Messieurs, je vous ai écoutés avec la plus extrême attention, comme tous mes collègues, et parfois même avec quelque surprise, je dois le dire.
L'objectif de notre commission, partagé – je pense pouvoir le dire – par l'ensemble de ses membres, n'est évidemment pas de s'attaquer à la liberté du culte et à certaines pratiques religieuses. Nous voulons enquêter sur la situation dans les abattoirs afin de proposer des solutions qui évitent aux animaux des souffrances inutiles.
Nous essayons pour ce faire de trouver un équilibre entre les exigences que vous avez formulées tous deux avec force et les attentes de la société, qui a considérablement évolué depuis quelques dizaines d'années. De plus en plus de personnes se montrent attachées au respect de la sensibilité des animaux. Le Parlement est d'ailleurs venu sanctionner cette évolution puisque la loi reconnaît désormais que les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Le grand émoi suscité dans la population par les vidéos de L214 témoigne de ce changement dans les mentalités.
Nous devons essayer de trouver un chemin qui convienne à tout le monde. C'est du moins l'esprit qui m'anime à titre personnel.
Face à la crainte que les animaux souffrent lors de l'abattage rituel, vous partagez la même position : selon vous, ils ne souffrent pas. Le problème, c'est que vous êtes à peu près les seuls à l'affirmer… Lors d'autres auditions, nous avons pu entendre des descriptions décrivant une réalité beaucoup plus rude. Autrement dit, nous nous retrouvons avec des informations totalement contradictoires. Certes, l'abattage conventionnel peut s'accompagner de ratés ; mais cela ne nous exonère nullement de l'obligation de régler l'ensemble des problèmes, y compris pour l'abattage rituel, sans oublier les attentes des communautés juive et musulmane.
J'aurai deux questions.
L'un et l'autre, vous avez montré que le respect du bien-être de l'animal faisait partie des préceptes contenus dans les livres saints de vos religions respectives et de pratiques pluriséculaires. Une première règle consiste à s'assurer de sa tranquillité ; la deuxième consiste à le saigner alors qu'il est conscient. Mais il est permis de penser qu'au moment où il reçoit le coup de couteau fatal, l'animal n'est pas forcément paisible et empli de quiétude. Autrement dit, on a l'impression que la deuxième règle prend le pas sur la première. Pouvez-vous m'expliquer comment ces deux impératifs peuvent être conciliés ?
Deuxièmement, vous êtes l'un et l'autre hostiles à l'étourdissement – et je suis surpris d'apprendre l'existence d'une vague allant dans ce sens au sein de la communauté musulmane ; j'avais le sentiment d'une tendance inverse ou du moins d'une acceptation de différentes options. Saigner l'animal en pleine conscience garantit une saignée complète : le coeur doit fonctionner jusqu'au bout pour que le sang soit évacué du corps de l'animal, puisque vos religions interdisent de consommer le sang. Cela, on peut le comprendre. Mais lorsqu'on pratique un étourdissement dit réversible avant la saignée – autrement dit, on rend l'animal inconscient, mais il peut revenir à la conscience si l'on en reste là –, on peut considérer que l'animal conserve son intégrité physique, ne serait-ce que parce que son coeur continue de battre, garantissant ainsi la saignée totale.
J'en viens à l'étourdissement post cut, soit juste après le coup de couteau. M. Mergui l'a rappelé : quand on se coupe avec un instrument effilé, on ne sent rien – c'est vrai et nous en avons tous fait l'expérience. À ceci près que, quelques secondes plus tard, on ressent la douleur de la coupure. C'est par conséquent très probablement le cas pour les animaux qui reçoivent le coup de couteau : dans les premières secondes, il n'y a pas de signe de douleur mais après, ce n'est plus tout à fait la même chose. L'étourdissement post cut, réalisé juste après que le coup de couteau a été donné dans le respect de votre rituel, contribuerait à garantir que l'animal ne souffre pas, sans pour autant interrompre le fonctionnement du coeur, et donc tout en permettant une évacuation totale du sang.
Je vous avoue donc avoir beaucoup de mal à comprendre que l'une et l'autre religion soient opposées même au post cut qui permettrait, à mes yeux, de concilier tous les points de vue.