Intervention de Dominique Maraninchi

Réunion du 15 juin 2016 à 9h00
Commission des affaires sociales

Dominique Maraninchi, professeur de cancérologie à l'Institut Paoli-Calmettes à Marseille :

Nous sommes à un tournant dans le domaine des médicaments du cancer : les thérapies ciblées représentent actuellement 87 % du chiffre d'affaires et en représenteront probablement 95 % en 2020. Par conséquent, l'investissement qu'il faut faire dans l'immunothérapie est considérable. Va donc se poser le problème du choix de la régulation par rapport à tous ces produits et toutes ces techniques qui arrivent.

Dans le domaine de l'innovation, un nouveau paradigme s'offre aux industriels avec les essais cliniques, comme aux États-Unis. Les essais cliniques sont le meilleur moyen de rendre le traitement accessible, et cela est vrai également pour les pathologies orphelines : quinze malades peuvent être traités ainsi. Pour ce faire, l'industriel fournit son produit ou des données qui lui permettront d'enregistrer son produit. En France, il y a un déficit d'essais cliniques avec produits innovants – les traitements expérimentaux existent surtout pour le vrac. Le jeune Matéo, qui a ému la France entière, a été traité aux États-Unis, dans le cadre d'un essai clinique financé par le National cancer Institute, au Centre de recherche contre le cancer de Seattle.

S'agissant des licences d'office, comme les autres moyens de régulation, l'arbitrage doit se faire à l'échelle mondiale. Je le redis, nous soutenons le dynamisme de l'industrie : son avenir se joue sur le marché mondial, mais avec des produits innovants. Ces marchés sont solvables. Pour ceux qui ne sont pas solvables, l'action de l'OMS, comme pour les maladies infectieuses, a permis d'améliorer l'accès au traitement du sida dans le monde – même s'il y a encore de graves inégalités. L'utilisation de la licence d'office, ou la menace d'y recourir, a fait baisser les prix très vite ; beaucoup d'industriels ont compris que le marché du Brésil ou de l'Égypte, ce n'est pas si mal, parce que cela permet de traiter des centaines de milliers de personnes. Pourquoi pas pour le traitement du cancer ?

Personnellement, je suis réservé sur l'idée que les pays riches doivent payer le médicament très cher pour permettre aux pays pauvres d'y accéder. Car ce n'est pas tout à fait vrai, ce n'est pas une vraie régulation. En effet, non seulement les pays pauvres ne reçoivent pas les médicaments du cancer, mais les pays riches ne vont plus pouvoir se les payer. C'est pourquoi nous tirons la sonnette d'alarme, en prônant une nouvelle régulation à l'échelle mondiale, et, à l'échelle nationale, une réelle transparence sur le mécanisme de fixation de la valeur ajoutée médicale, au niveau de la commission de la transparence, et de la valeur monétaire du médicament, au niveau du Comité économique des produits de santé.

Le directeur de l'Agence européenne des médicaments, Guido Rasi, a publié récemment dans le New England Journal of Medecine un plaidoyer en faveur du paiement à la performance, mais aussi pour l'inclusion dans les dossiers d'autorisation de mise sur le marché d'une analyse économique coûtefficacité, que les régulateurs autorisant les produits ne peuvent plus ignorer. Le traitement par les cellules CAR-T est affiché à plus de 150 000 dollars par patient, au prétexte que son prix est équivalent à une greffe de moelle, mais s'il coûte beaucoup moins cher, il n'y a aucune raison qu'on le paie à ce niveau-là.

Je voudrais dire à l'élu marseillais, M. Tian, que la découverte des facteurs du système immunitaire qui contrôlent le check-point de l'immunité anticancéreuse a été faite au Centre d'immunologie de Marseille. C'est Pierre Golstein qui a découvert CTLA-4, mais, de par sa culture de chercheur à l'INSERM, il ne l'a pas breveté. Aujourd'hui, les jeunes chercheurs marseillais brevettent beaucoup et ont créé des sociétés qui génèrent des profits.

Bref, on est dans ce nouveau mouvement. Il ne faut pas en faire une guerre idéologique, en se positionnant pour ou contre l'industrie. Bien sûr, nous avons besoin de l'industrie. Mais nous avons aussi besoin d'avoir confiance dans la solvabilité de notre système de santé.

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