui ont pour vocation de conduire des actions de coopération dans la région. En Guinée, ces formations ont surtout pour but de préparer la relève du bataillon guinéen de la MINUSMA.

Au Mali, l'essentiel de l'effort de formation des forces armées maliennes repose sur EUTM Mali. Je rappelle que cette mission européenne a été créée, à grand peine, à l'initiative de la France qui en fournissait le principal contingent. Pour une fois, une vraie dynamique européenne s'est créée autour de cette mission qui est à présent commandée par un Allemand. D'après les informations que j'ai recueillies lorsque j'ai accompagné le Premier ministre au Mali en février dernier, elle produit des résultats plutôt positifs ; son mandat vient d'être renouvelé jusqu'en mai 2018.

Ceci m'amène à faire un point sur l'état actuel des forces armées de nos partenaires guinéen et malien. Grâce à la forte mobilisation de la communauté internationale et surtout de la France, les forces armées maliennes ont progressé. C'est surtout vrai des bataillons qui ont été formés par EUTM Mali (environ 8000 soldats); les autres ont une valeur opérationnelle très faible. A présent, ces bataillons conduisent des opérations de manière autonome dans le centre du pays, c'est une nouveauté. Certes, ils ne vont pas dans le nord, mais cela tient au moins autant à des blocages politiques qu'à un problème de niveau. Pour autant, le chemin à parcourir reste long : l'armée malienne est encore trop nombreuse, non inclusive, dépourvue de logistique et de gestion des ressources humaines, mal équipée, etc.

L'ampleur de la tâche est sans doute plus importante encore en Guinée, où les partenaires internationaux sont nettement moins investis. Le fait que l'armée n'est pas intervenue dans le processus politique lors des élections présidentielles de 2015 a été perçu comme un grand progrès. Mais tout reste à faire pour réformer une armée centralisée à l'extrême, dépourvue de gestion des ressources humaines et de chaîne de commandement, corrompue, où les rares moyens sont captés par quelques-uns et où règne l'impunité, etc.

Un constat s'impose : ces deux partenaires, le Mali et la Guinée, auront besoin d'être accompagnés dans la durée. C'est précisément l'objet des accords que nous examinons aujourd'hui. Ils créent un cadre juridique global et pérenne, qui rassemble tous les aspects de la coopération militaire avec ces pays, dans le but d'établir un « partenariat de défense » avec eux.

Cela rejoint la nouvelle donne des relations militaires de la France avec les pays d'Afrique. Notre pays n'a plus vocation à intervenir à leur place, mais à les mettre en capacité d'assurer eux-mêmes leur propre sécurité. Pour cette raison, les accords de défense qui liaient la France à certains pays d'Afrique par une clause d'assistance en cas d'agression armée ont tous été renégociés (Cameroun, Togo, Gabon, Comores, RCA, Djibouti, Sénégal, Côte d'Ivoire). Ils ont été convertis en accords de coopération établis sur une base réciproque, sans clause d'assistance.

Avec le Mali et la Guinée, la France n'a jamais eu d'accord de défense. Les actions de coopération étaient régies par des accords de coopération technique très partiels et, à vrai dire, jamais ratifiés dans le cas de la Guinée… Ce sont des pays où la France n'avait traditionnellement pas une présence militaire très importante.

Les nouveaux accords de coopération ont été conclus à la demande de nos partenaires. Ils mettent l'accent sur la dimension partenariale de notre relation de défense et sur l'objectif de montée en puissance d'une architecture africaine de paix.

Ils comportent une première partie qui définit les principes, formes et modalités de la coopération. La seconde partie met en place un statut juridique complet et réciproque pour les forces en visite sur le territoire de l'autre partie. Celui-ci est nettement plus protecteur pour les militaires français. En particulier, leur droit à un procès équitable est affirmé, et ils bénéficient de garanties contre l'application de la peine de mort ou de tout autre traitement inhumain ou dégradant.

En réalité, seul l'accord avec le Mali comporte une clause inhabituelle par rapport au modèle établi pour ce type de conventions. Il s'agit de l'article 25 qui prévoit que le texte que nous examinons a vocation à coexister avec l'accord par échange de lettres des 7 et 8 mars 2013.

Cet accord détermine le régime juridique des militaires déployés dans le cadre de l'opération Barkhane. Il prévoit un statut beaucoup plus souple et protecteur que celui de l'accord de coopération : il n'est pas réciproque, il exclut le partage de juridiction avec l'Etat malien, il réduit au minimum les formalités d'entrée sur le territoire, prévoit des possibilités de survol et de déplacement très supérieures, etc. En bref, cet accord donne à l'armée française la flexibilité nécessaire à la conduite d'opérations de guerre.

L'accord que nous examinons ne se substitue pas à ce régime, puisqu'il concerne les activités de coopération et pas l'opération Barkhane. En revanche, l'article 25 prévoit que, à la demande de la France, les personnels mobilisés dans le cadre des actions de coopération pourront se voir appliquer le régime juridique de Barkhane. Le but est de permettre, en cas de besoin, une montée en puissance du dispositif de Barkhane. Mais il ne s'agit pas d'une clause d'assistance puisque cet engagement n'a rien d'automatique.

En conclusion, que penser de ces accords ? Incontestablement, la philosophie qui les anime est la bonne. La France n'a ni les moyens, ni la vocation d'assurer la sécurité des pays africains à leur place. En revanche, elle a un rôle à jouer pour orienter et appuyer la réforme des forces armées et la montée en puissance d'une architecture africaine de paix.

De ce point de vue, les progrès paraissent parfois lents. Mais il ne faut pas pour autant en déduire que rien ne fonctionne. On observe de plus en plus une appropriation des enjeux de sécurité par les dirigeants africains. Des réponses africaines commencent à se mettre en place, souvent avec l'aide de la France. Je reviens dans mon rapport sur les exemples du G5 Sahel et de la stratégie maritime dans le Golfe de Guinée, qui sont plutôt prometteurs. La Conférence de Lomé, qui doit avoir lieu en octobre prochain, sera l'occasion de confirmer les progrès accomplis par les pays riverains du Golfe de Guinée dans la prise en compte des enjeux de sécurité maritime.

A l'évidence, tout cela prendra du temps. Mais c'est exactement la perspective des accords que nous examinons. Sans engager la France dans une assistance militaire dont elle n'aurait pas les moyens, ces accords ancrent notre partenariat avec le Mali et la Guinée dans la durée. Je suis donc tout à fait favorable à leur approbation. L'accord avec le Mali a été approuvé par le Sénat au mois de février, tandis que nous sommes la première assemblée saisie de l'accord avec la Guinée.

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