Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, permettez-moi tout d'abord de vous dire comme je suis honoré de m'exprimer devant les représentants de la nation dans le cadre des travaux de votre commission qui s'occupe d'un sujet d'une grande importance et d'une grande actualité.
L'abattage rituel est un sujet qui tient à coeur au CFCM et je suis heureux d'avoir l'occasion de m'exprimer aux côtés de mon cher ami Joël Mergui. Cette invitation commune a une forte charge symbolique : l'abattage rituel musulman et l'abattage rituel juif sont proches et convergents. Le Consistoire central et le CFCM ont d'ailleurs décidé de mettre en place une commission commune mixte sur l'abattage rituel.
Cette audition intervient à un moment très particulier : d'une part, de plus en plus cas de maltraitance d'animaux sont mis au jour dans certains abattoirs – qui pratiquent plutôt l'abattage conventionnel et non l'abattage rituel, vous l'avez rappelé, monsieur le président ; nous avons tous vu ces enregistrements vidéo insoutenables. Mais d'autre part, on découvre de plus en plus de traces de porc dans des produits certifiés halal, ce qui pose la question de la transparence, de la crédibilité et de la sincérité de la procédure de certification pour les musulmans de France.
Le CFCM travaille, depuis sa création ou presque, et plus particulièrement depuis 2008, à l'élaboration d'une charte halal, un référentiel religieux commun à l'ensemble des musulmans de France qui définirait le caractère halal des produits carnés et de leurs dérivés. Les consommateurs musulmans pourront ainsi être rassurés quant à la conformité aux principes religieux auxquels ils adhèrent des produits qu'ils mangent. On constate malheureusement une utilisation non réglementée, de plus en plus abusive, du terme « halal », et les consommateurs musulmans s'inquiètent du manque de considération dont ils font l'objet. Ils exigent plus de transparence dans l'application du rituel islamique, de la même manière que nos amis juifs sont très sensibles au respect de la saignée rituelle, comme vient de le rappeler Joël Mergui.
Cette charte halal est le fruit, depuis 2008, d'une collaboration entre le CFCM et les différents acteurs musulmans engagés dans la filière halal. En mars 2011, nous étions pratiquement sur le point d'aboutir à la signature d'une charte, mais certains points n'avaient pas fait consensus, notamment l'étourdissement préalable. Sous l'impulsion de la présidence collégiale mise en place au sein du CFCM en juillet 2015, le groupe de travail a été remis en route en septembre dernier. Aujourd'hui, un consensus s'est dégagé au niveau tant national qu'international sur les conditions et les critères qui définissent précisément ce qu'est le halal pour les musulmans.
Bien sûr, l'application de cette charte doit se faire dans le cadre de textes réglementaires, internationaux ou européens, et conformément à la législation française.
Sa mise en oeuvre sera progressive, car il faut favoriser les conditions qui rendront possible son application. Le CFCM entame en ce moment même les discussions nécessaires avec les représentants des filières industrielles pour examiner avec eux les modalités d'évolution de leurs pratiques ainsi que de leurs installations et équipements. Ces discussions ont pour but de permettre une adaptation progressive de leurs sites de production et portent notamment sur la période transitoire.
Cette charte comporte deux parties : la première est consacrée au référentiel religieux ; l'autre est un guide des procédures de suivi et de contrôle rituel du halal, qui s'attache aux moyens de certifier que les règles ont été appliquées à chacune des étapes du processus de transformation, de l'abattage de l'animal à l'arrivée de la viande dans les rayons.
Le travail sur le référentiel religieux a bien avancé. Il a d'ores et déjà reçu l'aval des trois grandes mosquées agréées par le ministère de l'agriculture pour l'agrément des sacrificateurs : Paris, Évry et Lyon.
Dans le cadre du guide, nous envisageons de mettre au point un label halal, placé sous l'égide du CFCM, qui garantira aux fidèles musulmans le respect des règles édictées dans le référentiel religieux.
Le bien-être animal est une préoccupation majeure de l'abattage rituel tant israélite que musulman. Dans la religion musulmane, les animaux sont considérés comme une communauté à part entière, semblable à celle des hommes. J'en veux pour preuve le verset 38 de la sourate VI du Coran : « Il n'est bête sur la terre ni oiseau volant de ses ailes qui ne forment des communautés semblables à vous ». Les actes et paroles du Prophète sont riches d'enseignements en ce domaine également : dans un hadith, le Prophète évoque ainsi une femme allée en enfer pour avoir fait mourir de faim une chatte en l'enfermant et en l'empêchant de se nourrir elle-même ; dans un autre, à un homme qui avait immobilisé une bête puis aiguisé son couteau devant elle, il fait ce reproche : « Tu veux donc la faire mourir deux fois ? Pourquoi n'as-tu pas aiguisé ton couteau avant de l'immobiliser ? ». L'homme a certes le droit de tirer profit des ressources de la terre, mais il a le devoir de le faire en bonne intelligence, dans le respect du bien-être des animaux.
Des règles très précises s'appliquent pendant l'abattage afin de ne pas faire souffrir la bête. Rappelons la parole du Prophète dans cet autre hadith : « Allah a prescrit la bienveillance envers toute chose, si vous immolez, faites-le de la meilleure manière et si vous égorgez un animal, faites-le de la meilleure manière. Qu'une personne parmi vous aiguise bien son couteau et qu'il soulage son animal ». Le soulagement de l'animal, la bienveillance et la bienséance sont des dimensions très importantes dans l'abattage rituel.
Dans le processus d'abattage en lui-même, deux acteurs majeurs interviennent. Le premier est le contrôleur – al mouraqib –, chargé de vérifier la conformité de l'abattage aux critères religieux : il doit évidemment être musulman, formé aux conditions d'abattage rituel et doté de grandes compétences en matière de traçabilité du halal. Le second est le sacrificateur – al moudhakki : musulman également, il doit être agréé par l'une des trois grandes mosquées agréées par le ministère de l'agriculture, celle de Paris, agréée par un arrêté de décembre 1994, ou celles d'Évry ou de Lyon, agréées par un arrêté de juin 1996. En outre, il doit avoir suivi une formation préalable attestant de ses capacités à exercer l'abattage rituel. L'ensemble des grandes organisations musulmanes – CFCM, fédérations musulmanes, acteurs de la filière halal, grandes mosquées – sont en train de mettre en place une vraie formation pour les sacrificateurs afin qu'il puisse procéder à la saignée rituelle dans les meilleures conditions possibles.
S'agissant de l'abattage rituel en lui-même – la dhakat –, il est prescrit que l'animal doit être respecté : il doit être transporté confortablement, sans stress, et bénéficier d'un repos avant l'abattage. Tout cela est rappelé dans le référentiel religieux cosigné avec les trois grandes mosquées Par ailleurs, un animal ne doit jamais être tué à la vue d'un autre et le couteau doit être soustrait à son regard avant son sacrifice. Une autre règle veut que l'abattage ait lieu sans aucune forme d'étourdissement, que ce soit avant ou après l'égorgement. Un consensus s'est clairement dégagé sur ce point entre les CFCM et les trois grandes mosquées agréées. Comme l'a rappelé devant vous le rabbin Fiszon la semaine dernière, la mise à mort de l'animal sans étourdissement est certes une exigence rituelle, mais qui participe au bien-être animal et à l'hygiène. Enfin, l'animal ne doit faire l'objet d'aucune intervention jusqu'à ce qu'il soit totalement inanimé. Il est plus particulièrement interdit de dépecer, de déplumer ou d'intervenir sur la plaie avant inertie complète. Cette condition également est clairement posée dans le référentiel religieux.
Je terminerai par les perspectives. Les abattoirs, ainsi que l'industrie alimentaire, doivent impérativement anticiper les évolutions pour relever trois grands défis.
Le premier est de répondre à la très forte demande des citoyens français de confession musulmane qui réclament de plus en plus un accès à du halal certifié, conforme en tout point au rite musulman. Une enquête publiée au mois de septembre dernier indique que 95 % des musulmans de France souhaitent consommer des produits halal et que 80 % en consomment effectivement. Il existe donc un marché national important, sur lequel les industriels français doivent se positionner.
Le deuxième défi consiste à répondre à la demande grandissante des pays musulmans qui exigent de plus en plus de halal sans étourdissement. Autant les avis divergeaient il y a quelques années, autant une tendance de fond traverse désormais l'ensemble des pays musulmans, du Maroc jusqu'à la Malaisie, où le rejet de l'étourdissement, qu'il soit pré ou post mortem, fait de plus en plus l'objet d'un rejet catégorique. Là aussi, les industriels français qui travaillent à l'exportation auraient tout intérêt à faire évoluer leurs pratiques pour conquérir de nouveaux marchés.
Le troisième défi est de répondre aux préoccupations liées au bien--être animal, dans le respect des prérogatives de l'abattage rituel, tant dans le culte musulman que dans le culte israélite. Nous sommes des défenseurs des animaux avant tout.