L'essentiel a été dit, et bien dit. La question de la vidéosurveillance, comme d'autres techniques, nous place au coeur d'une dialectique bien connue entre, d'un côté, les pouvoirs de l'employeur qui peut légitimement contrôler l'activité de ses salariés, et, de l'autre, le respect des droits des salariés, notamment de leur vie privée.
Si l'on se pose, de façon générale, la question de principe de savoir si l'employeur peut surveiller ses salariés, la réponse est évidemment affirmative. Il peut le faire, mais pas à n'importe quelles conditions, car il doit satisfaire à plusieurs exigences. L'exigence de transparence se décline aux plans individuel et collectif, avec la consultation des représentants du personnel. L'exigence de proportionnalité résulte d'un article phare du code du travail, l'article L.1121-1 ainsi rédigé : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. » L'employeur se trouve aussi dans l'obligation de déclarer à la CNIL les aspects techniques du dispositif, et le fait qu'il envisage par ce moyen de recueillir des données personnelles sur ses salariés, ce qui entre dans le champ d'application de la loi informatique et libertés.
Il faut aussi souligner que ces principes se déclinent de façon nuancée. Par essence, le principe de proportionnalité donne lieu à une appréciation. Cette dernière s'exprime en particulier par rapport à une finalité que l'employeur est supposé avoir clairement définie. Un certain nombre d'arrêts de la Cour de cassation portent sur des systèmes de vidéosurveillance qui visaient un objectif, mais qui ont été utilisés à d'autres fins. Je pense, par exemple, à un arrêt de février 2011 sur la validité des images d'un système de vidéosurveillance d'un bar, dont l'objet initial était d'assurer la sécurité des biens et des personnes, mais qui a finalement servi à montrer qu'un salarié omettait d'encaisser des consommations. À cette époque, la Cour de cassation ne paraissait pas très sensible au respect de la finalité initiale du dispositif, considérant que les salariés du bar avaient été préalablement informés de la mise en place de caméras – mais pas de ce à quoi, le cas échéant, elles pouvaient servir. Mais en 2012, la Cour a fait évoluer sa position. Elle se demandait si un dispositif de caméras pouvait être légalement accepté comme preuve des horaires de présence de salariés qui se rendaient chez un client extérieur ; or la vidéo n'a pas été admise comme preuve au motif que l'employeur n'avait jamais informé ses salariés que les caméras installées chez le client pouvaient servir au besoin à décompter leur temps de travail et à contrôler leur activité. Il faut aujourd'hui que la finalité annoncée corresponde à la finalité mise en oeuvre. La CNIL est très vigilante sur ce point : elle exige depuis longtemps que les finalités soient clairement exprimées.
L'enjeu est d'autant plus sensible que, d'un point de vue juridique, on peut distinguer deux types de vidéosurveillance : celle qui concerne les salariés, soumise au régime juridique que j'ai décrit avec ses exigences de transparence et de proportionnalité, mais aussi celle qui porte sur des lieux où ne se déroule pas l'activité des salariés – comme des lieux de stockage par exemple. Dans cette dernière catégorie de vidéosurveillance, les conditions que nous avons évoquées ne s'appliquent pas ; autrement dit, cela n'interdirait pas d'utiliser, le cas échéant, ces images pour sanctionner un salarié. Un arrêt relativement récent a permis qu'une vidéo provenant d'un dispositif de cette nature soit utilisée pour licencier un salarié qui avait été filmé en dehors de son temps de travail.
Les conditions très précises qui ont été présentées s'appliquent lorsque le système de vidéosurveillance filme des salariés ; il faut alors être extrêmement rigoureux sur la finalité déclarée. Elles ne s'appliquent pas aux dispositifs qui ne visent pas à filmer les salariés ou leur activité, mais qui servent principalement à surveiller des pièces, des matériaux, des biens, des phases du processus de traitement ou certains éléments des ateliers dans le cas des abattoirs, et qui dès lors échappent aux justifications précédemment évoquées.