La fibromyalgie est une pathologie aujourd'hui mal identifiable. Pour la décrire, je me fonderai ce matin sur deux sources documentaires : le rapport de l'Académie nationale de médecine publié en 2007 et le rapport d'orientation publié par la Haute Autorité de santé (HAS) en 2010. Je m'appuierai également sur d'autres publications et sur la fiche disponible sur « Orpha.net », site consacré aux maladies rares.
À vrai dire, la fibromyalgie n'est pas une maladie rare. Une maladie rare a, en effet, une prévalence – puisqu'il s'agit d'une affection de longue durée, nous parlons en effet de l'ensemble des cas que l'on peut rencontrer chaque année, et non seulement des nouveaux cas – qui oscille entre un, ou moins de un, à cinq individus pour 10 000 personnes. Or la fibromyalgie touche aujourd'hui entre 2 et 5 % de la population. Il ne saurait donc s'agir d'une maladie rare.
Outre ces éléments d'information, je dispose de mon expérience de médecin anesthésiste-réanimateur, d'ancien responsable – jusqu'en 2012 – d'un centre anti- douleur, de président de la commission médicale d'établissement et de chef du pôle d'anesthésie-réanimation du centre hospitalier universitaire (CHU) de Lille. Sur les 5 000 à 8 000 patients accueillis chaque année dans le centre anti-douleur dont j'avais la charge, quelque 10 % étaient atteints de fibromyalgie. J'ai donc une expérience de la prise en charge de cette maladie et de son accompagnement thérapeutique. Je suis également titulaire d'un diplôme universitaire ayant pour objet la douleur : à l'époque, il ne s'agissait pas encore de diplôme d'études spécialisées complémentaires (DESC). Ce sujet a été pour moi une préoccupation personnelle.
Si nous retenons d'abord l'approche clinique, nous dirons que la fibromyalgie touche d'abord les femmes. À Lille, elles représentent 90 % des consultations. Celles-ci font apparaître les notions d'épuisement, de surmenage et d'intensité de la vie, qu'elle soit professionnelle ou conjugale. L'anamnèse révèle parfois une histoire personnelle marquée par la maltraitance et la violence, la notion de viol n'étant pas absente des antécédents de ces patientes. On a le sentiment que, pour elles, l'épuisement physique et les douleurs musculaires vont au-delà du tolérable : la notion de surmenage professionnel (burn-out) est très présente.
Cela se retrouve dans la description de la pathologie. Elle associe un syndrome, c'est-à-dire une entité clinique qui n'est pas rattachée à une maladie, en l'occurrence un syndrome polyalgique, soit au niveau des articulations, soit au niveau des masses musculaires elles-mêmes, à des troubles fonctionnels variés, qu'il s'agisse de troubles du transit ou du sommeil, à des difficultés de concentration, à une incapacité à trouver le repos, en un mot à des difficultés de se régénérer.
Sur le plan du diagnostic en tant que tel, les médecins évoquent, en suivant la description et la reconnaissance de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), puis de la nosologie classique, dix-huit points de douleur musculaire ou articulaire spécifiques à rechercher. Dans la pratique clinique courante, il apparaît assez illusoire de vouloir retrouver une douleur systématisée sur tous ces points, faute de quoi l'on considérerait que la fibromyalgie n'est pas caractérisée. On ne retient donc guère la notion de seuils à analyser.
En réalité, ce qui est très important, c'est que le tableau dont j'ai parlé coïncide avec l'absence d'autres signes. Il s'agit d'une pathologie ou d'une situation syndromique où sont éliminées d'autres responsabilités, marquées, par exemple, par la notion d'inflammation. Dans la fibromyalgie, il n'y a pas d'inflammation. On ne retrouve pas d'éléments biologiques laissant penser que la personne concernée peut avoir une affection rhumatoïde.
J'évoque la phase initiale de prise en charge, car on considère qu'il faut de trois à six mois de syndromes polyalgiques continus pour reconnaître une fibromyalgie. Mais ils peuvent apparaître dans un contexte inflammatoire ou dans un contexte de maladie relevant de la médecine interne, dans la direction des polyarthrites rhumatoïdes ou des anticorps lupus. Le diagnostic de la fibromyalgie est donc aussi un diagnostic d'élimination des pathologies qui peuvent se présenter avec leurs classiques signes polyalgiques. Car l'hyperthyroïdie ou l'hypercalcémie peuvent aussi donner des anomalies de ce type-là. Le diagnostic peut donc être établi à partir de la recherche de marqueurs dont on considère qu'ils ne doivent pas être présents.
La prise en charge reprend les éléments essentiels de l'approche diagnostique et suit trois grandes orientations : vient d'abord la prise en charge pharmacologique, qui ne doit pas être isolée – il ne s'agit pas seulement de prescrire des antiépileptiques ou des antidépresseurs – ; ensuite, l'axe thérapeutique psychologique est très important, étant donné les traumatismes qui peuvent être à l'origine de la fibromyalgie, ou en tout cas présents dans son contexte d'expression ; enfin, la prise en charge physique peut passer par la balnéothérapie ou un accompagnement au retour à l'activité physique pour les personnes qui ont cessé d'en faire, voire qui se trouvent sérieusement handicapées – certaines viennent consulter en fauteuil roulant. La nomenclature de la prise en charge par l'assurance maladie ne reconnaît que des actes très classiques, mais ce n'est pas la kinésithérapie qui est nécessaire à ces patients. De même, la prise en charge psychologique n'est pas non plus remboursée, alors qu'elle apporte une importante contributive à l'action thérapeutique.
Si l'on revient à la pharmacologie, deux grands types de prise en charge existent aujourd'hui, soit par des antiépileptiques, tels que le Neurontin ou le Lyrica, spécialités qui n'ont pas nécessairement été développées pour ce type de prise en charge, soit par des antidépresseurs, la dépression faisant partie du tableau symptomatique ou du tableau réactionnel à cette symptomatologie polyalgique : on imagine assez aisément que le contexte dans lequel apparaît la fibromyalgie, associé ou alternant avec les conséquences d'une situation handicapante, amène à un tableau où l'anxiodépression est présente. Des molécules qui inhibent le recaptage de la sérotonine ou de la noradrénaline peuvent alors fournir un apport intéressant. Des antidépresseurs classiques comme l'Effexor, le Cymbalta ou l'Ixel sont donc proposés.
Il est très important que la patiente ou le patient adhère au traitement proposé. L'effet placebo est très important. Dans ce contexte, le fait d'adhérer à un traitement est essentiel pour que la thérapeutique fonctionne. Voilà quelques éléments de la prise en charge classique, tant sur le plan du diagnostic que sur le plan thérapeutique.
Mais il y a eu aussi des tentatives thérapeutiques, comme nous en avons testé à Lille. Dans ma spécialité, l'anesthésie-réanimation, on dispose d'antalgiques puissants. Laissons de côté la morphine qui, dans ce contexte, n'est pas vraiment adaptée ni très efficace. En revanche, la kétamine est un anesthésique de contact qui est à la fois sédatif, quoique pas trop fortement, et actif sur le plan périphérique. Des travaux ont montré qu'elle pouvait avoir un intérêt dans les douleurs dites neuropathiques, c'est-à-dire dans des douleurs qui ne sont pas des douleurs essentielles, telles que celles que l'on peut avoir à l'occasion d'un choc ou d'un traumatisme, mais qui sont des douleurs auto-entretenues. Il y a donc eu des tentatives de prise en charge par la kétamine. Mais elles ne sont pas très simples, car ces médicaments s'administrent par la voie parentérale, c'est-à-dire soit par une injection intraveineuse, soit par une injection intramusculaire. Ce n'est donc pas un traitement que l'on peut prendre de manière régulière. En revanche, lorsque l'efficacité a été constatée, elle l'est sur plusieurs mois : cette administration unique a des effets rémanents sur plusieurs mois.
Tels sont les éléments cliniques, biologiques et thérapeutiques relatifs à la fibromyalgie. Elle ne reste plus aussi marquée en termes d'errance de diagnostic qu'elle a pu l'être par le passé. Grâce aux centres anti-douleur, les personnes concernées trouvent plus vite une prise en charge. Ce mal comporte en effet un élément de stigmatisation et de non-reconnaissance. C'est un élément très clair de la souffrance de ces personnes, comme le revendiquent les associations que nous rencontrons régulièrement à la direction générale de la santé.
Sur cette pathologie, beaucoup de connaissances restent à recueillir. À ce titre, la direction générale de la santé a passé une convention avec l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) pour réaliser une expertise collective, c'est-à-dire une synthèse des connaissances sur le sujet. Le rapport devrait être remis en décembre 2017. Vous connaissez sans doute le mécanisme de ces expertises collectives : des experts du domaine, dans différents champs disciplinaires, font une analyse de la littérature scientifique disponible. Nous avons demandé que leur champ d'exploration couvre les années 2010 à 2015, pour disposer des données les plus récentes. L'une de nos questions porte en particulier sur des éléments de diagnostic qui pourraient être renforcés, certains chercheurs fondant quelques espoirs sur l'imagerie neuro-fonctionnelle.
Le rapport de la Haute Autorité de santé date de 2010, mais, au regard des connaissances que nous possédons aujourd'hui, il reste d'actualité. Il n'est cependant pas impossible que, au vu des résultats de l'expertise collective de l'INSERM, nous soyons amenés à solliciter à nouveau la HAS, pour qu'elle mette à jour des éléments de prise en charge et d'accompagnement thérapeutique.