L'essentiel a été dit, et les règles posées par la CNIL se retrouvent dans la jurisprudence car elles sont appliquées par la chambre sociale de la Cour de cassation. Cette dernière se comporte en effet en excellent élève puisque les décisions qu'elles rendent reprennent quasiment mot pour mot celles de la CNIL.
Le salarié concerné peut-il s'opposer à la mise en place d'un système de vidéosurveillance ? Non. On considère que la surveillance fait partie du pouvoir de contrôle de l'employeur et que, dans l'exercice de ce pouvoir de contrôle, il est fondé à imposer aux salariés le fait d'être filmé, sous réserve des principes de finalité, de proportionnalité – les juristes parlent parfois de « principe de loyauté » car il s'agit d'éviter qu'un enregistrement serve à d'autres fins que celles pour lesquelles il a été déclaré –, et de transparence. Les salariés doivent être informés non seulement de l'existence du dispositif, mais aussi de sa finalité. Les institutions représentatives du personnel doivent être informées et consultées lors de sa mise en place – le comité d'entreprise dans les entreprises de plus de cinquante salariés, et le ou les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHCST). Le salarié ne peut pas s'opposer à la vidéosurveillance : les quelques petits litiges marginaux dans lesquels des salariés invoquaient leur droit à l'image ont fait long feu.
Il faut aussi évoquer le cas de l'employeur. Nous sommes partis d'une hypothèse classique et bien connue selon laquelle un employeur, dans l'exercice spontané de son pouvoir de contrôle, souhaite mettre en place un système de vidéosurveillance. Il doit dès lors déclarer le dispositif à la CNIL et est tenu à un certain nombre d'obligations et de règles. Mais il me semble que la question posée en l'espèce est un peu différente et un peu plus complexe, car il s'agit d'imposer à l'employeur d'installer des caméras dans l'établissement d'abattage dont il est propriétaire.
Je pense que, par la loi ou le règlement, il est possible de l'obliger à agir ès qualités d'employeur : il est déjà soumis à un certain nombre d'impératifs d'intérêt général auxquels on peut aujourd'hui considérer que la protection des animaux se rattache. Si l'on pouvait encore en douter jusqu'à l'année dernière, l'introduction de l'amendement Glavany dans la loi du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures l'a confirmé en modifiant le code civil qui précise désormais, dans son article 515-14 que les animaux sont « doués de sensibilité ».
J'ai en revanche une toute petite hésitation lorsque je considère non plus l'employeur, mais le propriétaire de l'abattoir, même si je pense que l'impératif d'intérêt général resterait un élément suffisant pour l'obliger à agir. L'exploitant d'un abattoir en est généralement le propriétaire, et il n'est pas évident d'imposer à un propriétaire d'installer, dans l'enceinte d'un lieu dans lequel il est souverain, des dispositifs qui n'auraient pas son agrément. Voilà pourquoi, telle qu'elle est assurée par les instances juridiques de notre pays, la protection du droit de propriété qui a valeur constitutionnelle pourrait nous faire émettre une petite réserve sur la possibilité d'imposer, non à l'employeur ès qualités, mais au propriétaire des locaux, l'installation d'un système de vidéosurveillance.