Intervention de Dominique Maraninchi

Réunion du 15 juin 2016 à 9h00
Commission des affaires sociales

Dominique Maraninchi, professeur de cancérologie à l'Institut Paoli-Calmettes à Marseille :

Ce foisonnement de questions montre votre intérêt sur le sujet, ce dont je vous remercie.

Vous avez raison, le monde est en train de changer : il n'est plus celui d'hier, il n'est pas non plus celui de demain. Cependant, on assiste à un flux d'innovations sans précédent, qu'il va falloir gérer différemment et sereinement. Je tiens à dissiper tout malentendu : nous ne nous positionnons pas en accusateurs, nous souhaitons que les innovations soient utiles et accessibles.

Donc, le monde du médicament a changé, mais tous les industriels ne sont pas dans le même monde du médicament. Attention au risque d'amalgame : nous ne parlons pas des industriels qui font de grands volumes ou travaillent sur la « santé bien-être » ; nous parlons aujourd'hui de médicaments d'exception pour des maladies rares.

Pourquoi parlons-nous du médicament, plutôt que du système de santé ? Parce qu'avec un comprimé, on peut traiter des millions de gens dans le monde de façon équitable, et éventuellement les sauver d'une maladie mortelle. Ce n'est pas la même chose de créer des hôpitaux : le délai est plus important.

Le problème est donc que des médicaments efficaces contre le cancer deviennent inaccessibles aux pays riches, et a fortiori aux pays non riches. Nous ne prônons pas la régulation de l'accès à ces médicaments par dogmatisme : nous savons que des efforts ont été réalisés en France, mais aussi à l'échelle mondiale, pour améliorer l'accès à l'innovation, et que les molécules sont désormais enregistrées très vite – de grandes molécules de traitement du cancer du poumon ont été enregistrées quatre ans après la publication de leur découverte dans la revue Nature. Ainsi, les cycles se sont accélérés, pas pour tous les industriels, et il faut veiller à ce que les représentants des branches soient à l'écoute des changements de certains de leurs partenaires. Ce que nous soulignons, c'est que le marché est de plus en plus segmenté, avec une médecine de précision : on ne parle plus du médicament en vrac pour tout le monde, mais d'un médicament pour une seule personne ou un petit groupe de personnes.

Pour autant, le prix exorbitant de ce médicament est-il légitime ? Il faut y réfléchir, et nous sommes là pour ça. Pour reprendre l'exemple classique du Glivec, son coût de production par les sous-traitants indiens pour une année de traitement est de 125 dollars, mais il est vendu 90 000 dollars aux États-Unis et 30 000 euros en France – il y a donc des marges. Faire des marges n'est pas honteux, mais certaines sont parfois problématiques : les prix des médicaments suscitent l'émoi car, vu le coût de 90 000 dollars aux États-Unis, où le reste à charge est considérable, beaucoup de malades arrêtent leur traitement. Vous vous battez pour un accès équitable à l'innovation, et nous vous en remercions, mais notre crainte est qu'un système trop inflationniste empêche d'atteindre cet objectif. Bien évidemment, il n'est pas question de fixer des taux de marge : nous demandons la fixation de prix raisonnables et adaptés. Le débat sur la régulation existe à l'échelle mondiale, dans le cadre du G7, pour les produits très innovants dont l'utilisation est nécessaire pour les situations de vie ou de mort – pas pour le vrac. Aux industries françaises d'être présentes dans le domaine de l'innovation.

Beaucoup de vos questions ont porté sur la transparence. Il faut aller jusqu'au bout : il n'y a pas de raison que les commissions de l'ANSM et de l'Agence européenne des médicaments soient publiques en étant retransmises grâce à la vidéo, permettant la transparence dans l'évaluation du rapport bénéficerisque, et que les débats de la commission de la transparence sur la valeur ne soient pas publics. Cette situation est troublante. Certes, le secret industriel et commercial doit être respecté ; néanmoins, il n'y a pas de secret quand on parle du rapport bénéficerisque pour défendre la valeur de son produit. Le manque de transparence risque d'aboutir à une perte de confiance dans la régulation, une perte de confiance dans les industriels, ce qui serait grave, alors qu'ils ont parfois de très bons arguments : rendons ces arguments publics. C'est la même chose pour le Comité économique des produits de santé : il n'y a pas de honte à défendre le prix des médicaments.

Le changement dont nous parlons va-t-il être l'occasion de faire d'énormes bénéfices ? Oui. Nous sommes reconnaissants à certains industriels de s'adapter. Ils ne pourront plus faire un énorme chiffre d'affaires sur du vrac, c'est-à-dire sur des médicaments de confort moyennement efficaces distribués à des millions de personnes et de moins en moins remboursés. Restent des médicaments précieux, gérés par la « liste en sus » ou non. Notre devoir est de dire que le prix de ces médicaments précieux ne doit pas être exorbitant, car il est difficilement compréhensible qu'un médicament produit à 120 euros dans un pays soit vendu dans un autre 90 000 dollars. La France est très forte pour négocier, mais cette inflation des prix touche aussi notre pays : il faut défendre un système de santé sur le médicament qui soit très puissant, transparent, et qui soutienne l'industrie française.

L'effort de recherche au niveau national est considérable, non seulement en faveur des entreprises, grâce au crédit d'impôt recherche, mais aussi au niveau de la recherche publique. Les grandes découvertes en termes d'innovation sont issues le plus souvent de laboratoires publics dont les licences sont rachetées par les industriels. Les coûts de R&D sont donc plutôt à la baisse : il est plus facile de réaliser une étude sur 200 malades que sur 20 000, et on enregistre fréquemment des médicaments du cancer avec les données de 40 ou 50 patients.

Sans me prononcer sur les autres systèmes de régulation, je conclus en disant qu'il est temps de tirer la sonnette d'alarme, sans accuser les industriels. Eux-mêmes doivent réfléchir à la question de savoir combien nos sociétés vont pouvoir payer. Il a un risque de bulle économique : les sociétés riches ne vont plus pouvoir payer, et les sociétés pauvres seront exclues de ces innovations. D'où l'urgence de remettre ce sujet sur la table des négociations mondiales.

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