Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 2 juin 2016 à 9h00
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur :

Je suis très soucieux de dire la vérité aux Français. Quel que soit le gouvernement et quelque dispositif qu'il mette en oeuvre, il ne pourra garantir, en France ou ailleurs en Europe, qu'on ne peut entrer dans une capitale avec des armes. À moins d'instaurer un contrôle généralisé, cela pourra toujours arriver. Il est important d'expliquer rigoureusement et précisément toutes les dispositions prises pour éviter que cela ne se produise mais, pour ma part, je ne prétendrai jamais, ni devant votre commission ni devant les Français, que les meilleures précautions nous apporteront cette garantie. La liberté de circulation qui règne en France et en Europe n'empêche pas de contrôler des véhicules susceptibles de contenir des armes mais, à moins de contrôler en permanence tous les véhicules sur tous les axes routiers et dans toutes les rues des capitales, je ne vois pas comment garantir que de tels événements ne se reproduiront pas.

Nous pouvons lutter résolument contre le trafic d'armes pour qu'il n'y ait aucune arme dans les véhicules circulant dans les capitales d'Europe ; nous nous y employons et vous savez que j'ai engagé un combat au sein de l'Union européenne pour la modification de la directive 91477 relative au trafic d'armes. Nous pouvons également nous mobiliser pour que nos forces de sécurité soient rééquipées, dotées de moyens modernes qui leur permettent de réagir en cas de tueries de masse ; c'est notre devoir de le faire, et nous le faisons. Nous pouvons aussi développer nos moyens de renseignement de manière à mieux connaître la réalité des intentions de ceux qui entrent sur le territoire de l'Union européenne avec des objectifs criminels, même si nous sommes confrontés – la vérité m'oblige à le dire – au chiffrement des messages, problème considérable pour tous les services de renseignement.

Mais je ne peux affirmer que les événements que nous avons connus ne pourront plus se produire en France ou dans d'autres pays européens. Je ne veux pas mentir aux Français, et je suis peut-être le mieux placé pour savoir qu'il peut y avoir d'autres attaques en dépit de l'activité très intense des services et des dispositions que nous prenons. Nous sommes face à des groupes barbares, déterminés, qui veulent nous livrer une guerre à tout prix et sont prêts à utiliser tous les moyens de la dissimulation pour y parvenir, en France et ailleurs. Le principe de réalité, de lucidité, d'humilité me conduit donc à dire que nous devons tendre à ce que vous demandez, nous devons faire le maximum d'efforts pour y parvenir, mais je ne peux rien garantir devant cette commission : le faire serait mentir et prendre le risque d'être démenti ultérieurement par les faits.

Je reviens sur le dispositif que nous avons arrêté. Mon objectif est de faire en sorte, dès lors que des tueries de masse sont possibles, que l'État soit organisé pour pouvoir intervenir dans les délais les plus brefs afin que le maximum de vies soit épargné. Nous n'étions pas en situation de le faire, pour plusieurs raisons. D'abord du fait d'un sous-équipement des PSIG et des brigades anticriminalité, dont nous avons vu le 13 novembre qu'elles sont parfois les premières en mesure d'agir – vous avez souligné à juste titre le courage des policiers de la BAC. J'ai donc pris des mesures en ce sens. Mais j'ai constaté au cours des derniers mois, notamment après l'affaire de l'Île-Saint-Denis et la très grave blessure dont a été victime le policier Yann Saillour de la BAC de Saint-Denis, que les décisions que j'avais prises de rééquiper ces BAC et ces PSIG, en changeant leurs moyens de protection, leurs casques, leurs armes, en les dotant de véhicules neufs, en permettant l'embarquement du HK G36, qui s'inscrivaient dans des procédures budgétaires classiques, impliquaient des délais trop longs. Nous avons donc décidé de mettre en place des procédures d'urgence pour que toutes les BAC et tous les PSIG soient équipés des nouveaux matériels avant la fin de ce mois de juin – la plupart le sont d'ores et déjà. Sans ces équipements, les primo-arrivants n'étaient pas en situation de faire le travail.

Je vous raconte une anecdote qui m'a beaucoup marqué et qui m'a poussé à tout accélérer en matière d'équipement des BAC et des PSIG. Lorsque je me suis rendu au chevet de Yann Saillour, j'ai vu un de ses collègues, qui avait un gilet pare-balles dans un état effrayant. Il m'a dit : « Monsieur le ministre, ce gilet ne me protège de rien, mais je le mets quand même car il est la seule garantie, s'il m'arrive quelque chose, que mon épouse pourra bénéficier de tout l'accompagnement social prévu et percevoir ma pension. » Quand vous êtes ministre de l'intérieur, que vous entendez cela, que vous voyez le niveau de sous-équipement des BAC et des PSIG, fruit d'années de non-investissement, vous ne pouvez que décider d'agir très vite pour les rééquiper.

S'agissant des forces d'intervention spécialisées, nous avons procédé à deux changements. Pour faire face à une tuerie de masse, il faut un réseau dense de forces spécialisées qui permette d'intervenir rapidement sur la totalité du territoire national. Il y avait vingt-deux unités d'intervention spécialisées : j'ai décidé d'en créer sept supplémentaires – quatre de la gendarmerie et trois de la police nationale – pour qu'avec les 750 unités d'intervention intermédiaire, c'est-à-dire les BAC et les PSIG, l'ensemble du territoire national soit couvert. C'est grâce à l'augmentation des effectifs que nous avons pu prendre une telle mesure. J'ai proposé d'autre part que ce soit la force la plus proche du territoire où se produit la tuerie de masse qui intervienne. Il y a eu sur ce point un débat, qui résulte d'une incompréhension totale du dispositif. Vous avez remarqué que j'ai placé des antennes du GIGN en zone police et des antennes du RAID en zone gendarmerie. L'idée est non pas d'organiser une compétition entre la BRI, le GIGN et le RAID mais de faire en sorte que la force la plus proche du lieu concerné intervienne ; il s'agit donc d'une clarification et non d'une mise en concurrence, comme j'ai pu le lire. L'objectif est d'avoir plus de forces, mieux réparties sur le territoire national, avec des règles d'engagement, sous l'autorité des préfets de zone, qui permettent de faire travailler les forces ensemble en évitant toute concurrence.

Il est un troisième sujet que j'ai souhaité traiter. Pierre Lellouche évoquait la guerre des polices… Je n'ai aucune naïveté et je sais que, malgré toute l'énergie que je déploie pour que cette réalité appartienne au passé, nombreux seront mes successeurs qui auront encore à lire des articles sur ce sujet. Cela fait partie de la culture d'une maison et, malgré de grandes améliorations, la maison s'emploiera à garder un peu de ce travers pour ne pas cesser d'être elle-même. Peut-être faudra-t-il des générations de ministres de l'intérieur pour parvenir à changer tout cela. Soyons humbles. Qu'ai-je proposé aux forces ? Toutes ont des compétences éminentes, mais dans certains secteurs précis certaines ont des compétences que n'ont pas les autres – je ne m'étendrai pas plus sur la question dans le cadre d'une audition publique, mais je peux communiquer ces éléments à la commission d'enquête, sous réserve qu'ils ne soient pas publiés pour ne pas compromettre l'efficacité de nos forces. J'ai donc demandé une analyse sectorielle et segmentaire de ces compétences, de manière que, notamment sur le territoire de Paris, une force puisse intervenir plutôt qu'une autre si elle dispose de la compétence requise pour garantir l'efficacité de l'intervention. J'ai également souhaité que nous puissions, en cas de tueries de masse et d'attentats multisites, engager toutes les forces indépendamment de leurs compétences géographiques, à Paris notamment, pour éviter des morts, et empêcher les auteurs des crimes de repartir. C'était l'objet de l'opération que nous avons menée gare Montparnasse. Voilà, très précisément et très concrètement, ce que nous faisons.

Pourquoi ne l'avons-nous pas fait auparavant ? Parce que nous avions jusqu'à présent procédé à des recrutements et des allocations de moyens budgétaires dans le cadre des procédures budgétaires de droit commun. Or je ne pouvais pas répartir sur le territoire national des effectifs que je n'avais pas. Ce sont les décisions de janvier 2015 de rehaussement significatif de nos effectifs, à hauteur de 1 500 postes, et les crédits débloqués qui m'ont permis de prendre, dans des délais très courts, des mesures indispensables pour lutter efficacement contre le terroriste. Il est faux de dire que ces décisions sont le résultat d'une réaction de l'exécutif aux attentats de novembre. Si en janvier 2015, et dès 2012 sur certains points, le Gouvernement n'avait pas pris la décision d'augmenter significativement les moyens des services de police et de renseignement, je ne serais pas aujourd'hui en situation d'organiser les choses comme je viens de les décrire.

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