Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 2 juin 2016 à 9h00
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur :

Tout d'abord, le niveau de la menace reste extrêmement élevé, compte tenu du fait que 2 000 de nos ressortissants sont, de près ou de loin, concernés par les activités des groupes terroristes en Irak et en Syrie – 1 000 s'y sont rendus, dont certains sont morts et d'autres sont revenus. Par conséquent, le niveau de la menace terroriste est plus élevé qu'il ne l'a jamais été. Par ailleurs, ceux qui cherchent à nous frapper utilisent des moyens de dissimulation permis par une technologie qui a conduit les gouvernements de l'Union européenne à adapter les moyens des services de renseignement mais qui complique aussi considérablement le travail de ces services. Je pense à l'utilisation de faux documents et de moyens cryptés, à la dissimulation par le chiffrement des échanges et des conversations en vue de la commission d'actes terroristes, à l'utilisation de multiples puces ou de téléphones prépayés, à la possibilité de diffuser sur internet une propagande bien faite qui marque les esprits. Tout cela contribue à ce que la menace soit élevée. En outre, l'efficacité des frappes en Syrie peut conduire ceux qui sont frappés à vouloir intensifier leurs attentats.

Cette menace plus élevée que jamais mobilise entièrement le ministère de l'intérieur. Cela me conduit parfois à rappeler chacun à ses responsabilités lorsque des commentaires sont faits sur les forces de sécurité, par exemple dans le cadre des conflits sociaux actuels. Je souhaite que les forces de sécurité soient irréprochables, et aucun acte qui pose problème n'est laissé sans suite, mais je n'accepte pas pour autant qu'elles soient l'objet de campagnes. Mises à rude épreuve, elles font, avec les services de renseignement, un travail considérable pour assurer la sécurité des Français. Ce sont les mêmes forces qui protègent les édifices publics et, parfois, sont chargées du maintien de l'ordre ; n'étant pas extensibles à l'infini, nos effectifs sont l'objet d'énormément de sollicitations. Dans ce contexte, j'essaierai toujours de faire prévaloir les principes de sagesse et de responsabilité sur l'outrance. Cela me conduit à être extrêmement rigoureux sur chaque sujet. S'il y a des manquements parmi les forces de sécurité, il faut prendre toutes les dispositions, et l'inspection générale de la police nationale (IGPN) fait un travail remarquable, mais les manquements de quelques-uns ne doivent pas conduire à des campagnes qui nuisent à la réputation de tous les autres, qui sont en première ligne. C'est très injuste, et tout à fait irresponsable. Là aussi, la vérité doit conduire à convoquer d'autres arguments et développer d'autres discours.

L'Euro se rapproche. Si, sous le prétexte que la menace est élevée, nous y cédons en cessant d'être nous-mêmes, alors nous organisons la victoire des terroristes. Aucun gouvernement ayant la passion de la France et de la République ne le ferait, qu'il soit de droite ou de gauche. Mais, dès lors que nous prenons la décision de rester nous-mêmes, il faut bien entendu que nous prenions toutes les précautions. Les « fan zones » sont sécurisées par une mobilisation exceptionnelle de nos services dans un contexte où ils sont déjà très sollicités. Cela implique chaque maire de chaque ville, et l'ensemble des maires, regroupés dans une association présidée par Alain Juppé. Je dois présenter avec lui la semaine prochaine, devant la commission des lois, les dispositions que nous avons prises en vue de la sécurisation de l'Euro 2016. Sachez que des forces significatives seront mobilisées – près de 90 000, incluant d'ailleurs les agents de sécurité privée. Les clauses contractuelles sur lesquelles la France s'est engagée en 2009 seront scrupuleusement respectées. À ces engagements de notre pays devant les instances du football s'ajoutent des précautions supplémentaires que nous avons prises compte tenu du contexte. Je détaillerai devant la commission des lois la répartition de ces 90 000 personnes entre les unités de forces mobiles et le reste de la sécurité publique, entre sécurité publique et sécurité privée. Je reviendrai sur la répartition des compétences entre les stades, les fans zones et le reste des espaces, sur lesquels s'exerce une compétence spécifique de chaque organisation et de chaque structure.

En ce qui concerne les agents de sécurité privée, notamment pour l'Euro, 100 % de précautions sont prises pour veiller à l'efficacité du dispositif et éviter son contournement. Cela garantit l'efficacité de notre action, qui a mobilisé beaucoup de moyens et beaucoup de services au sein du ministère de l'intérieur.

Comment les forces sont-elles réparties dans le sud de la France, madame Le Dain ? Je vous remets, ainsi qu'au président et au rapporteur, une carte précise de la répartition des forces sur le territoire national. Vous aurez ainsi une réponse détaillée.

Monsieur Lellouche, je pense que l'efficacité de notre action de lutte contre le terrorisme dépend de notre capacité à faire en sorte que le ministère de l'intérieur soit le ministère de la sécurité mais aussi celui de l'État. J'entends par là : le ministère de l'organisation territoriale de l'État et de ce qui exerce une autorité sur elle dans les territoires, par conséquent le ministère des préfets. Ceux-ci sont fortement mobilisés sur les enjeux de la lutte antiterroriste, tout comme les administrations des préfectures. Je prendrai des exemples très concrets : les services des préfectures qui assurent le contrôle des armes ou sont chargés de la lutte contre la fraude à l'identité sont absolument stratégiques pour la lutte antiterroriste. Le périmètre du ministère de l'intérieur peut être l'objet d'une réflexion politique, intellectuelle, au cours des prochaines années, mais, si on me demande mon avis au moment où je quitterai mes fonctions, je préconiserai surtout que le ministère de l'intérieur soit non pas simplement celui de la sécurité mais celui de l'État, en incluant la dimension sécurité des missions du ministère de l'intérieur. L'articulation entre la place Beauvau, les préfets, les territoires et l'administration territoriale est déterminante pour le succès de la lutte antiterroriste, y compris en matière de sécurité civile. Les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), les militaires de Nogent-le-Rotrou, tout cela doit rester entre les mains du ministère de l'intérieur, avec un souci d'efficacité absolue. Par ailleurs, je tiens beaucoup à ce que le ministère de l'intérieur reste celui des valeurs et des libertés publiques. Notre action en matière de sécurité doit être constamment guidée par le souci des libertés publiques.

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