Intervention de Pierre Lellouche

Réunion du 2 juin 2016 à 9h00
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lellouche :

Si Amimour a été placé sous contrôle judiciaire en octobre, il est parti l'année suivante en Syrie. Le ministère de l'intérieur sait-il comment il est parti ? La chronologie n'ôte rien à la pertinence de la question que je posais sur cette personne qui relevait de la surveillance de vos services.

Dans la mesure où il y a eu une certaine tension au début de la réunion ce matin, je tiens à dire que ce ne sont pas du tout des querelles partisanes qui nous animent au sein de cette Commission. Nous cherchons à assurer à nos concitoyens une sécurité sinon totale du moins maximale, en tirant les leçons des événements, sans a priori politique. Je suis de ceux qui ont demandé que les travaux soient à huis clos, de façon que nous puissions parler sans détour avec les décideurs et qu'il n'y ait pas de grand exposé sur qui a été responsable de quoi. Cette audition est publique et vous avez tout à fait le droit de parler quarante minutes ; vous êtes d'ailleurs sans doute dans votre rôle en faisant cela.

Vous avez indiquez que vous ne partiez pas des failles mais des faits. Quand un attentat terroriste fait 150 morts, c'est un échec. Quand le crime a été commis, le système a été défaillant. La gageure, en matière terroriste, consiste à défaire les attentats avant qu'ils se produisent. Il ne s'agit pas pour nous de remettre en cause la qualité et le dévouement des hommes, car nous avons au contraire de la gratitude et du respect pour tous ceux qui servent notre pays, mais, face à 147 morts, onze attaques contre la France en 2015, on est en droit de se demander ce qui ne va pas. Vous étiez sur la défensive, pointant du doigt les Européens ou la réforme des RG de 2008.

Nous savons qu'il existe deux formes d'attaques contre notre pays : il y a, d'une part, des gens qui se radicalisent tout seuls, soit en prison soit devant leur écran, et vont poignarder un soldat ou un policier – c'est typiquement le genre de choses qui se produisent aussi en Israël et sont très difficiles à prévenir – et, d'autre part, des opérations complexes téléguidées par des cerveaux à Mossoul, à Raqqah, dans les Émirats ou en Arabie saoudite, avec des artificiers quelque part en Belgique ou ailleurs et la piétaille des soldats qui commettent les attentats en France. Il faut que les services français soient capables de travailler ensemble et avec leurs homologues européens.

On sait que quelque 5 000 Russes sont aujourd'hui en Syrie, des Tchétchènes, et il y a des Tchétchènes en France aussi. Quelque 5 000 citoyens européens se trouvent en Syrie ou en Irak, dont au minimum 1 600 Français. Invoquer le fait que nos services ne peuvent surveiller des citoyens non français n'est pas une bonne réponse ; il faut être capable de travailler sur l'ensemble du spectre, en sachant que plus nous serons efficaces à Raqqah ou Mossoul au plan militaire, plus nous risquons de voir revenir ces gens en grand nombre.

Hier, j'ai rapporté, à ma demande, une convention sur l'agence de Strasbourg qui gère Eurodac, VIS, Schengen, SIS 2, et devra gérer tous les autres systèmes qui vont théoriquement arriver. Cela ne fonctionne pas. Nous donnons nos fiches S au système Schengen mais les autres, à commencer par les Belges, ne le font pas. Un Big Bang européen doit avoir lieu. Cela dépend de la volonté politique du Gouvernement français. Il est entré, sans contrôle, 1,8 million de personnes en Europe l'an dernier, dont des terroristes qui ont frappé en France. Les systèmes de contrôle ne fonctionnent pas. Il faut, je vous rejoins, des contrôles biométriques. Tout est à faire mais nous sommes au point mort au plan européen. Cela fait des mois que j'entends dire qu'il y aura Frontex ou que SIS 2 va être renforcé, mais rien ne se passe. Il a fallu cinq ans pour mettre le PNR en place. À ce rythme, nous subirons de nombreux autres attentats.

En dehors du fait que la coordination européenne doit progresser, des questions se posent aussi sur le fonctionnement interne de nos services, à la suite d'affaires concernant des citoyens français, tels que Coulibaly ou les frères Kouachi, des gens radicalisés en prison, qui ont été écoutés et dont les écoutes ont été interrompues. Avez-vous les moyens d'écouter les gens ? Pourquoi les écoutes des frères Kouachi ont-elles été interrompues ? Si ces écoutes ne donnaient rien, s'est-on demandé si c'était parce qu'ils utilisaient d'autres moyens de communication ?

Ce ne sont pas des critiques politiques, mais je suis inquiet devant l'ampleur du problème, le nombre de gens concernés, les dispositifs inexistants en Europe et les moyens que je trouve perfectibles du côté français.

Il se pose aussi la question des opérations : comment utiliser la force, qui doit l'utiliser… Est-il raisonnable de demander aux militaires de faire un travail de police ?

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