Intervention de Guy-Michel Chauveau

Réunion du 28 juin 2016 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuy-Michel Chauveau, rapporteur :

Le projet de loi qui nous est soumis a pour objet d'autoriser la ratification d'un accord franco-britannique signé le 24 septembre 2015. C'est le premier accord franco-britannique que nous examinons après le vote du peuple britannique ce 23 juin et cela a bien sûr une portée. Mais c'est un accord bilatéral qui n'est pas, en tant que tel, conditionné par la position de la Grande-Bretagne par rapport à l'Union européenne, même si, évidemment, nous ne pouvons pas l'ignorer en arrière-fond.

Je voudrais aussi insister sur un autre point : c'est un accord qui va vers une plus grande intégration franco-britannique, et potentiellement européenne, dans un domaine où la coopération a fait des progrès, mais nous en souhaitons d'autres, celui des armements. Cet accord a déjà été ratifié en Grande-Bretagne et nous allons donc l'examiner moins d'un an après sa signature, ce qui est rapide vu les délais habituels de dépôt et d'examen des textes de ratification des accords internationaux. Cela montre l'intérêt prioritaire qu'y attachent les deux gouvernements.

Cet accord concerne l'entreprise MBDA et il n'aurait pas de sens si celle-ci ne représentait pas une belle réussite d'intégration entre des pays européens, car c'est pour permettre à cette intégration de se poursuivre sur le terrain qu'il a été conclu.

L'existence de MBDA résulte d'une volonté politique que l'on peut comparer à celle qui a conduit à la création d'Airbus. Il est issu de plusieurs fusions ou rachats, opérés entre 1996 et 2006, entre les branches « missiles » d'industriels européens de l'armement, tels qu'Aérospatiale, Matra, British Aerospace, Alenia, Marconi, etc. Cette entreprise emploie environ 10 000 salariés, dont près de 5 000 en France, compte tenu des recrutements en cours, près de 3 000 en Grande-Bretagne, près de 1 500 en Italie, plus de 1 000 en Allemagne et un petit nombre en Espagne et aux États-Unis. MBDA a aujourd'hui trois grands actionnaires : Airbus, BAe Systems, qui ont chacun 37,5 % des parts, et Finmeccanica, devenu récemment Leonardo, avec 25 % des parts.

Ce regroupement des industriels européens a permis de constituer une entreprise majeure du marché des missiles, qui est capable de concurrencer très efficacement les deux autres principaux acteurs mondiaux de ce marché, les américains Lockheed Martin et Raytheon. MBDA est aujourd'hui une entreprise dynamique. Ses commandes sont portées par de grands contrats de souveraineté – à titre d'exemple, les ventes de Rafale au Qatar et en Égypte représentent 3 milliards d'euros de commandes pour MBDA. Mais elles sont aussi portées par la capacité de l'entreprise à se trouver des clients dans le monde entier et à signer des contrats avec des pays moins attendus, par exemple récemment le Botswana. Depuis 2013, les commandes annuelles engrangées sont supérieures au chiffre d'affaires, ce qui est évidemment bon signe, et plusieurs centaines de recrutements sont en cours.

S'agissant du contexte, il faut également dire un mot de la coopération de défense franco-britannique. En effet l'accord que nous examinons ne serait pas possible si nos deux pays n'avaient pas développé, dans le cadre de cette coopération, un niveau exceptionnel de confiance mutuelle, de sorte qu'ils sont prêts à accepter des formes de limitation de souveraineté, bien sûr très encadrées, dans le cadre de l'accord que nous examinons.

La coopération franco-britannique a des racines anciennes, en particulier dans le domaine des armements, où elle a donné, dès les années 1960, des programmes comme le Jaguar. Elle a été relancée depuis les années 1990, notamment aux sommets de Saint-Malo, en 1998, et du Touquet, en 2003, puis a été dotée d'un cadre institutionnel solide par le traité de Lancaster House en 2010. L'accord que nous examinons renvoie, dans plusieurs de ses clauses, au traité de Lancaster House. Ce traité, je le rappelle, prévoit des développements dans trois domaines.

D'abord, en matière opérationnelle, il prévoit la mise en place d'une force expéditionnaire interarmées conjointe, ou Combined Joint Expeditionary Force, qui permettrait d'intervenir dans un cadre bilatéral, mais aussi multinational. Un exercice très important a eu lieu ce mois d'avril, auquel ont participé plus de 5 000 militaires, pour tester l'interopérabilité des forces des deux pays. Nous en sommes maintenant à la phase de décision politique sur le concept final de la force combinée, ses moyens, ses hypothèses d'emploi.

Le traité de Lancaster House et d'autres accords bilatéraux prévoient aussi une coopération dans des domaines tels que la formation des personnels et le soutien logistique, avec là-aussi des résultats concrets, notamment au moment de l'opération Serval.

Enfin, il y a la coopération en matière d'armements, qui concerne le secteur des missiles et MBDA, nous allons bien sûr y revenir, mais aussi, par exemple, le programme commun de développement de drones, ou encore, ce qui rend compte de la confiance mutuelle des deux pays, la modélisation des performances des têtes nucléaires.

J'en viens donc à l'accord lui-même. En préambule, je signale que, d'après les administrations que nous avons interrogées, il n'existe pas de précédent d'accord allant aussi loin dans le domaine de la coopération d'armement, que ce soit parmi ceux signés par la France ou ceux d'autres pays européens. Cet accord va plus loin que les accords classiques de coopération sur des programmes d'armement, ce qui le rend particulièrement intéressant.

L'objet de l'accord, présenté dans ses articles 2 et 3, est donc de définir les modalités de fonctionnement de ce qu'il nomme les « centres d'excellence » de l'entreprise MBDA, ce qui implique des engagements des deux États. L'objectif des centres d'excellence est en fait de permettre à des équipes françaises et britanniques des deux branches nationales de MBDA, MBDA-France et MBDA-UK, de travailler plus efficacement ensemble en dérogeant à certaines règles nationales propres aux industries de défense. Quatre centres d'excellence binationaux devraient à terme être créés, dans les domaines respectifs des algorithmes, logiciels, senseurs de navigation et charges militaires complexes. Ils associeront chaque fois des sites de recherche, de développement et de production à la fois français et britanniques de MBDA. Un millier de personnels de l'entreprise, dont environ 600 en France et 400 en Grande-Bretagne, pourraient à terme relever de ces centres.

Dans un premier temps, ce dispositif ne concerne que les branches française et britannique de MBDA, mais l'article 12 de l'accord indique que les deux États signataires acceptent que les centres d'excellence puissent être élargis à des États tiers, sous réserve de la conclusion de nouveaux accords intergouvernementaux à cette fin. C'est l'extension de la procédure aux autres pays européens d'implantation de MBDA, Italie, Allemagne et Espagne, qui est là envisagée.

Pour que les centres d'excellence de MBDA puissent fonctionner efficacement, dans une logique de rationalité industrielle, les deux États doivent accepter d'aménager pour ce cas précis certaines des règles de contrôle et de souveraineté habituelles en matière d'industries de défense. Ces engagements des deux États constituent le coeur de l'accord. Sans tous les développer, je vais mentionner les principaux.

L'article 7 porte sur les dispositions de sécurité qui s'appliqueront aux informations et technologies circulant dans les centres d'excellence, notamment en termes de classification. Il s'agit d'éviter que les restrictions de sécurité nationale n'entravent inutilement les nécessaires échanges d'informations. Pour ce faire, il est notamment prévu l'utilisation généralisée sur les documents classifiés d'un avertissement « Spécial FranceRoyaume-Uni » ou « For UKFrench Eyes Only », à la place des habituels « Spécial France » ou « For UK Eyes Only ».

L'article 8 traite des modalités de transfert entre les États signataires d'informations et de technologies développées et fabriquées par les centres d'excellence : un objectif de facilitation de ces transferts est posé, objectif à poursuivre par les « moyens les plus appropriés, y compris les licences globales ». Les « licences globales » sont l'une des procédures du dispositif national de contrôle des exportations de matériels de guerre. Cette procédure permet des transferts et exportations par un industriel vers une destination donnée et pour une durée donnée sans limitation et avoir à demander des autorisations au cas par cas.

L'article 9 concerne quant à lui les exportations vers des pays tiers des productions de MBDA issues pour tout ou partie des centres d'excellence. Il comprend des engagements de loyauté commerciale des deux pays. En effet, les exportations de matériels militaires étant soumises à un régime de licences nationales, on pourrait imaginer que le pays chargé d'autoriser l'exportation de missiles MBDA, c'est-à-dire le pays où ils sont finalisés avant expédition, soit tenté de bloquer un contrat à l'export pour favoriser une offre de ses industriels dont la part nationale serait plus élevée – étant rappelé que les missiles sont souvent un élément d'offres beaucoup plus importantes d'avions ou de navires. Le texte prohibe donc ce comportement, mais reconnaît en même temps, car les deux parties y sont attachées, le droit souverain des deux gouvernements de bloquer une exportation pour des motifs de politique étrangère ou de sécurité nationale. Pour concilier ces deux impératifs de loyauté commerciale et d'indépendance des politiques étrangères et éviter les problèmes, il est aussi prévu une procédure préalable d'établissement en commun de listes de clients potentiels pour les systèmes de missiles MBDA, de sorte qu'ensuite un éventuel refus de licence pour un client inscrit sur ces listes restera possible mais devra vraiment être solidement motivé.

L'article 10 traite du partage des fruits de la recherche et développement menée dans les centres d'excellence binationaux sous l'angle de la propriété intellectuelle. Le principe général sera l'accès libre, sans redevances, et égalitaire des deux pays à ces résultats.

Enfin, l'article 11 prend acte d'une réalité qui sous-tend l'accord : l'intégration transnationale dans une logique industrielle implique que les États acceptent que cela accroît leur interdépendance, que des choix de localisation industrielle peuvent être faits par l'entreprise dans une logique économique et qu'en conséquence certaines capacités industrielles ne seront plus présentes sur le territoire national de l'un ou l'autre.

Vous le voyez, c'est un accord complexe et avec des enjeux importants de souveraineté. C'est pourquoi il comprend aussi, à son article 5, un dispositif de gouvernance et de suivi étroit par les représentants des deux gouvernements, qui s'inscrit dans le système mis en place par le traité de Lancaster House. En pratique, ce suivi reposera principalement sur le délégué général pour l'armement et son homologue britannique. Les deux États conserveront donc la main.

L'accord appelle une dernière observation. Il est passé entre les deux gouvernements, mais, pour que le dispositif fonctionne, il faut aussi que l'entreprise MBDA joue le jeu. Il n'y a bien sûr pas de motif que cela ne soit pas le cas, puisque les centres d'excellence s'inscrivent dans une démarche d'efficience de l'entreprise. Mais cet état de fait a amené les rédacteurs de l'accord à y inclure des clauses que l'on dirait en droit civil de stipulation pour autrui ou de porte-fort, par lesquelles les deux gouvernements s'engagent à faire en sorte que respectivement MBDA-France et MBDA-UK rendent effectif l'accord. C'est pourquoi est jointe au projet de loi, à titre d'information du Parlement, une lettre d'engagements vis-à-vis des deux gouvernements signée de M. Antoine Bouvier, PDG de MBDA, et datée du 23 septembre 2015.

Au regard de tous ces éléments, je vous invite à approuver la ratification de l'accord qui nous est soumis. Il est nécessaire pour permettre à MBDA de poursuivre son intégration dans un souci d'efficacité économique et il rend compte de la confiance mutuelle franco-britannique et du développement de la coopération bilatérale de défense, indépendamment des autres contingences politiques. Notre coopération se poursuivre quelles que soient les évolutions.

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