Intervention de Dominique Maraninchi

Réunion du 15 juin 2016 à 9h00
Commission des affaires sociales

Dominique Maraninchi, professeur de cancérologie à l'Institut Paoli-Calmettes à Marseille :

Pour le cancer, on dispose maintenant d'un flux de molécules extrêmement important : plus de 600 molécules sont en phase clinique et seront enregistrées d'ici à 2020. Toutes les agences de régulation – la Food and Drug Administration (FDA) et l'Agence européenne des médicaments – ont créé des dispositifs pour rendre les médicaments utiles et très vite accessibles : breakthrough therapy aux États-Unis, adaptative licensing en Europe, qui sont des autorisations de mise sur le marché (AMM) accordées très précocement. Les coûts de développement sont donc devenus beaucoup moins importants que par le passé pour les médicaments du cancer, qui peuvent être enregistrés pratiquement quatre ans après leur découverte ou le brevet d'une cible moléculaire. Dans ce domaine, la France est très bien placée au niveau mondial.

Là où le bât blesse, c'est que nous sommes dans un système de spéculation sur les prix qui devient dangereux sur le plan de l'économie réelle.

Premier problème : une bulle financière est en train de se créer et des actionnaires commencent à se retirer de ces ambiances spéculatives. Toutes les molécules ne méritent pas d'être affichées à des coûts de 100 000 à 150 000 dollars : sur les 400 molécules qui vont arriver, les pays riches n'arriveront pas à payer, sans parler des pays les moins riches.

Deuxième problème : le marché est mondial, certes, mais certains pays ne profitent absolument pas des médicaments éventuellement curatifs. Jusqu'à présent, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) n'a soutenu que des politiques de prévention et de traitement des maladies infectieuses ; autrement dit, pour que ces pays ne nous contaminent pas par des maladies infectieuses, on accepte de payer, alors que le droit à la santé ou au traitement d'une maladie curable pourrait être de plus en plus universel – c'est du moins la vocation de l'OMS. Je rappelle que les firmes pharmaceutiques ont été soutenues pour permettre à tous les pays du monde d'accéder aux vaccins et aux traitements anti-infectieux : le prix des médicaments issus des innovations thérapeutiques est peut-être un nouvel enjeu économique.

Troisième problème : ces médicaments sont vendus à des prix exorbitants. Le jeu du marché, normalement issu de l'équilibre entre les productions et la concurrence, ne se fait pas en raison d'une inflation importante.

Face à cette situation, heureuse par certains côtés, au regard du flux très important d'innovations, mais très inquiétante par ailleurs, dans la mesure où des sociétés comme la nôtre ne vont plus pouvoir payer, nous appelons à une véritable prise de conscience et demandons à votre commission de se pencher à nouveau sur ce problème, d'autant que les actions de sensibilisation collective se développent. À la suite à notre appel relayé par Le Figaro, une pétition lancée par les cancérologues a reçu 5 000 signatures, une autre lancée par la Ligue contre le cancer a recueilli 50 000 signatures, et récemment Médecins du Monde a lancé une campagne pour dénoncer le prix des médicaments. Une nouvelle régulation à l'échelle mondiale s'impose, pas seulement sur la sécurité, mais aussi sur les prix pour permettre aux populations de bénéficier de ces produits.

Nous proposons plusieurs mesures, certaines pouvant être concrétisées au niveau national, d'autres défendues par la France au niveau international, d'autant que notre pays est généralement à l'avant-garde en matière de médicaments et très écouté.

Première mesure : garantir la transparence dans l'évaluation de la valeur et du prix des médicaments. D'abord, nous demandons que les travaux de la commission de la transparence de la Haute autorité de santé, instance scientifique qui évalue les médicaments ayant obtenu une AMM, soient rendus publics et accessibles à tous les citoyens grâce à une diffusion vidéo. Je rappelle que cette instance comporte désormais des représentants des usagers. Ensuite, nous demandons que le Comité économique des produits de santé (CEPS), organisme qui fixe les prix des médicaments, assure la représentation des usagers et des professionnels – Madame la présidente de la commission a souhaité la présence de parlementaires. En effet, la valeur et le prix méritent un arbitrage transparent car, il faut le rappeler, nous parlons de vies sauvées et de vies perdues, et il ne sert à rien d'enregistrer des produits si l'on ne peut pas les rendre accessibles aux patients.

Deuxième mesure : s'orienter vers une nouvelle régulation pour faire diminuer ces prix exorbitants. D'ores et déjà, le bon usage du médicament devrait permettre de faire diminuer les coûts de ces produits, pas à l'anglaise, car nous nous refusons d'interdire les bénéfices de l'innovation au prétexte de coûts affichés, mais de façon raisonnable. À titre d'exemple, même pour les médicaments innovants en cancérologie, il existe des « me too » ; or, les « me too » sont plus chers que le premier médicament de la classe. Par conséquent, grâce à l'introduction d'une transparence dans l'attribution de la valeur et du prix, ce flux d'innovations pourrait être partagé entre plusieurs industriels, ce qui favoriserait une diminution des prix. C'est un exemple de régulation. D'autre part, nous souhaitons que nos patients puissent bénéficier très rapidement de l'innovation. Le système des autorisations temporaires d'utilisation (ATU), introduit par le législateur, est devenu plus transparent. Par contre, il n'y a aucune raison que la valeur donnée au premier jour persiste : les renégociations de prix pourraient être beaucoup plus systématiques, et donc plus transparentes, pour faire bénéficier la société de l'arrivée des produits concurrents sur le marché. C'est un deuxième exemple de régulation,

Troisième mesure : instaurer un nouvel équilibre pour l'accès aux médicaments innovants et utiles à l'échelle mondiale. Le Président de la République a défendu cette idée lors du G7, en plaidant pour la régulation du prix du médicament, comme va le faire la ministre de la santé devant ses homologues des pays en voie de développement. Cette mesure permettrait aux industriels de bénéficier d'un marché beaucoup plus large, comme pour les maladies infectieuses. Et elle est indispensable pour les patients des pays émergents : je trouve insupportable que, de l'autre côté de la Méditerranée, des personnes n'aient pas accès à un médicament qui guérit le cancer. Cette régulation est possible à l'échelle mondiale. La France et les États-Unis peuvent porter la voix des pays riches – les plus gros consommateurs de médicaments – en faveur d'un nouvel équilibre, comme cela a été le cas pour le sida.

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