Intervention de Jean-Paul Vernant

Réunion du 15 juin 2016 à 9h00
Commission des affaires sociales

Jean-Paul Vernant, Professeur d'hématologie à l'hôpital de la Pitié Salpêtrière :

Les nouvelles immunothérapies – qu'on appelle dans notre jargon les anti-PD1 – qui coûtent 150 000 ou 200 000 dollars le traitement aux États-Unis, et qui seront également extrêmement chères en France, sont issues de la recherche publique ! C'est la recherche publique qui a étudié le rôle des lymphocytes et la voie PD1 dans les mécanismes de défense mis en place par les tumeurs, avant que l'industrie lise le papier et décide de produire un anticorps dirigé contre PD1 ! Tout le travail de recherche réalisé en amont est payé par les pouvoirs publics, que ce soit en France, aux États-Unis ou ailleurs – mais surtout en France. Ainsi, non seulement la recherche coûte de moins de moins cher à l'industrie, mais le développement lui-même coûte de moins en moins cher, puisque les produits sont désormais enregistrés très rapidement.

Le sofosbuvir, le médicament contre l'hépatite C, coûte 80 000 euros le traitement aux États-Unis, 42 000 euros en France. Et partout en Europe, le prix est le même : 42 000 euros en Angleterre, 41 000 euros en Belgique, 43 000 euros en Allemagne. Je suis inquiet : il faut que nous nous mobilisions, que vous vous mobilisiez, mais quel pouvoir avons-nous au niveau national face à des multinationales extrêmement puissantes ? Quand j'étais interne, 80 laboratoires existaient dans le monde ; aujourd'hui, 12 ou 13 très gros laboratoires se répartissent les tâches. Certes, le prix du sofosbuvir en Égypte – 800 dollars – est moins élevé que celui des pays occidentaux. L'industrie pense normal de faire payer les pays riches pour les pays pauvres, et c'est vrai. Mais le coût de production du produit est de 100 ou 150 dollars, c'est-à-dire que même en Égypte, les laboratoires font 700 dollars de bénéfices par malade – et 13 millions d'Égyptiens sont malades de l'hépatite C – et même pour l'Égypte, 800 dollars représentent un coût colossal. Il y a donc un vrai problème : les laboratoires définissent le prix en fonction de ce que le pays peut payer et ils tirent les prix au maximum. CQFD : le Glivec coûtait aux États-Unis 30 000 dollars au début, avant de passer à 90 000 dollars, simplement parce que les laboratoires estiment que ce pays peut payer.

Faut-il conditionner le prix du médicament à sa performance ? Cela me semble une bonne idée, mais si l'industriel ne décide pas de diminuer ses bénéfices, les 50 % de malades pour lesquels le traitement marche vont payer pour les 50 % de malades pour lesquels le traitement ne marche pas, si bien que les bénéfices globaux risquent de rester les mêmes. Par conséquent, si l'industrie ne décide pas de définir un prix raisonnable, le contrat de performance ne changera pas grand-chose.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion