Intervention de Laure Bereni

Réunion du 1er juin 2016 à 14h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Laure Bereni, sociologue, chargée de recherche au CNRS, membre de l'équipe « Professions, réseaux, organisations » du Centre Maurice Halbwachs :

Vous nous demandez pourquoi le genre fait peur, pourquoi il suscite autant d'hostilité, de réactions vives, et pourquoi il faut maintenir ce terme et défendre ce concept.

Le genre fait peur car c'est un concept qui dénaturalise, qui désenchante sans doute, et qui ébranle des certitudes profondément enracinées dans les esprits, telle que l'idée selon laquelle il existe deux sexes biologiquement déterminés, que cette détermination biologique se traduit par une détermination sociale, et qu'il est donc naturel que les hommes occupent une position plus favorable que celle des femmes. Évidemment, ce diagnostic désessentialisant, dé-biologisant, dé-naturalisant, va introduire de l'incertitude. C'est la première raison de l'hostilité suscitée par la notion de genre : elle ouvre des perspectives inconnues et des potentialités pour l'avenir en termes d'identité de genre.

La deuxième raison pour laquelle la notion fait peur est plus prosaïque : elle remet en cause des positions de pouvoir, de domination, c'est assez clair. Si les études sur le genre ont fait l'objet d'attaques si virulentes pendant le débat sur le mariage pour tous, c'est parce qu'elles ont été mobilisées pour justifier une loi qui place sur le même plan les couples de même sexe et les couples de sexe différent. Les savoirs scientifiques fondaient une mesure politique venant remettre en cause la hiérarchie entre hétérosexualité et homosexualité, entre les bonnes familles et les mauvaises familles.

Les études sur le genre démontrent que l'hétérosexualité est un système social, et que dans l'histoire, l'espace et le temps, on trouve des systèmes très différents. Il serait ethnocentrique de penser que l'hétérosexualité est une chose naturelle. De même, la famille nucléaire est une invention occidentale du XIXe siècle, née plus précisément dans les familles bourgeoises. La famille nucléaire n'a pas toujours existé, et d'autres formes de composition familiale ont toujours été présentes.

De même, le fait de qualifier comme sexistes ou relevant du harcèlement ou de l'agression sexuelle certains comportements qui apparaissaient jusque-là comme normaux, ou de l'ordre de la séduction, va remettre en cause des positions de pouvoir. Il est normal que ça déplaise.

Dans toute bataille politique, il y a des adversaires. C'est pourquoi il faut continuer de défendre le terme de genre tout en essayant d'éteindre certains fantasmes, à l'instar de l'idée selon laquelle il s'agit de théories importées d'outre-Atlantique, entretenue par l'utilisation du terme gender. Il faut utiliser le terme de « genre », en français, qui est très utilisé dans le champ de la recherche en France.

Ce n'est pas du tout un concept importé de l'étranger : le mot genre est certes la traduction de l'anglais gender, mais il est venu requalifier des savoirs et des perspectives théoriques et empiriques qui existaient déjà en France depuis les années 1970, sous le nom de recherches féministes et sur les femmes, recherches sur les rapports de sexe ou recherches sur la domination masculine. Le terme de genre est simplement venu requalifier dans les années 2000 un champ de recherche extrêmement dynamique et pluriel, qui s'est structuré pendant plusieurs décennies, y compris en France. Il faut donc rétablir la vérité et éviter d'entretenir l'idée que ces perspectives viendraient des États-Unis. Elles ont aussi une histoire française, même si le champ des études sur le genre, comme tous les domaines scientifiques, se nourrit des échanges internationaux : nous dialoguons évidemment avec nos collègues anglophones, c'est la moindre des choses.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion