Intervention de Christophe Bouillon

Réunion du 29 juin 2016 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Bouillon, rapporteur :

Le texte que nous examinons aujourd'hui porte sur les modalités de création d'une installation de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue ainsi que sur la réversibilité de l'opération.

Cette proposition de loi s'inscrit dans la continuité d'une série de textes législatifs et réglementaires, dont la loi du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs, dite « loi Bataille », constitue le premier jalon.

En 1994, quatre sites susceptibles de recevoir l'installation d'un laboratoire de recherche en profondeur sont sélectionnés ; en 1998, le site de Bure, situé à la limite des départements de la Meuse et la Haute-Marne, est retenu ; en 2000, les travaux d'implantation du laboratoire souterrain commencent.

En 2005, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) remet au gouvernement un dossier dans lequel elle conclut à la faisabilité et à la sûreté du stockage profond sur le site de Bure, tandis que le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) rend les conclusions de ses études sur d'autres techniques de gestion des déchets contaminés tels la séparation et la transmutation ainsi que l'entreposage de longue durée. Au cours de la même année, un débat public est organisé sur la gestion des déchets radioactifs par la Commission nationale du débat public (CNDP).

Une nouvelle étape est franchie par la promulgation de la loi de programme du 28 juin 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs, qui, modifiant le code de l'environnement, retient le stockage réversible profond des déchets contaminés comme la solution la plus sûre sur le très long terme pour la gestion des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue.

En 2013, un nouveau débat public est organisé, toujours sous l'égide de la CNDP. En 2015, l'ANDRA propose un avant-projet sommaire (APS) qui prépare les options techniques relatives à la réversibilité, ouvrant ainsi la voie au dépôt de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.

Présenté par Gérard Longuet et Christian Namy, ce texte a été adopté par le Sénat le 17 mai dernier ; il s'inspire largement d'une proposition de loi semblable déposée sur le Bureau de l'Assemblée nationale le 10 novembre 2015 par Jean-Yves Le Déaut, Jean-Louis Dumont et Christian Bataille, trois acteurs essentiels du débat sur ce sujet, et dont je veux saluer le travail.

Cette proposition de loi était attendue, car, aux termes de l'article 12 de la loi du 28 juin 2006, c'est seulement après promulgation d'une « loi fixant les conditions de réversibilité » que « l'autorisation de création du centre peut être délivrée par décret en Conseil d'État, pris après enquête publique ».

Deux débats publics ont été organisés, deux lois adoptées, la présente proposition constituant la troisième, le Parlement a ainsi été consulté et associé à plusieurs reprises au processus décisionnel, et d'autres rendez-vous sont prévus. Notre commission a d'ailleurs étroitement participé au processus : le 4 mars 2015, elle a entendu l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), puis l'ANDRA le 3 février dernier, et enfin, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) le 1er mars.

L'objet principal du texte qui nous est soumis ne porte pas le principe même du stockage souterrain, mais les modalités de sa réversibilité. En effet, dès le départ, il a été décidé que ce stockage devait avoir un caractère réversible, de manière à ne pas obérer les capacités de décision des générations futures.

Il s'agit d'un choix éthique et responsable. En prévoyant la réversibilité du stockage, nous permettrons à nos descendants de gérer différemment ces déchets radioactifs si, dans le futur, une autre solution était trouvée. Les générations futures resteront ainsi libres de traiter ces matières contaminées en fonction des solutions techniques disponibles ou de les maintenir stockées en site profond.

Cette proposition de loi ne porte pas non plus sur la décision d'exploitation du centre de stockage. En effet, la décision ultime reviendra au pouvoir exécutif qui prendra – ou non – le décret d'autorisation de création, après une enquête publique, le tout, sous le contrôle de l'Autorité de sûreté nucléaire. Ce n'est qu'après la publication de ce décret, vers 2025, qu'une phase industrielle pilote sera mise en oeuvre pendant au moins cinq ans. Il s'agira de réaliser des opérations d'essais de stockage – avec des colis inactifs dans un premier temps – afin de préparer le démarrage du centre industriel de stockage géologique (Cigéo) et la montée en régime de son exploitation. Si cette étape est concluante, c'est après 2030 que seront reçus les premiers déchets radioactifs, sur l'autorisation de mise en service de l'ASN.

Ces différentes phases de l'évolution du centre de stockage souterrain feront l'objet d'un contrôle étroit : outre l'ASN, que j'ai déjà mentionnée, le Parlement sera encore consulté puisqu'une loi sera nécessaire pour aller au-delà de la phase pilote industrielle.

Les collectivités territoriales concernées font également l'objet d'une consultation dans la phase actuelle ; elles seront à nouveau consultées à l'issue de la phase industrielle pilote.

Enfin, des revues de mise en oeuvre du principe même de réversibilité sont prévues. À l'origine, elles devaient avoir lieu « au moins » tous les dix ans ; un amendement adopté par le Sénat a réduit cet intervalle à cinq ans.

La présente proposition de loi apporte quatre modifications majeures à la loi du 28 juin 2006 ainsi qu'au chapitre correspondant du code de l'environnement, elles portent sur : la définition de la notion de réversibilité ; le lancement d'une phase industrielle pilote qui marquera le début de l'exploitation industrielle du site ; l'adaptation de la procédure d'autorisation ; l'adaptation du calendrier initial.

Ce texte définit la notion de réversibilité comme étant « la capacité, pour les générations successives, soit de poursuivre la construction puis l'exploitation des tranches successives d'un stockage, soit de réévaluer les choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion ».

Cette même disposition prévoit des revues périodiques de la mise en oeuvre du principe de réversibilité, au moins tous les cinq ans.

Conformément aux attentes exprimées lors du débat public organisé en 2013, l'exploitation du centre de stockage débutera par une phase industrielle pilote. Cette phase doit notamment permettre de conforter le caractère réversible et la démonstration de sûreté de l'installation, par un programme d'essais in situ. Les colis de déchets devront donc rester aisément récupérables durant cette période.

Pour tenir compte notamment de la nouvelle phase pilote, le texte adapte les procédures d'autorisation des centres de stockage en couche géologique profonde. Ainsi est-il prévu que la phase pilote fera l'objet d'une autorisation de mise en service restreinte, tandis que l'autorisation de création couvrira ensuite l'ensemble du projet. Cette autorisation de mise en service des phases ultérieures ne pourra être accordée qu'après la promulgation d'une loi, prise sur la base d'un rapport de l'ANDRA présentant les résultats de la phase industrielle pilote.

Le dispositif propose un ajustement de diverses échéances initialement prévues dans la loi de 2006 : un dépôt de demande d'autorisation de création du centre est notamment prévu en 2017, au lieu de 2015 comme prévu initialement. Enfin, il reporte l'exigence de maîtrise foncière au moment de la mise en service, afin de permettre des acquisitions progressives de terrains ou de tréfonds, en cohérence avec la progressivité du développement des ouvrages.

Les maîtres mots de cette proposition de loi sont : responsabilité, progressivité, adaptabilité et flexibilité.

Deux écueils demeurent toutefois à éviter.

Le premier consisterait à définir un projet figé s'étalant sur plus de cent ans sans laisser la possibilité aux générations suivantes de le remettre en cause, de revoir la copie et d'en modifier les options.

Le second, qui guette certains, serait de ne rien faire, de ne pas assumer notre responsabilité : ces déchets existent, nous les avons produits et continuons à en produire ; ne pas s'en occuper reviendrait à laisser les générations qui suivent s'en débrouiller.

La réversibilité telle qu'elle est définie dans cette proposition constitue la voie évitant ces deux écueils : c'est le choix de la responsabilité partagée.

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