Monsieur le président, si j'ai bien compris, vous faites long dans votre propos introductif, et vous me demandez de faire court dans le mien. Je répondrai aux questions que vous venez d'évoquer, et, bien entendu, je le ferai en étant libre de mon propre propos, parce que je tiens à rendre compte de l'activité des services qui sont sous ma responsabilité avec un esprit qui n'est pas tout à fait le vôtre. Vous partez en effet du principe qu'il y a des failles, et que vous estimez que votre commission doit le démontrer. Moi je pars du principe que seule la vérité compte – et j'entends la dire devant votre commission. C'est de la vérité, c'est-à-dire des faits, que l'on déduit l'existence de failles, et non à partir de failles que l'on présuppose, que l'on doit ensuite articuler les faits.
Je m'assigne cette méthode, car j'ai sous ma responsabilité des services qui donnent le meilleur d'eux-mêmes, et que je lis sur les activités qu'ils conduisent des choses extrêmement approximatives. L'exercice qui consiste a priori à pointer des failles avant que l'on ait démontré leur existence est extraordinairement facile. Dans la responsabilité qui est la mienne, et compte tenu de la complexité du sujet que nous avons à traiter, je n'entends pas, parce que c'est mon honneur et celui de mes collaborateurs, les laisser mettre en cause sans les défendre lorsque ce qui est dit les concernant n'est pas juste.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je vais m'employer à répondre de façon extrêmement méticuleuse à tous les sujets que vous avez évoqués, ce qui me permettra de remettre un certain nombre de faits à leur place.
J'ai déjà eu l'occasion, en me présentant une première fois devant les membres de votre commission d'enquête, le 7 mars dernier, de vous dire qu'il me semblait à la fois tout à fait normal et absolument sain et nécessaire que le Parlement puisse examiner dans le détail l'action menée par les pouvoirs publics face aux sanglants attentats de janvier et novembre 2015 tant dans l'urgence, que dans l'histoire de l'antiterrorisme.
Il y aurait en effet une certaine naïveté à considérer que ce que font les services aujourd'hui ne résulte que des décisions prises à partir de 2012. Ils sont impactés par des décisions qui s'inscrivent dans le temps long de l'histoire de l'antiterrorisme, et qui ont été prises par tous les gouvernements, quelle que soit leur sensibilité politique, ce qui doit appeler chacun à l'humilité.
Je veux donc remercier à nouveau les membres de la commission d'enquête pour les travaux importants qu'ils conduisent, et leur dire le respect que ces travaux nous inspirent. Je souhaite y contribuer pour ma part de façon aussi utile que possible, et c'est dans cet esprit que j'ai remis ce matin même à votre rapporteur, le document de synthèse que les services du ministère de l'intérieur ont consacré à leur « retour d'expérience » à la suite des attentats des mois de janvier et novembre 2015.
La première audition à laquelle vous avez bien voulu me convier nous avait déjà permis, me semble-t-il, d'éclaircir un certain nombre de points concernant des sujets extrêmement importants pour la protection des Français face au risque terroriste. Je pense, en particulier, à la coordination générale des moyens engagés en cas d'attentat, aux procédures d'enquête, à l'organisation des opérations de secours aux victimes, ou encore à la mobilisation des forces d'intervention.
Ce dernier sujet a du reste évolué depuis lors, puisque j'ai présenté le 19 avril dernier, comme vous le savez, un nouveau schéma d'intervention des forces spécialisées en cas d'attaque terroriste. Il a pour objectif de garantir la cohérence et l'unité des forces, et, surtout, de permettre une intervention plus rapide, en tout point du territoire, en cas de tuerie de masse. C'est pourquoi ce schéma prévoit en particulier la création de nouvelles antennes du RAID et du GIGN permettant d'assurer une couverture optimale de notre territoire.
À la suite de ma première audition, vous avez également, comme cela était prévu, interrogé plusieurs responsables des forces de sécurité. Vous connaissez le sang-froid et le professionnalisme avec lesquels ils ont réagi face aux épreuves exceptionnelles que notre pays a connues. Je vous remercie de leur avoir rendu hommage. Au coeur de la tragédie, avec les femmes et les hommes placés sous leurs ordres, ils ont accompli leur mission avec un sens du devoir qui m'inspire une très grande gratitude et, pour ce qui me concerne, un immense respect. Je ne doute pas que les échanges qu'ils ont eus avec les membres de votre commission d'enquête auront été placés sous le signe des mêmes sentiments, et qu'ils auront contribué eux aussi à éclairer votre réflexion.
J'en viens au sujet sur lequel vous avez souhaité m'entendre de nouveau : la politique du renseignement. Elle constitue un autre volet fondamental de la politique globale de notre pays pour lutter avec efficacité contre la menace terroriste. À nouveau, il est essentiel que le Parlement soit pleinement informé des orientations retenues par le Gouvernement dans ce domaine.
Certes, à l'évidence, certaines informations particulières concernant telle ou telle opération, ou la mise en oeuvre de telle ou telle technique, ne peuvent être publiquement discutées sans que nous courions le risque de perdre en efficacité, voire de faciliter les projets de nos adversaires. Mais ce principe de discrétion ne saurait être invoqué pour vous empêcher d'examiner les objectifs que poursuit notre politique du renseignement, les méthodes qu'elle emploie, et les moyens sur lesquels elle s'appuie. Le grand débat qui a précédé l'adoption de la loi du 24 juillet 2015 relative à notre politique publique du renseignement a ainsi déjà permis d'engager au sein du Parlement des discussions extrêmement riches et utiles.
Avant d'en venir aux mesures que le Gouvernement a adoptées pour permettre à nos services de renseignement de répondre au nouvel état de la menace terroriste, je voudrais vous faire part de deux réflexions préalables qui ont trait l'une et l'autre à l'efficacité qui est prêtée ou non à nos services. Ce sera une manière de répondre aux questions que vous avez posées.
D'abord, il me semble parfois que les questions de renseignement suscitent, plus que d'autres, des jugements à l'emporte-pièce fondés sur des informations tronquées, souvent mal interprétées, et des approximations que l'on a d'autant plus intérêt à évoquer que l'on sait qu'elles recueilleront toujours un écho maximal dans la presse.
Ainsi, lorsqu'un attentat se produit, la première question que se posent de nombreux observateurs avant même que les conditions de cet attentat n'aient été déterminées est : « Où est la faille des services ? »
Pour en rester aux faits, les attentats de novembre 2015 ont résulté d'une action terroriste coordonnée, d'après les premières informations dont nous disposons, par Abdelhamid Abaaoud, qui était belgo-marocain – il n'avait donc pas la nationalité française –, et qui ne résidait pas en France – il vivait en Syrie. Cet individu a pris pour complices des personnes dont la plupart étaient, elles aussi, belgo-marocaines. Certaines évoluaient à proximité de lui en Syrie ; elles sont arrivées en Europe par l'île de Leros, en Grèce, où leurs empreintes ont été prises sous de fausses identités. Abdelhamid Abaaoud a également enrôlé des complices vivant en Belgique, cachés dans des appartements conspiratifs où ont été préparés les attentats. Enfin, il a également trouvé le concours de deux Français, Samy Amimour, qui était parti en Syrie en 2013 après avoir violé son contrôle judiciaire, ainsi que Omar Mostefaï. Ces deux Français sont revenus en Europe dans les mêmes conditions que les autres auteurs des attentats de novembre, en utilisant vraisemblablement de faux papiers, et en franchissant plusieurs frontières.
Je veux rappeler que la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) n'a pas pour mission d'enquêter sur des ressortissants étrangers opérant à l'étranger, tous ceux qui connaissent bien ces sujets le savent. Quant aux terroristes, y compris les Français Amimour et Mostefaï, qui ont traversé de nombreux pays de l'Union européenne avant de perpétrer leurs crimes en France, je confirme solennellement devant votre commission d'enquête qu'aucun service de renseignement, ni aucun service de police des pays en question ne les a signalés. Les services américains, eux non plus, ne les ont pas identifiés lorsqu'ils ont traversé l'Europe centrale, bien qu'ils disposent de moyens très puissants qui justifient de la qualité de notre coopération avec eux.
Il est donc pour le moins réducteur d'imputer aux services de sécurité intérieure français, et à eux seuls, un défaut de vigilance ou de clairvoyance, compte tenu de la complexité de ce qui s'est passé et que je viens de relater. À bien des égards, c'est l'absence d'un système d'alerte européen et d'une coordination efficace des services européens, j'y reviendrai tout à l'heure, qui a été mise en évidence en novembre dernier, et qui appelle des réactions extrêmement fortes et des initiatives efficaces dont la France…